Comme s’il voulait parodier le Pater Noster, Papa Mavakala, un « vieux » de mon quartier – si je me fie à l’apparence de son physique esquinté – après avoir suivi, le 2 janvier dernier, la cérémonie de remise de médailles à quelques personnalités du monde de la culture et des arts, que retransmettait depuis le Palais du peuple la télévision nationale, s’est ainsi écrié, à la cantonade : « Mais que l’on nous donne à nous tous nos médailles de chaque jour ! Pour tous ces efforts inimaginables que nous déployons chaque jour afin de survivre dans cet enfer congolais ! » Et Papa Mavakala, fonctionnaire de son état, de se répandre en d’interminables et irascibles commentaires à propos du pourquoi et du comment du choix opéré en faveur de tel ou tel lauréat, avec une telle assurance sur ses jugements comme s’il les connaissait personnellement et depuis longtemps : « Devrions-nous tous nous transformer en chanteurs et danseurs comme cet inusable saltimbanque de Jeannot Bombenga pour mériter de la République ? Et mériter finalement combien de fois ? Et ce poète à quatre-sous de Lutumba ou cet académicien de Mavinga, plus porté à vendre ses œuvres qu’à transmettre sa science à ses étudiants… Non, ces gens-là, on ne sait pas ce qu’ils font concrètement avec tous les sous qu’ils amassent en vendant leurs œuvres ! Moi, je leur souhaite longue vie, mais si jamais le destin devait frapper à leur porte demain ou après-demain, vous verrez avec quelle diligence leurs proches sortiront de leurs tanières, pour assiéger ministères et médias audiovisuels aux fins de quémander des pouvoirs publics le nécessaire pour assurer des funérailles et un sépulture de première classe à leur indigent de parent artiste. »
« Devrions-nous tous nous transformer en chanteurs et danseurs comme cet inusable saltimbanque de Jeannot Bombenga pour mériter de la République ? Et mériter finalement combien de fois ? Et ce poète à quatre-sous de Lutumba ou cet académicien de Mavinga, plus porté à vendre ses œuvres qu’à transmettre sa science à ses étudiants…
La réaction épidermique du vieux monsieur ne devrait pas occulter les questions légitimes que n’importe lequel des contribuables congolais est en droit de se poser. Questions sur l’opportunité et, surtout, sur les modalités pour et au nom de la nation congolaise de récompenser quelque compatriote qui se serait distingué d’une manière ou d’une autre dans sa vie professionnelle. Certes, il s’agit là d’un privilège que la Constitution reconnaît au premier magistrat du pays. Néanmoins, dans la mesure où c’est dans les bas-fonds du Trésor public que le chef de l’État puise donations et fonds pour frapper médailles et autres insignes honorifiques, un droit d’inventaire devrait être reconnu à tout contribuable.
La chancellerie des ordres nationaux, près la présidence de la République, est un service public de l’État dont la visibilité n’est pas toujours perçue à sa juste dimension. Peut-être faudrait-il à ses responsables de revisiter leur politique de communication, interne mais surtout externe. Pour ne pas donner l’impression, somme toute fausse, que l’octroi des médailles de mérite civique et autres distinctions honorifiques relève du fait du prince, ils devraient communiquer davantage et fixer l’opinion nationale sur les modalités organiques et pratiques pour que chaque citoyen, s’il le mérite, puisse bénéficier en toute équité de la reconnaissance de la nation.
Il y a lieu de noter avec satisfaction la construction en cours d’un site (www.chancelleriedesordresnationaux-rdc.com) destiné à faire connaître cette structure et les missions respectives qui sont les siennes. Aucun doute que cette vitrine, une fois opérationnelle, contribuera de beaucoup à lever le voile sur ce qui passe aujourd’hui pour un privilège ou un exploit de haute voltige politique, alors qu’en réalité, transparence et équité obligent, tout un chacun devrait aspirer à mériter de la nation, à faire reconnaître de la manière la plus officielle les services émérites rendus à la communauté nationale.
Il est possible aussi que du fait de l’irrégularité de ces cérémonies d’octroi de médailles, les rumeurs de toutes sortes aient alimenté certaines suspicions, provoqué des malaises ici et là. Du temps de la Deuxième République, il se racontait qu’en plus des listes des employés à décorer, c’est également aux employeurs qu’il revenait de décaisser les fonds pour commander les symboles et instruments de décoration. On imagine aisément le trafic d’influence et ou d’inféodation qui pouvait se faire autour de ces bibelots.
Les mauvaises habitudes auraient-elles changé ? On ne le dirait pas, à écouter les déclarations désabusées de ceux et celles qui s’estiment lésés, injustement « oubliés », alors qu’ils auraient eux aussi blanchi sous le harnois et auraient consacré le meilleur d’eux-mêmes au service et à l’honneur de la communauté nationale. Hier, tout comme aujourd’hui, le Congolais a toujours su se trouver un parachute idoine pour atterrir dans la cour des grands ou des relais tribaux pour s’inviter à la mangeoire nationale. Alors que ne ferait-il pas pour cueillir une poignée de médailles à l’instar d’un panier d’œufs de Pâques disséminés dans le jardin d’une villa cossue de Binza ?