Entre surpopulation, magouilles, arnaques, corruption et favoritisme, l’enseignement supérieur et universitaire va tellement mal que ceux qui en sortent ne brillent pas par leurs qualités intellectuelles. État des lieux d’un secteur en décomposition avancée.
Vous avez dit crise ? Un professeur qui a derrière lui de longues années d’enseignement, aussi bien dans les universités publiques que privées, répond, la voix brisée : « C’est évident qu’il y a crise. Mais le mot crise ne traduit pas assez l’ampleur des dégâts. Il faut plutôt parler de marasme. Je me demande si les responsables, à tous les niveaux, se rendent compte que la situation est critique. Nous sommes installés dans la durée. Il faut absolument tout refaire. Mais qui va s’en charger ? » La crise de l’enseignement supérieur et universitaire est l’une des plus sérieuses que la République démocratique du Congo traverse depuis décennies. Cela se traduit concrètement par l’arrivée sur le marché de l’emploi de jeunes diplômés qui, au bout de trois ou cinq ans de formation, sont loin d’être des têtes bien faites ou bien pleines. Plus étonnant, ils ne maîtrisent pas les outils les plus élémentaires, les plus indispensables pour tout diplômé de l’enseignement supérieur et universitaire : savoir s’exprimer correctement, savoir écrire.
Responsabilité partagée
D’aucuns pensent que ce mal, quasi général, n’est pas imputable à la seule université. Il prend ses racines à l’école maternelle, se développe à l’école primaire, se solidifie au secondaire. Et quand l’ancien élève devient étudiant, il est trop tard pour le reformater. Le cheminement est alors chaotique parce que les éléments de base n’ont pas été bien assimilés. Commentaire sans concession d’un professeur : « Ils entrent bêtes à l’université. Ils en sortent encore plus bêtes ! Bien sûr, ils ont appris à répéter certaines phrases, mais ils ne sont pas plus avancés pour autant. »
Quand on demande aux étudiants de dire pourquoi ils n’ont aucune maîtrise des fondamentaux, ils désignent vite les coupables : leurs professeurs. « Personne ne s’occupe de nous », se lamente un étudiant de l’université de Kinshasa. « Nous n’apprenons pas grand-chose faute d’encadrement. Les professeurs viennent nous lire leurs cours, un point c’est tout. Ils ne cherchent pas à nous transformer en disciples », ajoute-t-il. Cette plainte, si elle est fondée, n’exonère pas les étudiants de leurs propres responsabilités par rapport à l’indigence intellectuelle qui caractérise plusieurs générations d’entre eux. Très peu connaissent l’importance de la lecture et n’ont jamais fréquenté, tout au long de leur formation, la moindre bibliothèque. La documentation personnelle ? Internet est là, pas question d’aller loin. Il n’est donc pas étonnant, dans ces conditions, qu’un diplômé en journalisme, option économie, ne connaisse pas les principales organisations économiques africaines. Qu’une présentatrice, à la télévision publique, parle de « Mary Robinson, ancienne présidente de la Suède » et qu’une de ses consœurs, sur une chaîne privée, fait découvrir « Maputo, à la Mozambique ».
Faut-il, comme le proposent certains spécialistes de la question rétablir les concours d’entrée qui permettaient à quelques établissements d’enseignement supérieur et universitaire de séparer, dès le départ, le bon grain de l’ivraie ? C’est facile à dire car, même là où le concours d’entrée est toujours d’actualité, à l’instar de l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (IFASIC), la régularité des résultats est sujette à caution. La raison est simple, comme l’indique un professeur qui en a vu d’autres : « Les concours d’admission n’ont plus d’intérêt parce que les universités et instituts supérieurs ont besoin de milliers d’étudiants afin de continuer à exister. L’argent prime sur la qualité ! »
Les filières à la mode
Pendant que le pays manque d’ingénieurs, de normaliens, d’architectes, d’informaticiens, une nouvelle mode s’est instaurée dans les milieux scolaires. À chaque rentrée académique on voit plus d’étudiants en droit, communication, journalisme, relations internationales… Certains frappent à la porte de la faculté de médecine parce que, affirment les mauvaises langues, tous les jeunes gens veulent devenir… gynécologues ! Mais cette tendance n’est pas sans conséquence. Ici et là, on se rend compte que beaucoup de filières jadis recherchées ne cessent de disparaître du monde universitaire congolais. Un professeur de l’université pédagogique du Congo ne cache pas son inquiétude : « Il y a souvent plus d’enseignants que d’étudiants dans certains instituts supérieurs qui ont été transformés en universités, comme l’ancien Institut pédagogique national. Pire, certains départements universitaires ne recrutent plus ! »
Mais quelle est la part des enseignants dans la dégradation de la qualité de l’enseignement supérieur et universitaire ? Ils seraient, selon plusieurs sources (milieux universitaires, étudiants, parents…) au cœur du problème. L’un d’eux n’y va pas par quatre chemins : « Beaucoup sont devenus enseignants pour pouvoir toucher la prime de 2 000 dollars accordée par le gouvernement sans avoir suivi un cursus normal. Leur préoccupation principale reste la vente de syllabus aux étudiants, à des prix qui varient entre 20 et 40 dollars.
Quand ils enseignent, ils se contentent de lire les syllabus, sans que leur discours soit clair. Ces gens sont dangereux. Ils favorisent le laissez-aller et s’adonnent à l’affairisme. Ils n’ont aucun suivi sur l’évolution des étudiants. Ils se servent sur la bête en transformant les parents en vaches à lait et ne rechignent pas à avoir des relations sexuelles avec des étudiantes auxquelles elles donnent des notes qu’elles ne méritent pas. Et qu’est-ce que nous produisons ? Des analphabètes ! Il nous faut une révolution de l’excellence ». Cet enseignant en colère relève, par ailleurs, que l’enseignement supérieur et universitaire congolais ressemble à une armée mexicaine avec beaucoup plus de professeurs que d’assistants et de chefs de travaux.
La problématique du syllabus compte parmi les nombreux dysfonctionnements du système universitaire. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce qui est vendu aux étudiants n’est pas le fruit des travaux personnels des professeurs. Ils se contentent de reprendre, en général, des textes écrits par d’autres, qu’ils trouvent dans certains ouvrages ou sur le web. Gare à celui qui n’achète pas son syllabus : sa copie d’examen ne sera pas corrigée et il risque de reprendre l’année. Une étudiante témoigne : « La correction des copies d’examens se fait en fonction de l’achat du syllabus. L’échec est garanti pour ceux qui ne l’ont pas fait. Lors de la délibération, les membres du jury sont pris en charge par les étudiants qui déboursent une somme de 4 000 francs pour voir leurs notes à la première comme à la deuxième session.
La loi du moindre effort
Autre préoccupation, la valeur des diplômes délivrés (graduat ou licence). Les étudiants se contentent de la loi du moindre effort. Comme ils n’ont jamais grand-chose, l’Internet reste leur unique source de savoir. Quand ils préparent leurs mémoires, ils ne démènent pas outre mesure : ils savent d’avance que le succès est garanti. « Les professeurs qui dirigent nos mémoires ne les lisent jamais. Ils sont uniquement intéressés par les frais de dépôt : entre 80 et 100 dollars. Ce sont eux, en général, qui nous refilent d’anciens que nous nous contentons de copier », reconnaît une ancienne étudiante. Le plagiat est tel que, lorsque certains membres du jury constatent l’évidence et suggèrent de renvoyer l’étudiant ou l’étudiante coupable, ses collègues interviennent. Et ils disent : « Même s’il y a plagiat, la personne a quand même travaillé. Donnons-lui sa chance ». C’est de cette manière que se closent tous les cas de plagiat avéré. Réflexion d’un professeur : « La nation est en droit d’attendre autre chose de ses enseignants que ce nous voyons aujourd’hui ! »