Un ami à qui j’ai fait tout récemment part de mes récriminations contre la Société nationale d’électricité (SNEL) pour ses fréquentes et intempestives interruptions de fourniture d’électricité dans mon quartier, m’a rétorqué de but en blanc, me riant presque au nez : « Tiens, vous n’avez pas un général d’armée, une haute personnalité du gouvernement, un ministre ou un député dans votre quartier ? » Et me voyant tourner la tête dans tous les sens pour lui dire non, l’ami a lâché : « Ne te lasse pas d’acheter des bougies ou une lampe à pétrole. Les Chinois nous en vendent à profusion…! » Je n’ai pas encore été dans les boutiques de commerçants chinois, mais je dispose déjà d’un stock de paquets de bougies made in China.
Ainsi, il faudrait dorénavant s’assurer, avant de choisir de s’installer dans un quartier de la capitale, si une notabilité quelconque s’y trouve. Sinon, c’est le délestage en permanence. Le « délestage », un euphémisme pour parler en réalité de l’arnaque, parce que, voyez-vous, malgré cette privation organisée d’électricité, je continue de recevoir régulièrement mes factures.
Ainsi, il faudrait dorénavant s’assurer, avant de choisir de s’installer dans un quartier de la capitale, si une notabilité quelconque s’y trouve. Sinon, c’est le délestage en permanence
Nos élus ont voté il y a peu la libéralisation de la production et de la distribution de l’énergie, consacrant ainsi la fin du monopole d’État dans ce secteur. Malheureusement, bien qu’une loi ait été promulguée dans ce sens par le Président de la République, son application se fait toujours attendre. Sans doute à cause des enjeux importants et des intérêts énormes du secteur.
En attendant, la boutade de mon ami n’a pas fini de me secouer littéralement les méninges. Recherchant une solution à mon problème, j’en suis arrivé à me souvenir d’une pratique sociale que les Romains observaient déjà et qui consistait, pour les notables, à faire profiter la collectivité de leurs richesses. L’évergétisme, puisque c’est de cela qu’il s’agit, était même devenu une obligation pour les riches, pour tout mandataire de la puissance publique (consul, édile, etc.) avant toute entrée dans une magistrature importante de se montrer généreux, en offrant des banquets publics, des spectacles gratuits ; en finançant des édifices d’utilité publique.
L’évergétisme, que l’on s’entende bien, ne consiste pas à détourner l’argent du contribuable pour ériger des édifices (écoles, centres de santé, etc.) que l’on fait passer pour des dons. Ce n’est pas non plus du clientélisme ! Le clientélisme que nous nous apprêtons à subir dès l’année prochaine, lors de différents scrutins électoraux, avec la distribution de « dons », ces faveurs injustifiées accordées à des citoyens en échange de leur vote : libations, pacotille (t-shirts, pagnes à l’effigie du candidat, etc.), nourriture…
Dans la situation qui est la mienne, mais aussi celle de nombreux citadins kinois piégés dans une capitale qui vous soumet à un régime presque de diète (sans eau, sans électricité, moult bruits, moult détritus, etc.), il n’est évidemment pas question de faire le difficile ! Si l’envie prenait un candidat à une quelconque mandature de nous faciliter l’accès à l’alimentation en eau potable et en électricité, personne n’osera lui jeter de pierre ! On se serait pourtant attendu à plus de libéralités, à plus de générosité, aujourd’hui plus que jamais, avec l’apparition d’une bourgeoisie locale dont les membres, fortunés, se recrutent aussi bien dans le monde des affaires qu’en politique.
On en voit pour preuve ces constructions qui jaillissent chaque jour du sol kinois : un hôtel ici, là-bas un immeuble avec appartements, plus loin un building avec des bureaux. Ces constructions poussent, certes, tels des champignons mais sans un plan d’aménagement préalable, et contribuent davantage à enlaidir la ville qu’à l’embellir. Leur apparition n’a aucun impact dans l’amélioration de l’environnement général de la ville car elles n’échappent nullement aux maux qui constituent le lot de tracasseries que subissent les Kinois : mobilité difficile due à l’état calamiteux du réseau routier urbain, fourniture aléatoire d’eau et d’électricité, insalubrité, nuisances sonores…
Le moment n’est-il pas venu pour tous ceux qui sont arrivés au sommet de jeter un coup d’œil généreux pour voir ce qui se passe en bas, là où ils vivotaient hier encore et où certains vont probablement retomber sous peu ? Le moment n’est-il pas venu d’instaurer la culture de l’évergétisme ? Nos frères en uniforme, qui disposent sans doute de moyens davantage plus persuasifs pour faire entendre leurs desidera ont inventé une belle formule imagée qui, me semble-t-il, constitue une pétition pour instaurer l’évergétisme dans notre société où l’individualisme est roi : « Leyisa punda ; punda akoleyisa yo ! » Faites manger le cheval, il vous le rendra au double. Sinon, ne vous étonnez pas s’il se montre récalcitrant et vous roue de coups.