La FEC, juge et partie

Le patronat et ses partenaires seraient-ils prêts à entrer dans le capital des grandes entreprises publiques de transport multimodal, incapables financièrement de réhabiliter les appontements et d’équiper suffisamment les plates-formes en engins adéquats pour satisfaire les multiples sollicitations de manutention ? L’enjeu est de taille. 

Les machandises au port de Matadi.
Les machandises au port de Matadi.

La Fédération des entreprises du Congo (FEC) n’a jamais fait mystère de sa position concernant la gestion des ports maritimes de Boma et Matadi. Avant la réforme des entreprises publiques, elle s’était prononcée pour la privatisation intégrale de l’Office national des transports (ONATRA). Avant de se raviser, pour ne réclamer que la privatisation de sa gestion. Mais, depuis le désengagement de l’État des entreprises publiques, le discours est plutôt à la transformation des ports publics de Matadi et Boma en entités autonomes.

Pour la FEC, le port de Matadi demeure la principale plaque tournante de l’économie congolaise. À ce titre, sa redynamisation s’impose compte tenu du volume des flux de fret transactionnel. Les navires mouillent plus longtemps que prévu avant d’y accoster. Les infrastructures et les équipements ploient sous le poids de l’âge depuis des lustres. La situation n’est guère, non plus, reluisante au port de Boma où est concentrée, depuis plusieurs années, toute l’activité d’import-export.

Diagnostic 

Dans ses différents rapports annuels, la FEC n’a cessé de recommander au gouvernement de transformer, le plus tôt possible, ces deux entités en ports autonomes, dans le cadre d’un partenariat public-privé. Le patronat était allé même plus loin en recommandant aussi la privatisation du chemin de fer Kinshasa-Matadi, géré également par la SCTP. Le patronat estime qu’il faudra appliquer la même thérapeutique aux ports fluviaux et lacustres, notamment celui d’Ilebo (Kasaï) ou celui de Kalundu, près d’Uvira (Sud-Kivu), administrés par la SNCC.

La FEC et ses partenaires seraient-ils donc prêts à entrer dans le capital de ces deux grandes entreprises publiques de transport multimodal ? L’enjeu est de taille. Environ 85% des recettes annuelles de l’ONATRA provenaient de ses activités aux ports maritimes et 6% à 7% du trafic sur le chemin de fer Kinshasa-Matadi.

Les dirigeants de cette entreprise, soutenus en cela par les différents mouvements syndicaux – Actions, Solidarité, VTC -, s’opposaient farouchement à la FEC. L’option envisagée par le patronat, comme le dénonçait Dieudonné Kande de la Voix du travailleur congolais, s’apparentait à une « offre publique d’achat très inamicale qui tombe au moment où on parle de contrats léonins ». En effet, explique un autre syndicaliste, Thomas Mbenza, l’ONATRA a fait, en 2006, l’objet de moult audits « tous biaisés », avec des auditeurs qui avaient déjà leurs conclusions en tête : la privatisation de l’entreprise. « Ce qu’il faut pour l’ONATRA, c’est plutôt une gestion saine de ses recettes à l’abri des immixtions politiques », soutient-il. Des sources concordantes, la SCPT réalise en moyenne 7 millions de dollars par mois, dont près de 3 millions pour les rémunérations. Mais les agents accusent des arriérés de salaires.

Cinquième colonne

Il existerait une cinquième colonne au sein de la SCPT formée par des cadres de l’entreprise, propriétaires ou copropriétaires d’engins lourds. Ils profiteraient de leurs fonctions pour détourner le tonnage des containers déchargés aux ports de Matadi et de Boma. Le port de Matadi a été conçu comme une plate-forme de transit. Mais, aujourd’hui, il concentre les activités qui devraient être effectuées au terminal container et au port de Kinshasa. L’usure est, d’ailleurs, la principale cause de la fermeture de la première section, le quai Matadi, avec ses quatre postes, qui date de 1907.

« Il ne suffit pas seulement de réhabiliter les ports de Matadi et Boma pour prétendre avoir résolu le problème de désengorgement. C’est tout le réseau de transport routier et ferroviaire qu’il faut réhabiliter et renforcer »

Les partenaires chinois de l’ONATRA s’étaient intéressés à sa réfection. La deuxième section, Fuka Fuka, opérationnelle depuis 1926, a été réhabilitée en 1986. C’est à ce niveau qu’est aménagé, en arrière-quai, le terminal containers dont la capacité de stockage est de 3 500 TEU. La troisième section, Kala Kala, qui est la zone la plus sollicitée, date de 1956. Elle reçoit des navires de type cargo-mixte et les céréaliers de grand tonnage.

Le port de Matadi compte sept magasins dont trois avec étages, pour une superficie couverte de 64 000 m2.

Selon Sébastien Ilunga, un spécialiste du transport multimodal, le Congo peut s’inspirer de la politique de l’État de Gujarât, en Inde, pour réaliser des connections ferroviaires entre les ports fournissant ainsi une connectivité nationale aux ports mineurs. « Le Gujarât a été un pionnier du concept de libéralisation des ports en Inde et s’en est servi pour devenir l’État à la croissance la plus rapide. Ces résultats représentent sans doute un exemple à suivre pour d’autres États indiens et d’autres nations », estime Ilunga. Dans cette optique, la libéralisation partirait du port de Matadi qui demeure la principale plaque tournante de l’économie congolaise, plaide-t-il. « Sa redynamisation s’impose en raison de flux du cargo. La libéralisation permettra de résoudre la question des équipements devenus vétustes », d’après lui.

Investissement lourd

La réhabilitation des ports de Matadi et Boma nécessite un investissement lourd que le gouvernement n’a pas, fait remarquer Sébastien Ilunga. L’entreposage des marchandises en import comme à l’export pose problème. À Matadi, les containers et les véhicules s’entassent toujours.

À Boma, l’Office de gestion du fret multimodal (OGEFREM) a aménagé un parc automobile d’une capacité de 2 500 véhicules. Mais cela ne suffit pas pour décongestionner le port. Le gouvernement avait indiqué que la réhabilitation des installations portuaires se ferait sur le modèle partenariat public-privé. « Il ne suffit pas seulement de réhabiliter les ports de Matadi et Boma pour prétendre avoir résolu le problème de désengorgement. C’est tout le réseau de transport routier et ferroviaire qu’il faut réhabiliter et renforcer », indique Ilunga.