L’Union européenne veut lutter contre l’immigration clandestine en finançant des projets de développement dans les pays d’origine. Pour des spécialistes, c’est un coup d’épée dans l’eau tant qu’on ne misera pas sur l’argent de la diaspora pour détourner les jeunes de leur rêve d’une Europe considérée comme un eldorado.
L’Union européenne a annoncé la création d’un fonds doté de 2 milliards d’euros pour la réalisation des projets de développement dans les pays d’origine des migrants. Mais quelques projets de développement suffiront-ils à donner de l’emploi à des milliers de jeunes, notamment africains, qui rêvent d’une vie meilleure en Europe ? L’Union européenne n’en est pas à sa première tentative dans la lutte contre l’immigration clandestine. Tant que les transferts de fonds des migrants seront considérables, en ce sens qu’ils aident les familles dans leurs dépenses de base, les migrants donneront toujours l’impression aux jeunes restés au pays que la réussite sociale est en Europe.
Créer le bonheur
« Il faudrait créer le bonheur et la richesse en Afrique pour que cesse l’illusion selon laquelle l’Europe, c’est le paradis », déclare le sociologue Ludovic Malonga. D’après lui, les expulsions massives des étrangers en situation irrégulière et les mesures restrictives d’immigration imposées par les pays d’accueil ne pourraient arrêter les jeunes à tenter l’aventure européenne. Au contraire! Ludovic Malonga et Gilbert Angale, économiste, mènent une étude sur le poids économique des migrants dans le développement des pays de l’Afrique centrale. En dépit de la conjoncture économique mondiale défavorable, la Banque mondiale prévoit une tendance haussière des transferts de fonds des migrants, qui devraient atteindre près de 600 milliards de dollars en 2015, dont près de 500 milliards vers les pays en développement. Toutefois, les données disponibles ne font apparaître qu’une partie des envois. Elles ne prennent en compte ni les envois effectués via des opérateurs privés, ni les envois effectués de manière informelle. Par ailleurs, le coût de ces transferts est tel que les sommes envoyées n’ont pas tout l’impact qu’elles pourraient avoir. Selon les statistiques récentes de la Banque mondiale, les Africains déboursent plus que n’importe quel autre groupe de migrants pour envoyer de l’argent chez eux. Pour toutes ces raisons et bien d’autres, Gilbert Angale estime que les migrants doivent faire partie de la solution. « En encourageant les migrants à investir dans leurs pays d’origine à travers l’assouplissement des coûts de transfert de leurs fonds, il y aurait moins de jeunes qui penseraient à s’expatrier », souligne Gilbert Angale. L’Afrique subsaharienne est la destination la plus coûteuse du monde en matière de transfert de fonds : les frais moyens de transfert depuis l’étranger ont atteint 12,4 % en 2012. Les tarifs des envois de fonds sont encore plus élevés entre les nations africaines. C’est en Afrique du Sud, en Tanzanie et au Ghana qu’ils sont les moins avantageux : ils se montent respectivement à 20,7 %, 19,7 % et 19 % en moyenne, en raison de divers facteurs dont la faible concurrence qui prévaut sur le marché des transferts de fonds internationaux. Le coût moyen des envois vers l’ensemble de l’Afrique avoisine 12 %, un taux supérieur à la moyenne mondiale (8,96 %) et près de deux fois plus élevé que le coût des transferts de fonds vers l’Asie du Sud, qui bénéficie des tarifs les plus faibles au monde (6,54 %).
En 2014, le G8 et le G20 avaient pour objectif de ramener le coût des transferts à 5 % du montant transféré. Ce qui restituerait 4 milliards de dollars aux migrants africains et à leurs familles. Le Fonds international des Nations unies pour le développement agricole (FIDA) est favorable à l’assouplissement des conditions de transfert. Il estime que l’argent des migrants africains peut mieux contribuer au développement du continent, à condition de rendre ce marché plus concurrentiel et d’étoffer le réseau d’agences pour que les transferts empruntent des voies formelles. Selon le FIDA, le volume des transferts d’argent des migrants vers leurs pays d’origine est actuellement trois plus important que les investissements directs étrangers (IDE) ou l’aide publique au développement. Les migrants venant de pays en développement sont à ce jour plus de 200 millions dans le monde. Comme le FIDA et d’autres institutions internationales, la Banque africaine de développement (BAD) se penche sur ce phénomène depuis des années. Elle sensibilise sur les opportunités que représente cette manne financière pour les économies nationales.
Impact sur les économies
La BAD a réalisé une vaste étude sur les transferts de fonds des migrants pour déterminer leur impact sur les économies africaines. La première étape de cette étude a été menée auprès des migrants résidents en France et des destinataires dans quatre pays : le Maroc, le Sénégal, le Mali et les Comores. La deuxième étape concerne les ressortissants des pays de l’Afrique subsaharienne dont la RDC. La BAD accorde une grande importance à la promotion des transferts de fonds effectués par les travailleurs migrants et à leur impact sur le développement en Afrique. Diverses études indiquent que ces transferts prennent de plus en plus une importance croissante dans les économies des pays à forte migration. Cependant, malgré leur poids, les flux financiers générés en direction des pays africains demeurent mal connus.
Même si la majorité de cet argent ne sert, en réalité, qu’à couvrir les besoins de base et les dépenses d’urgence ou sociales des familles proches du seuil de la pauvreté, il représente entre 80 % (Mali) et 750 % (Maroc) de l’aide publique au développement. La précarité économique est souvent la raison d’être de la migration. C’est ainsi que cet argent participe à l’amélioration du pouvoir d’achat des proches, et donc au soutien de l’économie locale, notamment des secteurs de commerce et des services. « Mais à la différence des investissements, elles ne participent pas à l’essor de nouvelles activités économiques », pense Paolo Massimo, expert de l’Union européenne.
Canaliser les fonds
L’importance sociale, économique et financière des transferts de fonds dans les pays récipiendaires est indéniable. La question des transferts de fonds et de la mobilisation de ces ressources fait l’objet de trois types d’approche. L’approche anglo-saxonne qui considère que l’accent doit être mis sur la fluidification de l’offre de services. Pour ce faire, il convient de stimuler la concurrence par une réglementation souple, la diffusion d’informations sur les prestations des opérateurs à la clientèle et la diversification des modes de transferts rapides (par innovations technologiques notamment).
L’approche hispanique prévalant dans les pays d’Amérique latine et adoptée par le Maroc privilégie une stratégie de bancarisation des migrants afin de capter les ressources consacrées à l’épargne. Les migrants se voient proposer une vaste gamme de produits bancaires spécifiques à leurs besoins et les transferts deviennent alors un produit d’appel à coût très bas. Cette approche gagne du terrain avec les rapprochements en cours entre les banques marocaines et leurs consœurs d’autres pays africains. L’approche francophone tente davantage de canaliser les ressources des migrants vers des investissements collectifs dans les infrastructures de santé et d’éducation ou dans des projets productifs entrant dans le cadre de programmes de co-développement.
La BAD recommande une démarche intégrée de manière à réduire les coûts et d’accroître la sécurité des transferts et contribuer en même temps à implanter le secteur bancaire en Afrique.