Le respect de la ville où on habite, la propreté innée, l’usage systématique des poubelles, tout ça c’est le mérite de la société, pas de l’Etat.
À propos de la COP22 organisée récemment à Marrakech, beaucoup de commentateurs autorisés ou de simples internautes ont fait ce constat doux-amer: « Marrakech est propre, elle est belle et verte, elle est sûre et il y a des œuvres d’art un peu partout »… Pour mieux fustiger l’État dans la foulée: pourquoi fait-il tant d’efforts quand il y a des étrangers qui débarquent (plus de vingt mille tout de même) et néglige-t-il les villes où il ne se passe rien? Les plus instruits n’hésitent pas à parler de « village-Potemkine », du nom de ce ministre de l’impératrice Catherine II qui construisait, dit-on, des villages-modèles sur le passage du cortège de Sa Majesté. Sauf que ces villages se réduisaient à des façades en carton-pâte…
Loin de moi l’idée de défendre l’État en toute circonstance – il est loin d’être irréprochable – mais, dans le cas qui nous occupe, ne lui fait-on pas un procès injuste? Pour comprendre cela, imaginons la Suisse organisant une COP à Berne ou à Genève. L’État confédéral helvétique – qui se signale d’ailleurs par sa quasi-inexistence au plan local – n’aurait pas à lever le petit doigt: ces villes sont en tout temps belles et propres. Grâce à qui ? Eh bien aux Suisses, tout simplement. À la société, pas à l’État. Le respect de la ville où on habite, la propreté innée, l’usage systématique des poubelles, tout ça c’est le mérite de la société, pas de l’État.
Et chez nous? Allons, soyons honnêtes, nous voyons cela tous les jours: les petites incivilités, le citoyen qui jette par terre l’emballage de la barre chocolatée qu’il s’apprête à dévorer, les fumeurs qui envoient d’une pichenette leur mégot sur le trottoir, le pékin qui balaie devant sa porte pour mieux envoyer la poussière devant celle du voisin, les monceaux d’ordures dans les terrains vagues, l’état déplorable des toilettes publiques, etc. La bonne analyse est donc la suivante: « À Marrakech, l’État a pris le relais de la société défaillante. Il y était bien obligé… ». Au lieu de toujours taper sur l’État, comme par un réflexe pavlovien, adoptons cette fière devise: « J’ai le droit de critiquer l’État car je suis meilleur que lui ». Quand les citoyens d’El Jadida, de Casablanca ou de Tanger réussiront à rendre leur ville aussi propre que Marrakech, par leur seul comportement collectif, ce jour-là, ils auront le droit de faire la fine bouche en parlant de la COP22. Autrement dit, seuls les habitants d’Ifrane peuvent aujourd’hui l’ouvrir…