La croissance économique de l’Afrique – près de 6 % en 2014- continue d’attirer de nombreux investisseurs tant locaux qu’étrangers. La Chine et l’Inde, très présentes dans le secteur des infrastructures et des ressources naturelles, augmentent sans cesse leurs parts de marchés sur le continent, au grand dam des anciennes puissances coloniales.
C’est ce qui ressort du dernier rapport du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) publié le 20 janvier 2014. Ce rapport confirme que pour la France, « le contexte des affaires ne s’améliore pas beaucoup » avant d’indiquer qu’« il ne se dégrade pas non plus ». Pourtant, avec seulement 31 projets d’investissements sur le continent africain en 2013 contre 48 par an en moyenne entre 2003 et 2007, la France perd indéniablement son rang de leader. Selon le CIAN, qui cite les derniers chiffres de la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), les stocks d’investissements français vers l’Afrique se situent en troisième position (près de 58 milliards de dollars) derrière le Royaume-Uni (59 milliards de dollars) et les États-Unis (61 milliards de dollars). La Chine arrive en cinquième position avec un stock d’investissement de 21,7 milliards de dollars.
Pour Etienne Gros, président délégué du CIAN, cette situation est certes inquiétante pour les entreprises françaises mais elle n’est pas dramatique. Car, estime-t-il, il existe encore des marges de manœuvre importantes.
Le déclin des entreprises françaises en Afrique est-il un fantasme ou une réalité ?
La part de marchés de la France en Afrique a été divisée par deux au cours de la dernière décennie passant de 11 % à 5,5 %. Dans ce sens, il s’agit indéniablement d’une baisse qui a surtout profité aux pays émergents, notamment la Chine. En revanche, le chiffre d’affaires des entreprises françaises sur le continent, lui, a doublé. Cela est dû à la taille du marché africain qui a été multiplié par quatre. Certes la France a développé ce chiffre d’affaires moins vite que le marché africain ne s’est développé mais cela permet de relativiser l’idée de déclin de la France en Afrique. Plus que d’autres, les entreprises françaises s’implantent sur le continent et créent des filiales. Leur chiffre d’affaires n’est pas pris en compte dans les statistiques des douanes dans lesquelles seules apparaît le recul des exportations. Si la position des entreprises françaises en Afrique ne s’améliore pas beaucoup, elle ne se dégrade pas non plus. Il reste encore des marges de manœuvre et cela doit être une incitation à travailler mieux.
Comment contrer la concurrence des pays émergents ?
L’une des options consiste à s’appuyer sur la présence longue et historique des entreprises françaises. Cela se traduit par un savoir-faire et des compétences incontestées. L’autre levier repose sur des relations que l’on peut qualifier d’affectueuses entre les différents acteurs économiques. Le franc CFA qui couvre près d’un quart de l’Afrique et crée des conditions de change stables, est un facteur aussi non négligeable. Comme la langue française et le droit des affaires harmonisé à travers l’Ohada (Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique). Cette histoire commune renforce notre capacité à s’implanter sur place plutôt qu’à exporter et donc à faire face à l’offensive des pays émergents.
Cela suffit-il ?
Bien sûr que non. Il s’agit simplement d’atouts qu’il faut préserver et renforcer. Pour cela il faut la volonté d’investir. Il n’y a pas de raison que la croissance de l’Afrique baisse dans les quinze ou vingt ans qui viennent. C’est maintenant qu’il faut prendre des positions. Cependant, il reste encore de nombreux obstacles liés à la gouvernance, aux infrastructures qui dans bien d’endroits sont encore insuffisamment développées. Il faudra aussi surmonter les difficultés liées à la sécurité et à l’éducation. Le problème du droit foncier n’est pas des moindres si l’on veut développer l’agriculture, par exemple. Il faut se saisir de tous ces défis.
Y a-t-il des secteurs dans lesquels les entreprises françaises auraient intérêt à se concentrer pour mieux affronter l’offensive chinoise ?
Chaque entreprise va sur ses propres compétences. Mais, d’une manière générale, il faut éviter la dispersion. Par exemple, ce n’est pas dramatique d’avoir perdu pied dans l’industrie minière. La France a moins besoin de cela aujourd’hui que la Chine, qui est en croissance forte. Cela était valable, il y a 50 ans, mais maintenant non. Nous devons davantage nous concentrer sur la haute technologie ou sur un sujet essentiel comme la gestion des villes avec ce que cela implique comme investissements en adduction d’eau, traitement des déchets, transports urbains et infrastructures routières. Ce sont autant de domaines dans lesquels les entreprises françaises ont un savoir-faire.
Propos recueillis par Raoul MBOG (Le Monde Afrique)