Que du chemin parcouru depuis que le paysage audiovisuel congolais, jusqu’alors empêtré dans la moule d’une chaîne unique (l’Office zaïrois de radiodiffusion et de télévision), s’est ouvert au pluralisme médiatique ! Aujourd’hui, si l’on se fie aux statistiques officielles, on dépasserait la soixantaine de chaînes de télévision rien qu’à Kinshasa, la capitale-province. Il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas voir dans cette ouverture une avancée ou plutôt des opportunités d’aller de l’avant dans l’institution d’une presse audiovisuelle nationale riche, variée et véritablement professionnelle. Malheureusement, ce que l’on a gagné en termes de nombre ne s’est pas encore traduit en termes de qualité !
La plupart de nos chaînes de télévision n’ont de télévision que de nom. En réalité, on devrait plutôt parler, au mieux, non de télévision mais de radiodiffusion filmée et, au pire, de simples coquilles vides. Dans la mesure où elles ne produisent pratiquement pas de programmes propres à elles, ni de flux ni surtout de stock, se contentant de recycler des programmes de seconde main, obtenus le plus souvent illégalement.
Comment s’étonner dès lors que, devant la pauvreté et la médiocrité de l’offre locale, le téléspectateur congolais, désabusé, se jette les yeux fermés dans les filets des fournisseurs de programmes télévisuels étrangers ? D’où la forêt de paraboles qui enlaidit encore davantage le paysage kinois, preuve que le marché dans le secteur est juteux, en pleine expansion. Avec des bouquets à prix prohibitifs, sans réglementation stricte, les opérateurs de plus en plus nombreux s’adonnent à une concurrence très ardue, impitoyable, n’hésitant pas à recourir à des pratiques malhonnêtes comme le piratage, le trafic d’influence et j’en passe. Des procès en ce sens sont, on le sait, en instruction devant les tribunaux ad hoc.
C’est très affligeant pour l’image de marque de notre paysage audiovisuel congolais d’être aussi massivement boudé, contourné, rejeté, car c’est cela le premier message à tirer de cette forêt de paraboles qui enlaidissent la ville de Kinshasa. Pour prendre l’exemple des deux pays qui nous sont très familiers à plus d’un titre, la Belgique et la France, installer une parabole sur le toit de sa résidence, ce n’est ni moins ni plus que décliner son identité allochtone, car un Belge et un Français de bon aloi se font fort de consommer les programmes télévisuels nationaux et européens. D’où ce genre de réflexion que l’on entend souvent dans la bouche des autochtones : « Les paraboles, c’est pour ces gens-là, qui viennent prendre nos boulots, bouffer nos allocations, avec leurs smalahs… et qui ne s’intègrent pas du tout ! Le pied en France, mais la tête en Algérie ! Le pied en Belgique, mais la tête au Maroc … »
Ici chez nous ce ne sont pas seulement les expatriés qui boudent l’offre audiovisuelle locale. De plus en plus de Congolais ne trouvent pas ou plus leur compte dans les élucubrations et les radotages que leur proposent à longueur de journées et de soirées les chaînes locales. La sanction n’est pas toujours méritée pour toutes les productions que nos chaînes proposent, car il y en a de très bonnes et de très originales. Ce qui explique pourquoi certains fournisseurs ont inclus quelques chaînes nationales dans leurs bouquets.
Considérée au début comme un signe de richesse, la possession d’une parabole est devenue de nos jours un besoin, une nécessité. Hélas, on se rend vite compte que l’on a quitté Charybde pour se jeter dans les bras de Scylla. Car la qualité et la régularité de services rendus ou à rendre laissent beaucoup à désirer. Aux moindres intempéries, les satellites étalent au grand jour leur inefficacité navrante. Et comme si cela ne suffisait pas, les fréquentes et intempestives coupures d’électricité ne permettent guère aux déserteurs du paysage audiovisuel congolais de consommer au maximum leur abonnement. Celle que les Kinois, très fertiles en imagination, ont surnommé « la Société nationale d’électricité limitée » ou encore « la Société nationale des ennemis de la lumière » a beau multiplier des explications techniques pour justifier ses défaillances chroniques, les Kinois se demandent s’ils ne font pas l’objet d’une double peine bien orchestrée.
Rien qu’en ce mois de janvier 2016, par exemple, dans le quartier dit Tshibangu, dans la commune de Bandalungwa, sur les trente-et-un jours du mois, en additionnant les rares heures de fourniture journalière d’électricité, on aura atteint quelque dix jours de consommation d’énergie électrique. La SNEL et les fournisseurs de programmes satellitaires (BLEUSAT, CANAL+, STARTIMES, etc.) ne reverront jamais à la baisse leurs factures, ne proposeront jamais de compensation pour les préjudices qu’ils font subir à leurs clients ! C’est donc ni plus ni moins de l’arnaque contre les pauvres consommateurs de leurs produits qu’ils ne prennent pas la peine de livrer régulièrement et intégralement. Cela s’appelle de l’escroquerie organisée, c’est-à-dire s’enrichir sur le dos de ses clients, abandonnés à eux-mêmes, sans défense. Une pratique moralement insoutenable.
La solution – mais qui va l’imposer ? – serait d’exiger de ces fournisseurs de programmes télévisuels de procéder de la même façon que leurs collègues opérant dans le secteur des messageries électroniques : NE FACTURER QUE LES SERVICES RÉELLEMENT RENDUS, c’est-à-dire les heures réellement consommées en lieu et place du forfait pratiqué aujourd’hui selon l’abonnement choisi. Quant à la SNEL, on se demande quand interviendra finalement la libéralisation annoncée du secteur énergétique afin de mettre un terme définitif à l’amateurisme et à l’impéritie d’une société qui a montré ses limites.