Le nouveau président de la CAF veut plonger dans les finances de l’institution

L’émotion est encore vive après que l’assemblée générale de l’organe faîtière du football panafricain a élu, à la surprise générale, un nouveau président de cette instance. À l’échelle du continent, il s’agit d’un tremblement de terre étant donné que le Camerounais Issa Hayatou y régnait sans partage depuis 1988.

Transparence ! C’est le maître mot du Malgache Ahmad Ahmad, élu jeudi 16 mars à Addis-Abeba, président de la Confédération africaine de football (CAF) à l’issue d’une assemblée générale élective. Ahmad Ahmad, 57 ans, a promis de faire faire un audit des comptes de la CAF. Mais pas trop. À l’annonce des résultats officiels du vote, les poings se sont levés et une clameur a éclaté dans la salle rassemblant les représentants des fédérations africaines votantes : 34 voix pour Ahmad, contre 20 pour Hayatou. Relativement méconnu par rapport à son adversaire, Ahmad Ahmad a déjoué la plupart des pronostics en obtenant un mandat de quatre ans à la tête de la CAF. Issa Hayatou, 70 ans, dernier dignitaire du football mondial épargné par les affaires qui ont emporté Sepp Blatter et Michel Platini, en était le favori.

Si Ahmad a fait campagne en promettant plus de transparence, il n’est pas forcément exempt de tout reproche. Son nom a ainsi été cité par le Sunday Times dans l’affaire de corruption qui a entouré l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Selon le journal britannique, il aurait perçu 30 000 à 100 000 dollars en échange de son vote pour le Qatar, ce que l’intéressé dément formellement.

Il n’empêche, l’heure du retrait était vraiment venu pour Hayatou, qui s’accrochait au fauteuil. « Si je pensais que je ne pouvais pas y arriver, je ne me serais pas présenté », a déclaré à la presse Ahmad, dès après le vote, alors que son rival était escorté en dehors de l’auditorium, refusant de s’adresser aux journalistes. Le vice-président de la puissante fédération ghanéenne, George Afriyie, a lui commenté : « Son excellence Issa Hayatou a fait beaucoup pour le football africain », mais « il était temps pour lui de se retirer ».

Une stratégie payante

Voici comment ce dernier a construit cet inattendu succès. Premièrement, une candidature prise de haut. Le 13 janvier à la veille de l’ouverture de la CAN 2017, le président de la Fédération malgache de football, Ahmad Ahmad, a annoncé sa candidature à la présidence de la Confédération africaine de football. L’information a fait sourire beaucoup d’observateurs, tant la lutte semblait inégale, entre ce patron de fédération, apparu récemment dans les cercles dirigeants du football africain, et l’omnipotent Issa Hayatou, en course pour un huitième mandat consécutif.

Quelques heures plus tard, comme pour tuer dans l’œuf cette effronterie, le comité exécutif de la CAF a retiré à Madagascar l’organisation de l’édition 2017 de la CAN des moins de 17 ans pour impréparation. Loin de couper ses ailes, cette mesure de rétorsion a galvanisé Ahmad Ahmad, qui n’a cessé d’engranger des soutiens au cours de sa campagne méthodique. Deuxièmement, des soutiens résolus. Bravant l’interdiction de la CAF, le Conseil des associations d’Afrique australe (COSAFA), forte de 14 pays membres, s’est réuni le 11 février à Johannesburg et a apporté un soutien sans réserve à Ahmad Ahmad.

Son nouveau président, le Zimbabwéen Phillip Chiyangwa a reçu par la suite un avertissement écrit de la CAF pour « tentative de déstabilisation ». Dans l’ensemble, même si la Zambie serait restée fidèle au sortant, ces nations ont été le meilleur allié d’Ahmad. Elles ne sont pas les seules. Le président de la Fédération djiboutienne, Souleiman Hassan Waberi, a appelé à voter Ahmad, tout comme son homologue nigérian, Amaju Pinnick. Ce dernier s’est fait publiquement tancer par sa tutelle, au nom des bonnes relations entre Lagos et Yaoundé dans la lutte contre la secte Boko Haram (!), mais rien n’y fera : parfois réélu sans opposition, Hayatou devait non seulement faire avec un candidat d’opposition mais aussi voir celui-ci engranger des soutiens publics. Un tabou était tombé.

Troisièmement, l’ombre protectrice de la Fédération internationale de football (FIFA). Officiellement neutre, la FIFA a vu d’un œil bienveillant la candidature d’Ahmad Ahmad. Alors que son prédécesseur Sepp Blatter entretenait depuis les années 2000 des relations cordiales avec Issa Hayatou, l’actuel président Gianni Infantino n’a donné aucune indication sur son choix, et a choisi en majorité des pays réputés favorables à Ahmad Ahmad. Le grand patron du football mondial a fait étape au Swaziland, au Zimbabwe, en Ouganda, au Rwanda, au Tchad, au Ghana, au Niger et en Mauritanie. Sa présence, à la rencontre des présidents des fédérations d’Afrique australe, n’a laissé pas planer le moindre doute sur sa préférence pour le Malgache, dont certains des thèmes de campagne (par exemple redonner davantage de pouvoir aux fédérations au détriment de la confédération) ressemblent à s’y méprendre à ceux qui valurent son élection à Infantino, non soutenu alors par la CAF qui préférait le Cheikh Salman…

Quatrièmement, un programme mieux défendu. Et si le pire ennemi Issa Hayatou dans cette quête d’un huitième mandat avait été issa Hayatou lui-même ? Sûr de son pouvoir, isolé par une cour trop protectrice, le vieux dignitaire camerounais n’a guère fait campagne, se contentant de mettre en avant son bilan financier.

Parler ainsi de gros sous s’est avéré un argument à double tranchant. « Je ne suis pas candidat pour servir mes ambitions personnelles mais pour assurer que chacun de vous puisse s’exprimer librement et participer à ce futur du football africain. », a lâché Ahmad Ahmad à l’endroit de son adversaire, souvent critiqué pour sa pratique du clientélisme et du népotisme. Ça pour une surprise, c’a été vraiment une surprise. L’emblématique président de la CAF a été donc défait.