Le document examine, sur une longue période, les détentions de l’État au sens large : principalement via l’Agence des participations de l’État, la Caisse des dépôts et Bpifrance. Mais il traite aussi les actionnaires « sectoriels » que sont le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), le Centre national d’études spatiales (CNES), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et IFP Energies nouvelles. Le bilan dressé par la Cour est particulièrement sombre. D’abord, parce que le portefeuille d’entreprises à participation publique est « vaste et hétérogène », « sans cohérence globale » et qu’il comprend des entreprises soumises à des défis « majeurs ». Ensuite, car les rédacteurs ont mis en avant la situation financière critique de certaines des sociétés concernées. La Cour souligne aussi que l’État actionnaire est soumis « à des contradictions intrinsèques, en raison des conflits d’objectifs et d’intérêts permanents résultant de la multiplicité des rôles qu’il exerce ». Enfin, la gouvernance laisse à désirer, même si de « notables progrès » ont été réalisés.
D’ailleurs, dans sa synthèse, la Cour estime que l’État peine à être un bon actionnaire et que l’actionnariat public est « rarement » le moyen le plus adapté pour contrer la perte de compétitivité et la désindustrialisation de l’économie française. Pour couronner le tout, les besoins croissants en financement des entreprises publiques vont à l’encontre de la tendance d’assainissement des finances publiques.
Le rapport d’un point de vue boursier
Difficile de faire un compte rendu exhaustif du rapport, mais quelques chiffres piochés çà et là permettent d’apporter des éléments concrets au débat pour la partie boursière. Fin 2015, l’État détenait des participations publiques dans 1 750 entreprises, dont 91 via l’APE, 992 via la CDC et 707 via Bpifrance (ce total ne prend pas en compte les participations indirectes), pour une valeur nette comptable de 98,9 milliards d’euros (qui n’est ni une valeur de marché ni une valeur économique). Les 62 participations cotées en bourse valaient 83,8 milliards d’euros fin 2015 et 77,4 milliards d’euros fin 2016. La Cour souligne que le poids véritable est difficile à déterminer à cause de méthodes de valorisation différentes pour les valeurs cotées et non cotées ou de l’absence de recensement global. Les deux secteurs les plus représentés sont le secteur des réseaux (électricité, énergie, transports, télécoms, poste…) avec 50 % de la valorisation, devant les services financiers (24 %). Les portefeuilles de l’APE et de la CDC sont assez peu mobiles, au contraire de celui de Bpifrance, ont constaté les auteurs du rapport.
Pour le côté symbolique, la Cour signale que pour la première fois depuis la création de l’APE, son résultat net était déficitaire en 2015, assez lourdement même (-10,1 milliards d’euros) après les dépréciations prises par la SNCF. Avant la crise de 2008, le portefeuille générait 10 milliards d’euros de profits. Côté valorisation boursière, le constat est aussi négatif. Au 31 décembre dernier, le portefeuille coté de l’APE valait 59,8 milliards d’euros, contre 87,6 milliards d’euros fin 2010 (-29 % contre +28 % pour le CAC40). Entre fin 2006 et 2016 et à portefeuille constant, la baisse atteint même -54 % (-12,3 % pour le CAC40). Il faut dire que l’APE a subi le plongeon de 70 % de l’action EDF ou la déconfiture (-90 %) d’Areva, qui valait 27,8 milliards d’euros en 2006 et 1,6 milliard d’euros fin 2016. Heureusement, les télécoms et l’industrie se sont bien comportés sur la période (Orange, Renault, Airbus, Thales, Safran).
Les performances de la CDC et de Bpifrance sont jugées « inégales » mais souffrent plutôt de la comparaison avec des investisseurs privés. Le retour sur fonds propres des participations de l’État actionnaire est de 2,8 % pour l’APE sur la période 2010-2015 et de 1,9 % pour la CDC sur 2012-2015. La branche investissement de Bpifrance a atteint 3,7 % en 2015 (la structure est récente). Pour les sociétés de l’indice SBF 120, ce retour est en moyenne de 10 % entre 2010 et 2015… Mais la situation n’est « pas anormale » à certains égards, précise la Cour, notamment parce que la vocation de l’État est d’appuyer des politiques publiques (sauvetage nécessaire de Dexia…) ou de pallier des carences du marché (financement des PME-ETI…). Mais cela ne justifie pas tout et l’argument ne vaut pas quand l’État actionnaire ou les dirigeants qu’il a mis en place ont leur part de responsabilité dans les difficultés de certaines entreprises, comme Areva ou Dexia, estiment les rédacteurs… qui critiquent aussi la situation dans laquelle l’État impose des obligations à ses entreprises (EDF, SNCF) qui les brident sans leur donner en parallèle les moyens de faire face à la concurrence.
Enfin, le bilan est négatif pour les finances publiques, selon la Cour, avec, sur la période 2010-2015, 8,5 milliards d’euros de cessions d’actifs, 8 milliards d’euros d’investissements et 25,9 milliards d’euros de dividendes, pour une contribution modeste au désendettement 2,3 milliards d’euros en six ans. Mais aussi 10 milliards d’euros de crédits engagés par an, notamment pour les entreprises du ferroviaire et de l’audiovisuel.
Des participations à raboter
En tout état de cause, les apports ne sont pas suffisants pour assurer à court terme la recapitalisation en vue dans l’énergie, qui nécessite 7 milliards d’euros. Pour y faire face, l’État va devoir amplifier son programme de cession ou ponctionner le budget général, ce qui alourdira les finances publiques, estime la Cour. Dans ses conclusions, la Cour appelle à mieux définir les rôles de chacune des entités détentrices des participations publiques. Elle estime que Bpifrance devrait récupérer les participations industrielles de l’APE, pour la plupart minoritaires et cotées. L’APE, quant à elle, devrait se concentrer sur les domaines les plus régaliens (nucléaire, défense, services publics) et le sauvetage. Concrètement, Bpifrance aurait vocation à récupérer des participations comme Renault ou PSA, mais céderait la détention dans STMicroelectronics (qui doit être détenue à parité avec l’État italien) à l’APE. Plus globalement, le rapport examine plusieurs options d’évolution pour le portefeuille. La première consiste plus en un toilettage qu’en une révolution. Ainsi la Cour évoque le cas d’aéroports de Paris, dont la gestion « ne nécessite pas le maintien d’une participation majoritaire, comme la loi le prévoit actuellement » mais pourrait se limiter à une minorité de blocage assortie d’une réglementation adéquate.