Désormais rien ne pourra plus être comme avant dans le secteur de la pharmacie. Avec un chapelet de revendications, la corporation envisage un check-up complet à travers le pays pour se mettre au diapason des standards internationaux.
L’Ordre national des pharmaciens fait le ménage. Désormais, seuls 1 166 pharmaciens, dont 745 à Kinshasa, sont autorisés à exercer sur l’ensemble du pays. Pour justifier cette mesure, le président de cette corporation, Jean-Baptiste Kalonji, explique que le médicament est tellement délicat qu’il ne doit pas être manipulé par n’importe qui. Chez les pharmaciens congolais, la campagne internationale contre les faux médicaments portée à bras-le-corps par la Fondation Chirac trouve un écho favorable. Elle vient renforcer le plan d’action 2015 de l’Ordre des pharmaciens. On se rappellera que, en août 2014, Jean-Baptiste Kalonji était monté au créneau pour dénoncer la circulation en toute impunité des médicaments.
Réorganiser le système pharmaceutique
Comment permettre à tout citoyen d’accéder aux médicaments de qualité à tout moment ? Réuni en session ordinaire à Kinshasa, en janvier, le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) s’était penché sur cette problématique et il en est sorti un plan d’action pour 2015. Sa réalisation dépend de l’appui logistique des pouvoirs publics pour s’approprier les standards internationaux. Le vice-président du CNOP, le professeur Kalonji Ndumba, souligne que l’exercice de la pharmacie ne semble pas une préoccupation des pouvoirs publics. D’après lui, il est impératif de procéder à un état des lieux général à travers le pays afin de remettre de l’ordre. Celui-ci passe avant tout par le respect de la loi en matière de production, distribution et contrôle de médicaments, ainsi que par l’actualisation des textes réglementaires qui datent de l’époque coloniale. Les pharmaciens revendiquent depuis des années un statut spécial à l’instar des médecins. Ils recommandent aussi que le service pharmaceutique dépende directement de l’autorité politico-administrative dans les entités décentralisées. À la Direction de la pharmacie du ministère de la Santé publique, on apprécie les revendications du CNOP. Mais cela donne lieu à un nouveau débat sur l’absence de politique pharmaceutique nationale et de plan directeur pour mettre fin au désordre qui gangrène le secteur. Ce désordre est caractérisé par une cartographie désordonnée des officines qui inondent le marché congolais.
Sac du DCMP
S’agissant de la production, de la distribution et du contrôle des médicaments, le CNOP est favorable à la lutte contre les faux produits. Par faux médicament, explique Kalonji Ndumba, il faut entendre « tout médicament qui n’est pas entre les mains d’un pharmacien ». L’Ordre des pharmaciens observe que « les médicaments continuent à circuler entre les mains des irresponsables ». Depuis la mise à sac de la Direction centrale des médicaments (DCMP), en septembre 1991, des privés se sont mis en compétition en installant des unités de production, mais aussi des circuits d’approvisionnement. Malheureusement, la plupart de ces unités ne respectent pas la réglementation qui date de 1933. À travers le pays, des officines, gérées pour la plupart par des personnes non qualifiées, causent de nombreux dégâts, tandis que les médicaments sont vendus à même le sol, dans la rue.
Des médicaments de mauvaise qualité
Dans l’arrière-pays, la carence en médicaments est criante. Les hôpitaux et les dispensaires manquent jusqu’à l’aspirine. En collaboration avec la Coopération technique belge (CTB), les pharmaciens avaient décidé de doter le pays de structures adéquates pour l’approvisionnement en médicaments. Ce projet avait été mis en route avec le Programme national d’approvisionnement en médicaments (PNAM). Actuellement, le pays est inondé par des médicaments importés, souvent de mauvaise qualité. Le CNOP rappelle les textes légaux en vigueur qui stipulent que toute importation et toute distribution de médicaments doivent se faire sous la responsabilité d’un pharmacien. De ce fait, il avait saisi le ministère de la Justice pour la stricte application de la loi et de la réglementation en cette matière. Par ailleurs, les pharmaciens recommandent au ministère en charge des PME de promouvoir l’industrie locale des phytomédicaments.
Une production locale insignifiante
La production locale demeure marginale et de faible valeur technologique. En plus, le marché est régulièrement sujet à des pénuries, souvent entretenues par des lobbies qui provoquent des ruptures de stocks. L’explosion des importations et le déclin de la production locale peuvent se justifier, pense le pharmacien Alphonse Nkongolo Kabua Kantanda. « Les médicaments importés coûtent cher parce que la plupart proviennent de la zone euro et que les molécules innovantes, les médicaments princeps ainsi que les génériques ont été cédés à des prix excessifs », explique ce pharmacien. Selon lui, plusieurs producteurs locaux ont mis la clé sous le paillasson à cause du lobby des importateurs qui bénéficient du favoritisme réglementaire et fiscal de l’État. Les médicaments importés sont taxés sept fois moins cher que les médicaments produits localement parce que les matières premières en provenance de l’étranger sont taxées.
L’arroseur arrosé
Dans la lutte contre les faux médicaments, les pharmaciens en ont aussi pour leur grade. On leur reproche de vendre les médicaments sans exiger au préalable l’ordonnance du médecin. Très souvent, des pharmaciens se substituent aux médecins. De centaines de cas sont répertoriés. À Goma, dans le Nord-Kivu, par exemple, les autorités tentent de lutter contre la vente de faux médicaments dans les pharmacies. Elles n’hésitent pas à fermer les dépôts pharmaceutiques pour vente de produits périmés ou de mauvaise qualité. Dans cette ville, des officines proposent des médicaments d’origine et d’autres, jusqu’à dix fois moins cher, qui ne sont que des ersatz, des produits piratés et inefficaces. Fabriqués en Inde, en Chine, au Kenya et en Ouganda pour la plupart, ces produits coûtent deux, quatre voire dix fois moins cher que les médicaments d’origine européenne. Ils représentent 80% des stocks et s’écoulent rapidement. Le manque de contrôle a gonflé le commerce, juteux et très attractif, de ces produits.
« Beaucoup de pharmacies proposent des produits périmés emballés dans des boîtes aux dates falsifiées », témoigne Simon Kalunga de l’Inspection provinciale de la Santé publique, à Goma, dans la lutte contre la vente de faux médicaments. En moins de deux ans, des centaines de cas ont été recensés, des stocks de faux médicaments saisis, leurs propriétaires arrêtés et condamnés par la justice. L’implication de l’Inspection provinciale de la Santé publique devrait aider à décourager ces pratiques. « Elle doit aller plus loin en mettant sous scellés les pharmacies qui continuent à vendre de faux médicaments. Et la justice doit arrêter les pharmaciens coupables », souhaite pour sa part le pharmacien André Kambale. Outre les dépôts pharmaceutiques, les autorités de Goma veulent s’attaquer aux officines qui persistent dans cette pratique tant décriée.
Pour être efficace, la lutte nécessite l’implication de tous, à commencer par les pharmaciens. « Quand les gens viennent acheter des médicaments dans ma pharmacie, je leur explique la différence entre les produits européens et asiatiques. Je conseille d’acheter le plus efficace malgré son prix élevé », souligne Jérôme Massiala, propriétaire d’une pharmacie à Kinshasa. « Malheureusement, de nombreux confrères se contentent de vendre, quelle que soit la qualité du produit, sans donner aucune explication à la population peu avertie », regrette-t-il. Mais abandonner la vente des médicaments peu actifs n’est pas facile parce qu’ils rapportent beaucoup et sont plus demandés que les produits européens.