Le fleuve Congo est essentiel pour les rapports entre les Kinois et les Brazzavillois. Face aux enjeux du futur, les autorités d’en face sont en voie de gagner leur pari d’aménagement des infrastructures portuaires.
Selon des projections démographiques du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Kinshasa sera classé 14ème ville au monde à l’horizon 2025. À cette échéance, la capitale de la République démocratique du Congo représentera un marché de plus de 15 millions de consommateurs. Aujourd’hui, pour se nourrir, les Kinois dépendent largement des produits importés. Faute d’infrastructures multimodales, il va se poser alors un grave problème de gestion des flux d’importations. Pour Brazzaville, c’est maintenant qu’il faut résoudre ce problème. D’où le lancement des grands travaux de construction ou de modernisation d’infrastructures de transport multimodal. D’après le ministre des Voies navigables et de l’Économie fluviale, Gilbert Mokoki, le Congo-Brazzaville devra jouer son rôle de plateforme stratégique régionale. C’est dans cette perspective que le port autonome de Brazzaville et ses ports secondaires seront complètement rénovés grâce à un financement de quelque 76 millions d’euros accordé par les bailleurs de fonds. Gilbert Mokoki souligne que des études de faisabilité avaient été réalisées, notamment en tenant compte des besoins de consommation de Kinshasa dont la population devrait passer de 15 à 25 millions d’ici 2025.
Une commission spéciale de coopération (COSPECO) entre les villes de Kinshasa Brazzaville a été mise en place pour gérer les échanges. Le maire de Brazzaville, Hugues Ngolondole, assure actuellement, jusqu’en 2017, la présidence tournante de cette commission. Quand il reprenait, en août 2015, le témoin à son homologue kinois, André Kimbuta Yango, le maire de Brazzaville avait fait le pari de ne ménager aucun effort pour « consolider les acquis et poursuivre les actions engagées ensemble ».
Joindre l’acte à la parole
Kinshasa et Brazzaville avaient décidé de moderniser les infrastructures, entre autres les ouvrages portuaires. Sur la rive droite du fleuve Congo, le pari est en passe d’être gagné. La firme chinoise Sinohydro achèvera, d’ici le mois de mars, des quais flambant neufs de plus d’un kilomètre de long. Un terminal à containairs est en construction à Maloukou en face de Maluku, côté Kinshasa. Outre le Chemin de fer Congo-Océan qui relie le port de Pointe-Noire à Brazzaville, une route à huit bandes doit également rapprocher les deux villes. La jonction de la route et du chemin de fer se fait près de Maloukou que le pont route-rail sur le fleuve reliera à Maluku. C’est-à-dire là où la Zone économique spéciale (ZES) ainsi que le Marché international de Kinshasa seront implantés. Les travaux de construction ont été lancés depuis quelques mois.
Selon des experts, Brazzaville veut drainer, via le port maritime de Pointe-Noire, la majeure partie des flux d’importations destinées à Kinshasa. Déjà, jusqu’à 60 % des importations de la République démocratique du Congo transitent actuellement par Pointe-Noire. C’est la conséquence non seulement du faible tirant d’eau sur le bief maritime, mais aussi de la vétusté des ports de Matadi, Boma et Banana. À Pointe-Noire, le groupe français Bolloré a investi quelque 570 millions d’euros pour l’érection d’un grand terminal à conteneurs. Les travaux de redimensionnement du port autonome de Brazzaville ainsi que des ports secondaires en face de Kinshasa sont, en réalité, pilotés par le groupe français Bolloré à travers ses filiales. C’est le cas de la société Terminaux du bassin du Congo (TBC), une filiale du groupe Necotrans qui est une branche de Bolloré. Necotrans a racheté, fin 2015, Mining Company Katanga (MCK) spécialisée dans la logistique minière et dans les transports routiers.
Ambition affichée
Bolloré ne cache pas ses ambitions : utiliser le fleuve Congo comme une autoroute pour pénétrer en profondeur l’Afrique. La première tentative de Bolloré en République démocratique du Congo remonte au milieu des années 1990, à l’époque du Zaïre. La firme française lorgnait le port de Matadi ainsi que son appendice, le chemin de fer Matadi-Kinshasa. Le Premier ministre d’alors, Kengo wa Dondo, n’y avait vu qu’une offre publique d’achat (OPA) inamicale à peine voilée qui ne visait que le phagocytage de l’économie zaïroise par le « petit Congo », comme on disait à l’époque. Bolloré refit son offre en 2010, sans vraiment convaincre, rapporte une source au ministère du Portefeuille. À travers un don d’un million d’euros, l’Agence française de développement (AFD) finança le Comité de pilotage de la réforme des entreprises du Portefeuille (COPIREP) pour une étude de faisabilité des partenariats public-privé à l’Office national des transports (ONATRA), devenu Société congolaise des ports et des transports (SCPT). Le dossier s’est enlisé. Dans le cadre d’un audit sur la réforme du commerce extérieur congolais, au début des années 2000, Guy Keyser, l’expert belge de COGEDEV, avait plutôt conclu à la construction d’une seconde voie routière Matadi-Kinshasa. Le gouvernement a peu de marge de manœuvre. Les différents projets d’intégration régionale ont pour finalité d’ouvrir le bassin du Congo, riche en minerais, hydrocarbures et autres biodiversités quasiment inexploités, aux multinationales et autres investisseurs internationaux. La Banque africaine de développement (BAD) ou encore la CICOS évoquent, par exemple, l’Acte final du Congrès de Vienne du 19 juin 1815 et l’Acte général de Berlin du 16 février 1885, revu par la Convention de Saint-Germain de 1919.