Les élections de dimanche ouvrent la possibilité d’un changement sur la scène politique espagnole. A cette occasion, il va être décidé si l’on continue les politiques antisociales développées par le Parti populaire, ou s’il est possible de constituer une nouvelle majorité qui s’oppose aux politiques d’austérité qui ont contribué à augmenter les inégalités et la pauvreté dans le sud de l’Europe.
Le pari du changement a déjà commencé à se matérialiser après les élections municipales du 24 mai 2015, quand plusieurs candidatures citoyennes ont remporté les principales villes espagnoles. Dans le cas de Barcelone, la candidature de « Barcelone en commun » [plate-forme citoyenne constituée de la gauche radicale et écologiste] s’est constituée sur la base d’un programme s’articulant autour de la lutte contre les inégalités, la régénération de la démocratie, en se basant sur des critères de participation et de transparence, ainsi que sur la reconnaissance du droit des Catalans à décider de leur avenir au sein de l’Etat fédéral.
Cependant, ce 20 décembre, les élections ne seront pas ordinaires. Non seulement le bipartisme pourrait être renversé, mais encore, toutes les formations étatiques de gauche qui participent à ce scrutin sont favorables à un processus de réforme constitutionnelle qui implique de repenser le modèle territorial actuel. Et, pour la première fois dans l’histoire de l’Espagne, une candidature [celle du parti Podemos] ayant ses chances d’accéder au pouvoir inclut dans son programme l’organisation d’un référendum en Catalogne.
Pendant bien des années, la remise en cause du cadre territorial a été un thème tabou relégué aux confins du Pays basque, de la Galice et de la Catalogne. Cependant, la revendication catalane a placé le débat territorial au cœur de la politique espagnole, faisant en sorte qu’aucun parti politique ne puisse plus la contourner.
D’après la majorité des enquêtes d’opinion, près de 80 % de la population catalane est favorable à une consultation qui lui permette de décider quelle doit être sa relation future avec l’Espagne, et la moitié des interrogés serait en faveur de l’indépendance, dans le cas où celle-ci se concrétiserait. Cependant, toutes ces données ne sont que le fruit de sondages, étant donné que le gouvernement du Parti populaire a bloqué toute tentative de consultation démocratique, considérant que celle-ci se situait en dehors du cadre constitutionnel.
Nous nous trouvons ainsi face à la collision entre deux droits : d’une part, le principe démocratique, basé sur la règle de la majorité ; d’autre part, le principe de légalité, fondé sur le respect du système légal en vigueur. Cette situation a conduit à un blocage politique et légal que révèlent le choc des légitimités entre l’exécutif central et l’autonome et les difficultés à former un gouvernement, même si les formations indépendantistes sont majoritaires au Parlement catalan.
Bien que le droit international limite l’application du droit à l’autodétermination aux situations coloniales, le principe de légalité devrait pouvoir trouver sa place pour garantir le principe démocratique, de la même façon qu’il a été mis en place dans des démocraties avancées telles que le Royaume-Uni ou le Canada. Dans ces conditions, le référendum apparaît comme un instrument juridique reconnu au niveau international pour résoudre ces conflits territoriaux. Cependant, sa matérialisation se confronte à l’ordre constitutionnel en vigueur qui régit l’unité de l’Etat espagnol.
Jusqu’à l’apparition du parti Podemos, nous nous trouvions dans une boucle sans fin. D’une part, les partis étatiques affirmaient que l’organisation d’un référendum unilatéral pour l’indépendance exigeait une réforme constitutionnelle, mais, d’autre part, ils refusaient d’entreprendre cette réforme. Dans le même temps, les partis nationalistes catalans approuvaient des mesures permettant ce référendum, mais elles étaient automatiquement retoquées pour le gouvernement espagnol.
Une façon de rompre cette spirale se trouve dans la jurisprudence internationale. Par exemple, dans la réponse de la Cour suprême du Canada après l’organisation du deuxième référendum du Québec [en 1995], et la loi fédérale sur la clarté référendaire qui en a découlé.
Cette option d’un référendum avant une réforme constitutionnelle, renforcée par un cadre légal qui la soutienne, semble être la meilleure solution pour concilier les principes de légalité et de démocratie qui se confrontent actuellement dans la question catalane.
De plus, l’acceptation d’un référendum permettrait de normaliser le débat politique en Catalogne et en Espagne, de façon à ce que les pro et anti-indépendance puissent s’exprimer et se compter. L’expérience des consultations réalisées au Québec et en Ecosse montre qu’un référendum peut être organisé dans une normalité démocratique, en exposant les coûts et les bénéfices d’une éventuelle séparation.
En tant que maire de Barcelone, capitale de la Catalogne, je considère que la situation de blocage institutionnel est insoutenable et porte préjudice au développement normal des institutions. Dans ce sens, je presse le nouveau gouvernement espagnol qui sera nommé à l’issue des législatives du 20 décembre d’aborder la question catalane sans peur et d’établir les voies légales pour qu’un référendum ait lieu afin de débloquer cette situation. Si nous continuons dans cet immobilisme, les coûts politiques et sociaux seront bien supérieurs à ceux qui permettraient au peuple de résoudre les conflits à travers des procédures démocratiques.
(Traduit de l’espagnol par Roberto Salerno Lartigue)
*Née en 1974, Ada Colau est maire de Barcelone depuis le 13 juin 2015, sous les couleurs du mouvement « Barcelone en commun », avec le soutien du parti Podemos (gauche radicale).