Dans les années 1960 et suivantes, le pays a vu naître des hommes d’affaires d’un grand renom. Ils suscitaient l’admiration de tous et créaient des emplois. Aujourd’hui, cette espèce a quasiment disparu.
Le Zaïre de Mobutu pouvait s’enorgueillir de ses self made men, qui ne devaient leur réussite sociale qu’à eux-mêmes. Partis de rien, ils étaient devenus millionnaires en dollars grâce à leur détermination. Beaucoup, pour ne pas dire quasiment tous, venaient de milieux modestes. Ils n’étaient ni des parvenus ni des parachutés comme aujourd’hui. Au contraire, ils étaient nés sans le sou et avaient stoppé leurs études relativement tôt pour diverses raisons. Ils, c’étaient Augustin Dokolo Sanu, Augustin Kisombe Kiaku Muisi, Ngunza Bonanza, Mukendi Fontshi, Lusakivana, François-Xavier Matanda ma Temu, Baron Manoka… De cette génération des self made men des années 1960-1980, il ne reste plus grand monde, à part Victor Ngezayo, Pascal Kinduelo, Raphaël Katebe Katoto et quelques autres. À l’époque du Zaïre, et avec à l’appui du pouvoir en place, certaines personnes avaient fait fortune grâce à la zaïrianisation décrétée en 1973. La nationalisation leur avait permis d’hériter de biens d’entrepreneurs étrangers. Tel avait été le cas de Jeannot Bemba Saolona, le père de Jean-Pierre Bemba ; Ignace Moleka Liboke, Litho Moboti… La proximité avec la famille présidentielle était aussi, pour quelques-uns, un atout pour réussir socialement. Tel avait été le cas de Teddy Kinsala ou d’Ado Makola, couturier à l’origine. Il diversifia par la suite ses activités et monta plus haut, notamment grâce à la spéculation foncière. Ado Makola bouscula la hiérarchie dans le football kinois avec son club Matonge, et rien ne pouvait l’arrêter dans son ascension.
En 1997, l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila, à qui succéda Joseph Kabila en 2001, a changé la donne. Certains proches des hommes d’affaires du temps du Zaïre essaient aujourd’hui, tant bien que mal, de remonter des activités au pays. En revanche, de nouveaux « boss » ont émergé. On peut citer, par exemple, Moïse Katumbi, Modeste Makabuza, Bonaventure Nzolantima, Deo Katulanya, Jean Lengo Ledya, Raymond Mokeni Ekopi… Et puis, il y a surtout des fortunes qui se bâtissent dans l’ombre du pouvoir. Pour l’heure, la photographie des « nouveaux riches » reste floue. Des véritables self made men n’ont pas encore réellement émergé.
Parcours du combattant
En suivant leurs différents itinéraires, on se rend compte que les hommes d’affaires congolais restent dans la logique de l’entreprise individuelle ou familiale. Déjà, avant 1960, le pays voyait naître des self made men d’un grand renom. Dokolo avec sa Banque de Kinshasa, Bemba avec SCIBE Zaïre, Lusakivana avec ses chambres froides, Kisombe avec AMASCO, ACCO, Zaïre Prestige, Mutambayi avec Auto Service Zaïre et bien d’autres s’étaient imposés en couvrant tous les secteurs de l’activité économique. Tout est prétexte pour expliquer ce que sont devenus ces fleurons des années 1960-1980 et pourquoi toutes ces propriétés personnelles, ces entreprises individuelles ou familiales n’ont pas survécu longtemps à leurs fondateurs. Le constat est que, quand la famille se disloque, l’entreprise en paie le prix à la suite d’une gestion souvent peu orthodoxe. Pour les unes, la conjoncture économique de l’époque avait fini par porter le coup de grâce : la faillite sans possibilité de recourir aux banques pour des crédits. Pour d’autres, les entreprises avaient été mises à mal par les tenants du pouvoir.
La réussite au bout du travail
La culture ambiante, hier comme aujourd’hui, est fondée fondée sur l’idée selon laquelle la réussite sociale passe uniquement par l’école. Cependant, les exclus du système scolaire élitiste rêvait de s’en sortir autrement. L’immensité du pays, ses ressources naturelles et le libéralisme économique renforçaient ce désir de réussir à partir de rien chez certains jeunes. Augustin Kisombe confia que ce rêve avait conduit la plupart d’entre eux à voir le Congo comme une terre promise. L’ascension d’Augustin Dokolo incarne, mieux que chez quiconque, le rêve d’une réussite personnelle par le travail et le mérite. C’est ainsi que beaucoup d’hommes d’affaires de l’époque s’en vantaient. Tel était le cas de Massamba « Newman ». Ce self made man, qui fut le plus médiatisé de son époque, avait introduit au pays des minichaînes hi-fi de marque Thomson. Ses démélés avec la justice finirent par entraîner sa faillite. La femme d’affaires Ilondo, longtemps présidente de l’Association des femmes commerçantes du Zaïre, symbolisait la réussite des Zaïroises, dont des épouses de ressortissants ouest-africains appelés Popo, installés au pays. Ilondo inspira les affaires de plusieurs commerçantes spécialisées dans le commerce du super wax au marché central de Kinshasa.
Baron Manoka fut le premier à avoir construit un immeuble au quartier Foncobel, devenu Kimbangu. Les chanteurs de l’époque l’ont immortalisé. Pour sa part, Bonaventure Nguza Bonanza monta la première brasserie nationale qui produisait la bière Brana et construisit l’hôtel Bonanza, près du marché central de Kinshasa. Il fut également un grand propriétaire foncier en plus de l’immobilier, avec des domaines agro-pastoraux, notamment dans le Bandundu. Pour montrer sa toute puissance financière, Nguza Bonanza n’hésita pas d’asphalter, à Kingabwa, l’avenue où se trouvait sa brasserie. Quant à Placide Lengelo Muyangandu, il fut le premier industriel à fabriquer des ampoules électriques dans son usine Lengsram à Limete. Il se lança plus tard dans la politique jusqu’à devenir ministre des PTT.
Le rêve kasaïen
C’est au Kasaï, avec les diamants, que l’ambition personnelle a eu beaucoup d’adeptes. À Mbuji-Mayi (Kasaï-Oriental) et à Tshikapa (Kasaï-Occidental), la population a un rêve collectif : l’exploitation artisanale du diamant. Dans les années 1960, parmi les déplacés de Bakwanga, l’actuelle Mbuji-Mayi, on trouvait des commerçants de carrière qui, malgré les difficultés, parvinrent à faire prospérer leurs affaires. C’est le cas de Beya Mwamba, Nkolongo Cocovera, Mukeba Kafuka, Joseph Tshidimu, Jean Ilunga, André Mutambayi… Ils furent parmi les premiers opérateurs économiques du Kasaï. Ils avaient une culture des affaires héritée à Luebo, Tshimbulu, Bukavu, Léopoldville, Luluabourg (Kananga) ou au Katanga d’où ils étaient venus.
Puis, vint l’ère des « trafiquants », creuseurs et négociants de diamants, dans les années 1970 et 1980. Les trafiquants avaient une autre culture des affaires : m’as-tu vu, ils s’illustraient par des excès. Des noms célèbres : Mukendi Fontshi wa Tshilenge, Mukeba Bukula, Bimansha Suminyina, Lukusa Tanzi, Nyanguila Champion, Katompa Lubilanji, Tshibangu Biayi, Tshango, Tshamala Alida, Ngoyi Tshangolard, Vantraska, Ngandu Malik, Tshikas, Mulele, Mukandila Monji Mule… Dans les années 1980, époque où avait enflé la bulle du diamant, ils s’offraient des voitures de luxe, des voyages en Europe ou aux États-Unis. Ils cherchaient à accumuler à la vitesse de l’éclair des fortunes pour frimer. Mukendi Fontshi avait des avions. Son oncle Aubert Mukendi, s’occupait de la gestion de Fontshi Air Service (FAS). Cette compagnie avait fini par faire faillite. Amateurs de tout ce qui brille, les trafiquants de diamants constituaient la grande majorité d’opérateurs économiques du Kasaï. Certains ont survécu à leur époque. Tel est le cas de Serge Kasanda Serkas, surnommé « FMI ». Ses affaires continuent, notamment dans l’immobilier.
Trafic d’influence
Le contexte de l’époque était marqué par le trafic d’influence. Ceux qui montaient financièrement en puissance étaient dans le viseur des tenants du pouvoir, du moins des services de renseignement. C’est ainsi que des trafiquants ou d’autres hommes d’affaires cherchèrent des relations, des alliances dans l’entourage des hommes forts de la province de l’Équateur, des dignitaires du régime ou carrément auprès des membres de la famille présidentielle. Ceux qui n’étaient pas en odeur de sainteté auprès des dignitaires du régime, étaient menacés et leurs biens parfois confisqués. C’est pourquoi, elles devaient faire allégeance par crainte de tout perdre. Kalonji Nsenda, un des grands hommes d’affaires du Kasaï, fondateur du groupe ICCI spécialisé dans l’importation des produits alimentaires, fut spolié par un dignitaire de Mobutu, actuellement sénateur. Trafiquant de diamants, à ses débuts, il monta l’établissement Kansebu, dans les années 1960, à Ngandajika dans le Kasaï-Oriental, avec des représentations à Mbuji-Mayi, Kinshasa et Matadi. Plus tard, cette société se mua en groupe ICCI. De même, Dokolo fut spolié de sa banque et mourut en exil en France…
Les services de renseignement, hier comme aujourd’hui, sont craints de tous. Nkolongo Cocovera, propriétaire de Tanko Hôtel et l’un des hommes d’affaires de la première génération à Mbuji-Mayi, en garde un triste souvenir. Il a vu des gens descendre à son hôtel aux frais des autorités provinciales ou du pays sans que les factures ne soient payées. Mutambayi André Motor fut un des grands transporteurs privés au Kasaï et à Kinshasa avec sa société Auto Services Zaïre. Ses activités prospérèrent grâce à des contrats avec le fabricant de véhicules Mercedes.
On raconte qu’il se présenta un matin à sa banque pour retirer l’argent afin de payer ses créanciers. Grande fut sa surprise d’apprendre qu’il n’y avait plus rien dans ses comptes sous prétexte que le président-fondateur du MPR aurait emprunté son argent pour payer la solde des militaires… Dans cette atmosphère délétère, certains self made men ont résisté à la tempête et continuent de fructifier leurs affaires jusqu’à ce jour.