Accroître la production agricole par la mécanisation, la transformation, la commercialisation et la réhabilitation des pistes rurales d’intérêt économique. Tel est le défi que la principale institution financière africaine tient à relever.
La Banque africaine de développement (BAD) a fait le pari de sortir l’agriculture du continent des sentiers battus. Celle-ci se caractérise par des petites exploitations familiales, dont l’équipement et, par conséquent, la productivité, sont limités. Dans le secteur laitier, l’Afrique compte un tiers des vaches laitières du monde, mais elle ne contribue qu’à hauteur de moins de 5 % à la production mondiale. Les investissements dans le secteur agricole s’orientent prioritairement vers les cultures d’exportation et les produits dits non traditionnels, tels que les fleurs, les fruits et les légumes, destinés aux marchés européens. Dans son programme pour la promotion de l’agro-industrie, la BAD va mettre à la disposition des États des moyens suffisants et favorisera l’intervention d’autres investisseurs. Elle assure ne vouloir imposer aucun modèle agricole. La modernisation doit venir des projets conçus par chacun des pays au regard des besoins des milieux paysans appelés à se constituer en associations.
Rôle des paysans
Selon la BAD, les milieux paysans peuvent assurer le développement durable de l’agriculture pour des millions de personnes. On reproche souvent à l’agriculture africaine de ne pas prendre suffisamment en compte l’essor de la demande intérieure, nationale ou sous-régionale, amplifiée par l’urbanisation. Les micros et les petites entreprises agro-industrielles (MPEA) ne sont pas également prises en compte. Et pourtant, elles jouent un rôle crucial dans les stratégies de sécurité alimentaire contre la pauvreté et les inégalités en Afrique subsaharienne, soulignent les experts de la BAD. Tout un pan de l’activité économique de transformation agro-alimentaire, jusque-là menée par des petites unités existantes, le plus souvent dirigées par des femmes, est même négligé par les statistiques et les analyses économiques, constatent-ils. D’après eux, ce secteur doit être considéré comme un problème à résoudre, mais surtout comme une ressource à valoriser.
Après la révolution verte (de 1940 à 1970), les agriculteurs assistent à l’instauration de la révolution génétique. Comme l’Argentine, le Brésil, la Chine et l’Inde, l’Afrique du Sud s’est aussi engagée dans la production et la commercialisation des cultures des organismes génétiquement modifiés (OGM). À en croire les experts de la BAD, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale ont besoin de nouvelles technologies pour promouvoir la production locale. Au Cameroun, par exemple, l’interdiction d’importer du poulet congelé, en vigueur depuis 2007, fait le bonheur des aviculteurs locaux. Au marché de Douala, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les vendeurs écoulent jusqu’à plus de 6 000 poulets par jour contre environ 1 000 avant la campagne contre les importations menée en 2004 par l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC). L’aviculture camerounaise qui, d’après l’ACDIC, avait perdu près de 110 000 emplois, entre 1994 et 2003, est en pleine renaissance. Étouffée par des importations massives (plus de 22 000 tonnes en 2004), la production locale avait été ensuite boudée par les consommateurs vers fin 2007 après la découverte du virus H5N1 de la grippe aviaire sur un canard mort au nord du pays.
Pauvreté des sols
Intensément cultivés, les sols sont devenus fragiles. Ils ont besoin d’être nourris et soignés régulièrement et de se reposer aussi pour donner le meilleur rendement. C’est un autre triste constat fait surtout en Afrique subsaharienne où la fertilité des sols, déjà faible naturellement, a rapidement décliné ces dernières décennies. Et pourtant, l’accent est mis sur l’intensification des cultures. Les engrais chimiques restent, la plupart du temps, indispensables pour obtenir un accroissement significatif de la production. Des programmes ont récemment été lancés pour tenter de restaurer les sols. C’est le cas de Terrafrica, un partenariat entre les principales agences des Nations unies, l’Union européenne, de nombreuses organisations régionales et internationales et l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA). L’AGRA veut régénérer dix millions d’hectares agricoles. Des initiatives sur la fertilité des sols, selon la BAD, peuvent se concevoir aussi localement. Au Mali, atteste la FAO, une fabrique d’engrais d’une capacité de 200 000 tonnes par an, supérieure aux besoins estimés à 150 000 tonnes, a déjà vu le jour. L’usine de Tongura Agro-industries, installée à Bamako, approvisionne les producteurs de coton, de céréales et de produits maraîchers. À terme, l’usine vise les marchés des pays voisins où l’approvisionnement en engrais adaptés et à des prix abordables est tout aussi crucial pour les producteurs.
Un besoin d’aptitudes
La recherche et l’innovation doivent jouer un rôle déterminant en permettant une amélioration décisive de la production alimentaire. Les producteurs doivent posséder les connaissances nécessaires sur les produits pour éviter des maladies dues à une mauvaise nourriture et contribuer à l’adéquation nutritive de l’alimentation. Selon les derniers rapports de la Banque africaine de développement, la situation ne s’améliore pas dans ce domaine, surtout dans bon nombre de pays subsahariens. Elle invite les chercheurs à soutenir les exploitants agricoles. Tel est le cas de l’université Makerere de Kampala, en Ouganda, qui a ouvert des salles d’exposition à travers le pays et principalement à l’Institut des recherches de Kabanyoro pour une combinaison de tous les programmes de recherche agricole des instituts du pays, cultures, élevages et pêche compris. Les liens entre l’agriculture et les autres secteurs sont nombreux et sa croissance a des effets multiplicateurs sur l’ensemble de l’économie. Un agriculteur bien géré peut contribuer de manière significative à l’atténuation des problèmes environnementaux, tels que la déforestation, la dégradation des sols, la rareté de l’eau et le changement climatique. La protection de la biodiversité et les services écosystémiques qui lui sont associés revêtent également, aux yeux des experts de la BAD, une importance majeure pour garantir le développement d’une agriculture durable. En ce qui concerne la mécanisation, la BAD prône le principe de coopératives d’utilisation des matériels agricoles en commun (CUMA). Il s’agit de regrouper des agriculteurs pour partager les coûts d’achat et d’entretien de leurs tracteurs, de leurs remorques ou de leurs batteuses. Hormis l’Afrique du Sud, le prix de ces engins et la petite taille des surfaces à cultiver permettent rarement à une seule exploitation d’amortir l’investissement. De plus en plus d’agriculteurs voient dans ce système coopératif le moyen de profiter à moindre coût d’un matériel, parfois à crédit, qui puisse rendre certains travaux agricoles moins pénibles et plus efficaces, notamment le labour. Au Bénin, précise la FAO, les deux premières CUMA ont été créées en 1997. Il en existe aujourd’hui une trentaine dans la seule région du Borgou et de l’Alibori, zone cotonnière au nord-est du pays, et les demandes de création vont croissant. En République démocratique du Congo, la BAD a ciblé jusqu’ici des domaines de renforcement des capacités et le secteur des infrastructures en vue d’assurer la relance de l’économie et les services sociaux minima aux populations. La stratégie de la BAD vise surtout l’amélioration des conditions sociales de la population à Kinshasa et dans les zones sécurisées de l’Est du pays par la réhabilitation des infrastructures sanitaires et scolaires, de la fourniture en eau, ainsi que par l’assainissement et le service d’appui à l’agriculture. La BAD a renforcé les acquis et l’impact du portefeuille sur l’amélioration des conditions de vie des ménages et le renforcement des capacités humaines, notamment en milieu rural.