VICTOR ZHANG, le vice-président de Huawei, sent le vent tourner. Il espère un changement de cap de la part des États-Unis avec le départ de l’administration Trump en janvier prochain. Victor Zhang demande à Boris Johnson, le 1ER Ministre britannique, de réfléchir avant de prendre une décision trop hâtive. On rappelle qu’en juillet dernier, le gouvernement britannique a pris la décision de bannir Huawei de son réseau 5G. Ainsi, dès 2021, les opérateurs du pays ne pourront plus acheter de matériel auprès du géant chinois, puis ils devront progressivement retirer ceux d’ores et déjà installés dans leurs infrastructures 5G. Cette mesure drastique a été prise sous pression américaine, alors que les États-Unis se trouvent dans une guerre commerciale avec la Chine, qui a notamment mené à la perte de la licence Android pour Huawei.
Théorie du complot
L’entreprise chinoise est désormais considérée comme une menace nationale aux États-Unis. « En tant qu’entreprise mondiale, nous voulons travailler avec les gouvernements pour nous assurer qu’ils disposent des politiques nécessaires pour garantir la croissance. La décision a été prise pour des raisons politiques, motivée par la perception qu’ont les États-Unis de Huawei et non par celle du Royaume-Uni », explique Victor Zhang. Si le géant chinois reste surveillé pour suspicion d’espionnage pour le compte du Parti communiste chinois, une telle pratique n’a jamais été prouvée outre-Manche.
Selon l’homme d’affaires chinois, l’interdiction des équipements Huawei dans le réseau 5G britannique sera grandement préjudiciable au pays qui traverse une crise économique liée à la fois au Covid-19, mais aussi au Brexit. « Quelque chose m’inquiète au sujet du Royaume-Uni, car les discussions ici se concentrent sur le conflit géopolitique plutôt que sur la manière d’améliorer l’économie britannique et de s’assurer que le pays saisisse à nouveau l’opportunité d’être un leader mondial après Brexit, à la fin de cette année », souligne. Et de poursuivre : « Tout cela est vital pour le redressement du Royaume-Uni après la fin de la guerre froide et le Brexit : le commerce, la technologie, la numérisation et la manière d’attirer les investissements étrangers au Royaume-Uni. »
Le réseau 5G va grandement améliorer les avancées technologiques dans de nombreux domaines. Or, le retrait de Huawei va causer des disparités de déploiement dans le pays qui ne sont pas sans conséquences, explique encore Victor Zhang : « Cette décision va avoir un impact économique énorme sur le Royaume-Uni, qui souhaite voir un équilibre des investissements entre Londres, le Sud-Est, les Midlands et le Nord de l’Angleterre. Une connectivité de classe mondiale est essentielle pour atteindre cet objectif, sans laquelle il est très difficile de combler le déséquilibre économique au Royaume-Uni. »
Le vice-président de Huawei exhorte, de ce fait, Boris Johnson à se rappeler de la gloire de son pays, pionnier de la révolution industrielle et donc de reconsidérer la décision de son gouvernement. Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays influencé par les États-Unis pour le déploiement de sa 5G ; il a été prouvé que la première puissance mondiale tente d’acheter l’exclusion de Huawei au Brésil. En France, les infrastructures de la firme chinoise ne sont pas interdites mais elles sont hautement surveillées par les autorités.
Dérogation pour Qualcomm
Les États-Unis ont accordé une dérogation à Qualcomm pour commercer à nouveau avec Huawei. Face à cette situation, Qualcomm a décidé d’aller à la rescousse de Huawei en faisant pression auprès des décideurs politiques américains. En mai 2019, Donald Trump signait un décret interdisant aux firmes américaines de faire affaire avec les sociétés de télécommunication « présentant un risque pour la sécurité nationale ». Sans réelle surprise, le principal visé était alors Huawei, et les conséquences ne se sont pas fait attendre pour ce dernier.
D’abord avec Google qui a dû retirer sa licence Android au constructeur chinois, et plus tard, en septembre 2020, avec l’arrêt de production des puces Kirin 9 000 équipées sur la plupart des appareils haut de gamme de la marque.
Pour défendre sa position, la firme a fait savoir qu’au-delà de nuire à Huawei, ce décret était également dangereux pour les entreprises américaines qui ne pouvaient plus bénéficier d’un marché estimé à 8 milliards de dollars, laissant ainsi la voie libre à des concurrents étrangers, tels que Samsung. Une peur confirmée par l’excellent troisième trimestre 2020 du groupe sud-coréen. Un argument qui a manifestement été entendu par le gouvernement américain puisque celui-ci a décidé d’assouplir ses règles en accordant à Qualcomm une dérogation spéciale, lui permettant de vendre ses puces 4G à Huawei.
En fait, c’est une bonne nouvelle en demi-teinte pour le constructeur chinois. Si cette permission lui permettra de limiter la casse en 2021, l’avenir semble plus qu’incertain puisque les puces 5G ne sont toujours pas concernées par cette dérogation. Exit donc les Snapdragon 750G, 690, 875, 765 et 765G. Toutefois, tout n’est pas encore perdu : avec Joe Biden qui succédera à Donald Trump à la Maison-Blanche dès le mois de janvier prochain, le constructeur chinois peut encore espérer que ce changement d’administration s’accompagne d’un assouplissement des règles afin de calmer l’escalade de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.
En France, Guillaume Poupard, le président de l’ANSSI, a affirmé lors d’une audience devant le Sénat que l’arrêté anti-Huawei pourrait évoluer. Si au départ, le géant chinois était très bien parti pour équiper les opérateurs européens pour le lancement de la 5G, il a subi un violent élan de méfiance de la part de l’Occident. Avec l’administration Trump en tête, Huawei a été accusé d’espionnage pour le compte du gouvernement de la Chine. Plusieurs pays européens ont ainsi pris la décision d’interdire la firme dans les équipements de leur 5G dont les débuts sont prévus pour la fin 2020.
En France, Huawei reste très surveillé. Fin 2019, une loi visant à « préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles » a ainsi été promulguée, avec ensuite un décret fixant la liste des appareils visés par cette dernière. Il a depuis été surnommé « arrêté anti-Huawei ». Pour rappel, la loi prévoit un « régime d’autorisation préalable, fondé sur des motifs de défense et sécurité nationale, des équipements de réseaux ». Concrètement, elle oblige les opérateurs à faire valider leurs équipements par l’Agence nationale de sécurité et des systèmes d’information (ANSSI).
Guillaume Poupard a affirmé que cet arrêté n’était pas définitif : « Si c’est un arrêté, c’est justement qu’il est amené à évoluer et on va le faire évoluer.
Parce que simplement la technologie évolue et que si on veut être capable de coller aux questions de sécurité il faudra faire évoluer cet arrêté. » En France, seuls Bouygues Telecom et SFR disposent des équipements Huawei pour le déploiement de leur 5G. Le premier a en outre saisi le Conseil d’État pour contrer cette loi. Pour le moment, les deux opérateurs ne disposent que d’une licence de 5 ans, contre 8 ans pour les concurrents de l’entreprise chinoise, et les équipements devront ainsi être démantelés avant 2028, à moins que la déclaration de Guillaume Poupard ne mène à une nouvelle juridiction.
L’opérateur le plus populaire de France, Orange, a quant à lui écouté le gouvernement en mettant Huawei de côté au profit de Nokia et d’Ericsson pour le déploiement de la 5G. D’ailleurs, le lancement de la 5G en France a commencé le 18 novembre. Au total, les opérateurs français ont dépensé 2,78 milliards d’euros pour obtenir des fréquences 5G sur le territoire.