Le Nigeria, premier producteur de pétrole du continent subit de plein fouet l’effondrement des cours. « Les loyers sont plus chers, la nourriture est plus chère. Tout a augmenté, sauf les salaires du personnel », se plaint Onele Vincent, employé gréviste d’un grand hôtel de Lagos.
M. Vincent travaille au Southern Sun, un établissement chic fréquenté par l’élite politique et les hommes d’affaires. Lui et ses collègues grévistes, qui protestent contre la hausse du coût de la vie, ne sont pas les seuls à être touchés de plein fouet par les conséquences en chaîne de la chute mondiale des cours de l’or noir.
« Le plus dur est à venir », affichent régulièrement les journaux en « une », et nombreux sont les panneaux publicitaires vierges, dans les artères de la capitale économique nigériane, signe des coupes drastiques dans les budgets des entreprises.
Rongé par la corruption
Même pour la bourgeoisie les temps sont durs : les importateurs de vin français se plaignent d’une chute de la demande, les concessionnaires de voitures de luxe et les agents immobiliers constatent une baisse d’activité. La croissance économique du Nigeria a atteint 3 % pour 2015, le taux le plus faible depuis plus de dix ans, selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI) paru ce mois-ci. Des pays pétroliers comme la Norvège ont anticipé les fluctuations des cours du brut, en réinvestissant dans des actions, des obligations et des placements immobiliers. Pas le Nigeria, rongé depuis de longues années par la corruption, qui a déjà largement puisé dans ses réserves financières et expose davantage le pays alors que le prix du baril stagne aux alentours de 30 dollars (27,50 euros).
Les réserves en dollars s’élèvent à 28 milliards – une baisse de 20 milliards depuis avril 2013 – ce qui ne permettra au pays, très dépendant des importations, de tenir que cinq mois encore.
Si la chute des cours du pétrole est un problème majeur pour le Nigeria, le plus préoccupant reste la réaction du gouvernement, selon les experts. Le gouverneur de la Banque centrale, Godwin Emefiele, a écarté, mardi 26 janvier, une dévaluation du naira, maintenu à 197-199 pour un dollar, maintenant l’interdiction de ventes directes de dollars aux bureaux de change pour conserver ses réserves.
Au marché noir, un dollar vaut 305 nairas et les commerçants, locaux ou étrangers, se plaignent de ne pas avoir accès aux dollars requis pour importer.
À cause d’un manque d’infrastructures, notamment, le Nigeria importe tout, du lait aux machines en passant par l’essence. Les investisseurs, inquiets de la dévaluation inévitable du naira, attendent que le pays affiche une politique monétaire claire avant de s’engager.
« La situation actuelle engendre beaucoup d’anxiété et d’incertitude parce que personne ne sait comment anticiper » et « tout le monde se plaint du manque d’orientation du gouvernement », explique Anna Rosenburg, experte en marchés émergents pour le groupe Frontier Strategy.
Stimuler la croissance
« À ce stade, un naira plus faible est moins important que le fait d’encourager le retour nécessaire d’investissements internationaux en levant les restrictions sur le marché des changes », estime Jean-François Ruhashyankiko, économiste chez Goldman Sachs.
D’autant que, si le pays « n’attire pas ces entrées d’argent [des investisseurs], et s’il ne génère pas de bénéfices sur l’exportation de pétrole, cela va être d’autant plus dur de maintenir les réserves en devises à leur niveau actuel », précise Razia Khan, chef économiste de la banque Standard Chartered. « Et cela pourrait avoir un impact sur la solvabilité apparente [du pays], ce qui n’est pas une bonne chose, au moment où le Nigeria réfléchit à emprunter à l’étranger afin de financer d’ambitieux programmes d’infrastructures », ajoute-t-elle.
Le Nigeria a annoncé en décembre 2015 un budget record de 6 080 milliards de nairas (environ 28 milliards d’euros) pour 2016 afin de stimuler la croissance en investissant dans de grands projets comme les routes et le rail. Mais le budget est basé sur un baril à 38 dollars et repose largement sur des emprunts.
M. Buhari avait annoncé en décembre qu’il étudierait une dévaluation du naira, laissant espérer aux investisseurs potentiels une résolution rapide de la crise monétaire. Mais, jeudi 28 janvier, il a déclaré n’avoir aucunement l’intention de « tuer » le naira, estimant que les Nigérians « ordinaires » n’avaient rien à y gagner.