En 2009, la capitale était classée première agglomération urbanisée d’Afrique devant Le Caire et Lagos, parmi les mégapoles. Faute de politique et stratégies de développement des centres urbains, elle ne figure plus dans le peloton de tête. Difficile dans ces conditions de relever les défis des mégapoles à l’échéance de 2030.
Il y a une grande interrogation sur la physionomie des villes africaines à l’horizon 2030. C’est à cette échéance que l’on devra faire le bilan des Objectifs de développement durable (ODD). À l’instar des autres villes du continent, Kinshasa a des difficultés énormes à intégrer des migrants ruraux, à promouvoir la santé, l’éducation, la formation et l’emploi en faveur de ses habitants dont la plupart vivent dans des quartiers moins urbanisés, des bidonvilles et les zones périurbaines. Comment dans ce cas atteindre les ODD ? En 1960, l’Afrique ne comptait que deux villes de plus d’un million d’habitants, Le Caire en Égypte et Johannesburg en Afrique du Sud. Cinquante ans après, on dénombrait 57 villes contre 25 dix ans plus tôt, avec cinq villes géantes : Kinshasa (13,9 millions), Le Caire (12,5), Lagos (10,8), Khartoum (5,2) et Luanda (4,8). En 2025, Lagos au Nigeria) et Kinshasa au Congo devraient devenir les onzième et douzième plus grandes villes du monde, surpassant Los Angeles et Pékin, selon un rapport de l’ONU-Habitat publié en 2014. D’après l’organisme onusien, il faut réinventer la transition urbaine en Afrique.
Selon la Banque africaine de développement (BAD), la planification proactive de la croissance de la population urbaine est embryonnaire à Kinshasa comme dans d’autres villes africaines. Le rapport des Nations unies sur l’évaluation de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) au-delà de 2014 indique qu’un déséquilibre oppose la capitale, où vit jusqu’au tiers de la population du Congo, et les campagnes qui se vident de leurs habitants. Kinshasa concentre les services, les infrastructures et les meilleures opportunités, mais les dirigeants du pays n’adoptent pas de politiques correctrices de la situation.
Contrairement à une quarantaine de pays africains, le Congo est en retard dans le développement des centres urbains de moyenne et petite tailles. Le gouvernement a opté pour la décentralisation territoriale, mais les stratégies de développement rural pour réduire les facteurs, qui sous-tendent l’exode rural, ne sont pas clairement définies.
Débat sur les modèles
Bien des spécialistes soulignent que le modèle urbain africain n’est pas un obstacle au développement de l’agriculture, à condition de revenir à ses fondamentaux dont la première fonction est de nourrir la population. Ce n’est qu’après avoir rempli ce rôle que l’agriculture devrait s’orienter vers les exportations. Par ailleurs, la main-d’œuvre dans le secteur agricole est partout pléthorique, malgré l’apparent sous-peuplement des campagnes. Les experts précisent que les problèmes de l’agriculture sont plus souvent liés aux incohérences des politiques et des investissements qu’aux conséquences de la démographie et de l’urbanisation. D’après eux, Kinshasa, comme d’autres villes africaines, a une opportunité à saisir pour développer une agriculture modernisée rentable, respectueuse de l’environnement, et qui viendrait en soutien à l’agro-industrie.
À la question de savoir si Kinshasa sera parmi les villes en mesure d’accueillir 300 millions de personnes d’ici 2030, tout en créant la richesse attendue, les avis des experts divergent. Néanmoins, les spécialistes interrogés reconnaissent que le défi paraît immense. De leurs avis, on retient que si les tendances politiques actuelles se maintiennent, Kinshasa n’en sera pas capable. La meilleure option serait de renforcer l’équilibre entre le rural et l’urbain, préconisent la plupart d’entre eux. Pour y parvenir, il faudra des investissements sociaux, économiques et environnementaux ciblés sur les jeunes afin de stabiliser les populations dans les territoires.
Symbole de la croissance urbaine
Selon les projections des Nations unies et d’institutions comme la BAD, le taux d’urbanisation de l’Afrique augmenterait de 50 % vers 2035, voire à près de 60 % en 2051, soit alors environ 1,2 milliard d’urbains. En 2010 déjà, plus d’un quart des cent villes les plus dynamiques au monde en termes de démographie étaient situées en Afrique. Ce chiffre devrait largement évoluer, car si des conurbations comme Kinshasa, Abidjan ou Lagos sont souvent mises en avant comme symboles de cette croissance urbaine, de telles mégalopoles ne devraient pourtant accueillir en moyenne qu’une part minoritaire, 20 à 30%, des futurs urbains. Les villes dites intermédiaires ou de taille moyenne, voire les petites villes, seront au contraire celles sur lesquelles pèsera le plus lourd fardeau.
Au vu des analyses, la croissance des villes africaines pourrait se faire de façon inégale et à des rythmes extrêmement différents d’un pays à l’autre, probablement en fonction des événements politiques, de la qualité de la croissance économique ou encore du rattrapage des campagnes qui a fréquemment freiné la part de l’exode rural responsable de l’urbanisation. Toutefois, une certitude demeure. Kinshasa, comme d’ailleurs d’autres villes géantes d’Afrique, doit s’attendre à connaître en moins de 30 ans un choc démographique de grande ampleur. En raison du renforcement de sa capacité à attirer les populations pauvres des campagnes, y compris des pays limitrophes. Comme le rappelle Marie Huchzermeyer, une spécialiste des villes africaines, les pauvres qui vivent dans les pays périphériques voient la ville comme un marché au sens pré-industriel du terme. Ils n’y viennent pas dans l’espoir d’y trouver un emploi formel, un prêt et une maison, mais dans celui de décrocher une petite part du marché informel du commerce de détail et des services.
Une fenêtre pour la croissance économique
Cette transformation peut représenter une chance pour le Congo comme le soulignent plusieurs études réalisées par l’Agence française de développement (AFD). Une croissance économique forte et soutenue est impossible dans un désert humain. Par ailleurs, loin d’être suffisante, la densification des territoires et l’urbanisation qui en résulte sont une condition nécessaire à la croissance. Comme ailleurs et à d’autres époques, ce processus générera mécaniquement des gains de productivité substantiels, des opportunités de commerce, et un certain rythme de croissance économique. La croissance des villes africaines devrait également entraîner un accroissement significatif de la taille des marchés de consommation que représenteront demain ces centres urbains. Un rapport de Mac Kinsey avance qu’en 2020, les villes d’Alexandrie, du Caire, du Cap, de Johannesburg et de Lagos devraient chacune bénéficier de populations dotées d’un pouvoir d’achat supérieur à 25 milliards de dollars par an, une douzaine d’autres villes moins importantes relevées dans l’étude affichant des chiffres proches de 10 milliards. L’Afrique accueillera demain d’importants foyers de consommation et de main-d’œuvre, d’une jeunesse estimée à 1,1 milliard de personnes en 2040, dépassant leurs équivalents indiens et chinois combinés selon l’image retenue par le dernier rapport de UN Habitat.
Le Kinshasa de demain peut devenir le creuset de changements uniques en matière de gestion de ressources, de gouvernance et d’apprentissage du vivre ensemble. Elle pourrait passer directement à un développement plus durable en matière de transport, d’énergie, ou encore de gestion des eaux et des déchets. L’alternative serait au contraire synonyme de risques de déstabilisation de grande ampleur pour le pays et l’Afrique. Or ces risques sont réels, ne serait-ce qu’au regard du constat actuel. À la différence de ce que l’on peut observer au niveau mondial où la croissance urbaine a une nette tendance à stimuler la construction et les infrastructures, secteurs qui agissent à leur tour comme autant d’agents démultiplicateurs d’activité, Kinshasa n’entraîne pas, pour l’heure, d’accélération significative de la croissance économique. En d’autres termes, l’urbanisation n’a pas conduit à une amélioration déterminante des conditions de vie. Plusieurs facteurs expliquent cette stagnation : le secteur agricole continue, en Afrique, à souffrir d’un manque cruel de capitaux.