100 millions de MUMI : les dessous des cartes

Appelé au gouvernement en décembre 2014 comme ministre des Finances, Henri Yav Mulang avait une seule idée en tête : servir son pays. Il ne s’attendait pas du tout à ce que la fin de son mandat soit une succession d’attaques ad hominem sous forme de règlement des comptes.

MARDI 11 AOÛT, Bonheur Luntaka Madi, le procureur général près la Cour d’appel de Gombe, lance un mandat de comparution (article 15 du code de procédure pénale). Henri Yav Mulang doit comparaître devant lui en son office le jeudi 13 août « pour y être entendu sur des faits infractionnels lui imputés ». En outre, lui fait-il savoir, « faute de ce faire, il lui sera contraint conformément à la loi ». 

Le scénario était écrit à l’avance : quel que soit ce qu’il allait déclarer ce jour-là devant le magistrat lors de sa comparution, Henri Yav Mulang, ancien ministre des Finances, de décembre 2014 à septembre 2019, devait être placé en détention. Jeudi 13 août, le spectacle est digne d’un film hollywoodien : un piquet de journalistes à l’affût, des caméras des télévisions et des objectifs des photographes braqués pour filmer la scène voulue humiliante du transfert d’Henri Yav Mulang de la Cour d’appel de Gombe à la prison centrale de Makala. « Nous sommes désolés, notre client bénéficie du privilège de juridiction pour tous les actes de gestion de l’État qu’il a posés en tant que ministre », ont, semble-t-il, plaidé les avocats d’Henri Yav Mulang, qui ne s’est pas rendu au parquet de Gombe. Toutefois, il se met à la disposition de la justice. Les « faits  infractionnels » que l’on reproche à l’ancien ministre des Finances, ce sont les 100 millions de dollars que l’entreprise minière Mutanda Mining (MUMI) a versé à l’État au titre d’avance sur l’impôt sur les bénéfices et les profits (IBP) en 2015. 

« Très affecté »

L’affaire – s’il en est vraiment une – a été très médiatisée avec l’interpellation de Dieudonné Lokadi Moga, l’ancien directeur générale des impôts (DGI) par des agents trop zélés de la police judiciaire des parquets, et par la convocation du magistrat Bonheur Luntaka Madi adressée à Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), pour être entendu au parquet sur ce dossier. Il y a eu aussi des déclarations tonitruantes dans la presse qui ne reflètent pas la connaissance de la gestion normale d’un État. Et c’est dans la presse qu’on a publié des articles démontrant qu’il n’y a eu rien d’irrégularité dans cette opération.

C’est vraiment en homme « très affecté » qu’Henri Yav Mulang observe. Pour l’instant, il se refuse à tout commentaire, ni à la presse ni où que ce soit, pour ne pas gêner l’instruction judiciaire en cours sur le supposé détournement de 100 millions de dollars de MUMI. Pour des observateurs sérieux, on ne détourne pas aussi facilement 100 millions de dollars. La surexploitation médiatique, voire politique, de cette affaire est « dangereuse » pour le pays en matière de climat des affaires. « Ne soyons pas étonnés s’il n’y a pas d’investisseurs sérieux qui s’installent dans le pays. C’est par des petites choses qu’on reconnaît un État », fait remarquer l’un d’eux. 

Lorsqu’il entre au gouvernement en décembre 2014 pour occuper le portefeuille du ministre des Finances, Henri Yav Mulang, lui qui n’est pas un « politicien de souche », n’avait qu’une seule idée en tête : servir son pays. Et, selon des proches, il a conscience d’avoir bien rempli sa mission à une période, l’une des plus délicates de l’histoire politique et de l’économie de notre pays. Les cours des matières premières dont dépend l’économie nationale venaient de chuter sur le marché international et le gouvernement devait se préparer pour le financement des élections prévues initialement en décembre 2016.

En janvier 2015, Joseph Kabila Kabange, alors président de la République, avertit le gouvernement que l’année 2015 sera une année difficile sur le plan des finances publiques. Il recommande ainsi trois choses : s’appliquer à assurer les dépenses traditionnelles de fonctionnement de l’État, surtout les rémunérations, veiller à la stabilité et à la sécurité du pays, et financer les élections à venir. Pour lui, il va falloir que le gouvernement mobilise davantage de recettes nationales et en même temps fasse preuve de discipline et d’efficacité budgétaires. 

À l’époque, entre 2015 et 2017, la situation économique et financière du pays était catastrophique. D’aucuns pronostiquaient même le chaos. L’horizon des élections, surtout présidentielle, s’assombrissait davantage. Les commentaires allaient dans tous les sens… Bref, le pays tout entier touchait du bois. Il a fallu donc que le ministère des Finances et la Banque centrale du Congo réagissent vite pour juguler la crise en réajustant les politiques économiques et financières. Précisément sur le taux de change, les politiques monétaire et budgétaire, ainsi qu’envisageant des réformes structurelles essentielles sur le plan macroéconomique. 

Le pays vient de loin

À la mi-2017, la situation économique et financière a tout simplement dérapé. Les principaux indicateurs macroéconomiques ont connu de fortes perturbations, au point que les équilibres étaient rompus. Le gouvernement est désemparé, la population affolée, et les institutions financières internationales aussi pessimistes qu’alarmistes. Personne ne s’attendait vraiment à un retournement de la situation. Comme un capitaine intrépide dont le navire est emporté par un vent impétueux parvient à le ramener dans les eaux tranquilles, le ministre des Finances a réussi à redresser, en temps de crise majeure, la situation économique et financière.

Depuis la fin de l’exercice 2017 et le début de l’année 2018, le comportement des principaux indicateurs macroéconomiques a été globalement bon. Qu’il s’agisse du taux de croissance, du taux d’inflation, du taux de change du franc, des finances publiques que du niveau des réserves de change. En homme avisé, Henri Yav Mulang préconise que ces évolutions positives perceptibles doivent être consolidées. 

Comment ? Faire en sorte que l’offre en économie accroisse pour soutenir finalement le pouvoir d’achat. La reprise des cours des matières premières (cuivre, cobalt, or et pétrole) aura été comme une providence divine pour la RDC. Le pays était déjà dos au mur, malgré « les 28 mesures économiques urgentes » prises par le gouvernement, en guise de riposte efficace à la crise financière due à la chute des cours des matières premières. 

Déjà, à l’époque, au plus fort de cette crise, le recours aux appuis budgétaires extérieurs, notamment à ceux du Fonds monétaire international (FMI), était présenté comme la planche de salut. Et Henri Yav Mulang évoquait avec insistance la reprise de la coopération, suspendue en 2015, avec cette institution, ne serait-ce que pour la réalisation des projets d’infrastructures. Les différentes missions d’experts du FMI ont conclu : « La stabilité macroéconomique a continué de se consolider en 2018 grâce aux politiques macroéconomiques prudentes mises en place depuis mi-2017 dans un contexte de forte détérioration des termes de change, de chocs politiques et de retrait du soutien des donateurs. » Les experts du Fonds qui ont bouclé les consultations au titre de l’article IV des statuts du FMI, ont reconnu « à leur juste valeur les efforts entrepris depuis juillet 2017 ». 

D’après eux, le ministre des Finances avait une feuille de route cohérente pour l’avenir. Il y recommandait que les recettes ne servent pas qu’aux dépenses de consommation et de fonctionnement, mais amènent à poursuivre l’investissement dans les secteurs sociaux (santé et éducation). 

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l y proposait aussi de diversifier l’économie, financer des projets novateurs et volontaristes dans l’agriculture, l’agro-industrie, le tourisme… Ces projets ont l’avantage d’accroître l’offre de biens, notamment les biens alimentaires, et de services, ainsi que de soutenir le pouvoir d’achat de la population, au lieu de continuer à procéder simplement à des augmentations des salaires…

Maintenir le cap

Il fallait poursuivre avec la même rigueur sur le plan budgétaire parce que les finances publiques commençaient à enregistrer, depuis fin décembre 2017, des soldes mensuels de trésorerie excédentaires. Résultat d’« une mobilisation plus accrue des recettes et d’une discipline budgétaire permanente dans l’exécution des dépenses ».

En ce qui concerne les réserves internationales, les efforts déployés au niveau de la gestion des finances publiques, tant pour augmenter les recettes en devises, grâce notamment à la mesure autorisant les miniers et les pétroliers à payer les impôts, les droits et les taxes dus à l’État en devises pour veiller à la qualité des dépenses en devises, ont permis de reconstituer significativement leur niveau qui a atteint plus d’un milliard de dollars, soit l’équivalent de 4,25 semaines d’importations des biens et services en mars 2018, contre 845,44 millions de dollars à fin janvier 2016. 

Restait un point : maintenir les efforts de gestion interne, et grâce à la poursuite de l’embellie des cours de nos produits d’exportation, pour atteindre la moyenne de couverture de trois mois d’importations, considérée comme le standard des pays de la SADC. Concrètement, les effets de la discipline budgétaire appliquée par le ministre des Finances ont permis d’assurer progressivement la stabilité du cadre macroéconomique, en visant tant la maximisation des recettes publiques que la maîtrise et l’amélioration de la qualité de la dépense.

La capacité d’agir d’Henri Yav en situation de crise lui a valu l’admiration et la reconnaissance des milieux politiques, voire diplomatiques, mais surtout des milieux d’affaires et financiers au pays et à l’étranger. En tout cas, l’histoire politique de notre pays retiendra qu’Henri Yav Mulang aura été l’un des meilleurs ministres des Finances depuis 2001.

Ailleurs, l’ancien ministre des Finances a le profil idéal pour représenter le pays dans les institutions financières internationales. Par exemple, en France, Nicolas Sarkozy, un président de droite, a fait de Dominique Strauss-Kahn, un ministre des Finances de gauche, le candidat de la France au poste du directeur général du FMI. Chez nous, l’ancien ministre des Finances a été d’abord soupçonné d’avoir « détourné » les 15 millions de dollars de la décote des pétroliers, puis de 300 millions du projet de construction de l’aérogare de l’aéroport de N’Djili, et maintenant de 100 millions d’avance sur les acomptes prévisionnels sur l’IBP de MUMI.

Cette concomitance évidente et hautement symbolique, au moment du passage de témoin entre l’exécutif sortant et le pouvoir entrant après les élections présidentielle et législative de décembre 2018, marque la fin de mandat d’Henri Yav. Qui confiait un jour qu’il voulait vraiment prendre un congé sabbatique loin des affaires publiques. Mais que d’attaques ad hominem sous forme de règlement de comptes. Le scénario est toujours – à quelques variantes près – identique. Un casting de mauvais goût. Au moins, Henri Yav Mulang apprend à ses dépens qu’« en politique, on ne se fait pas des cadeaux ».

Le pire est venir

Sans doute, l’affaire de 100 millions de MUMI n’est pas l’ultime avatar pour l’ancien ministre des Finances. Dans un groupe de discussions des hommes d’affaires où le journal Business et Finances est très respecté pour ses informations, analyses et commentaires jugés « sérieux et pertinents », sans vraiment renoncer aux analyses habituelles d’un événement ou d’une évolution, on soumet plusieurs observations-anecdotes qui éclairent ce qui nous attend à propos de cette affaire.

Dans ce groupe, des membres vigilants ont attiré notre attention sur un point : pourquoi s’acharne-t-on sur un fait de gestion parmi tant d’autres qui relèvent du fonctionnement normal de l’État ? Sur la soi-disant affaire de détournement de 300,9 millions de dollars d’Exim Bank China pour la construction de l’aérogare de l’aéroport international de N’djili dont les travaux ont été lancés en mai 2018, heureusement, il y a eu le démenti venu du gouvernement chinois. Ridicule !

Dans ce groupe de discussions pour hommes d’affaires, on pense que les dirigeants de MUMI ne feront pas de déclaration publique. Tout simplement parce que cela paraît aussi ridicule. Néanmoins, ils sont frustrés et se demandent même si, dans l’avenir, ils vont encore répondre favorablement à une sollicitation du genre de la part du gouvernement. Ils n’y sont pas obligés. En janvier 2015, Tenke-Fugurume Mining (TFM) et Kamoto Copper Company (KCC) avaient décliné la proposition du ministre des Finances.

Dans les milieux d’affaires à Kinshasa et en dehors du pays, on est d’avis que « l’attitude des inspecteurs de la police judiciaire des parquets et des magistrats du parquet, trop zélés, qui traitent, le plus souvent, avec une excessive légèreté les dossiers financiers et économiques de l’État, conduit le pays et les dirigeants eux-mêmes à la tragédie ». 

Dans ce groupe, un des membres a laissé ce commentaire : « L’économie a horreur de la politique-spectacle. Elle est comparable au grand âge qui est un handicap pour tout le monde. Nos facultés peuvent diminuer sans que nous nous en rendions compte et, bien entendu, notre entourage demeure silencieux. Il ne faut pas attendre que les autres viennent nous dire que nous ne sommes plus en état de gouverner notre pays, personne ne nous en avertirait. » Et un autre membre de renchérir : « Si on était au théâtre, la politique-spectacle dont on nous gratifie actuellement serait comparable à une comédie espagnole.

On y voit le fantôme partout, et les effets sont que l’État et ses dirigeants deviennent plutôt un objet de plaisanterie que d’admiration à l’extérieur. » Puis le groupe s’emballe : « Dans cette comédie espagnole, on en arrive à avoir un peu de compassion pour un homme politique appartenant à la catégorie bien connue de politiciens qui savent se faire élire (et même réélire) mais, une fois arrivés au pouvoir, montrent qu’ils ne sont pas faits pour gouverner. Ne soyons pas étonnés que depuis 2019, il n’y a pas encore d’investissement d’envergure au pays. Et ne soyons pas non étonnés si le pays ne renoue pas avec le FMI… À quoi auront servi les voyages à l’étranger ? »

Voici par ailleurs le commentaire que laisse un capitaine d’industrie américain : « Le président Tshisekedi est un patriote, certes, mais il est entouré des gens qui en savent trop peu sur l’économie et encore moins sur la manière d’organiser une politique économique pour attirer les investisseurs. Il aura d’énormes difficultés… » Qui ne serait pas impressionné par cette analyse d’un capitaine d’industrie américain lucide ? « C’est là une énigme enveloppée de mystère. Quand on en vient à qualifier l’emblématique BRI (Banque des règlements internationaux) de banque douteuse dans cette affaire, par où ont transité les 80 millions de dollars pour le compte de la BCC, conformément au code Swift émis par la banque UBS, c’est une méconnaissance coupable du fonctionnement de la finance internationale ! » 

Pour rappel, fondée en mai 1930, la BRI qui a son siège à Bâle en Suisse, vise à assurer la stabilité monétaire et financière mondiale. Plus précisément, elle développe la coopération internationale entre les autorités monétaires, comme les Banques centrales, et les autorités de surveillance du secteur financier. Aujourd’hui, le principal rôle de la BRI est de favoriser la coopération monétaire et financière internationale et d’agir en tant que banque des banques centrales. 

À ce titre, elle héberge, par exemple, le Comité de Bâle qui est le comité de régulation financière internationale pour le contrôle bancaire. Créé en 1974, il a pour mission de renforcer la régulation des banques et de promouvoir et diffuser de meilleures pratiques bancaires. Son principal objectif est toutefois d’assurer la stabilité du système financier à l’échelle mondiale. À cet effet, le Comité de Bâle établit des normes internationales dans le domaine du contrôle prudentiel des banques et constitue une instance de coopération internationale sur ces questions.