Une étude des Nations unies consacrée aux villes africaines met en relief le large consensus qui existe sur la relation entre l’industrialisation, la croissance économique et l’urbanisation. Mails elle a été remise en cause par une autre étude, commandée par la Banque asiatique de développement (BAD). Elle souligne que, si les deux notions (industrialisation et urbanisation) se nourrissent à l’évidence l’une l’autre, c’est davantage l’industrialisation, nourrie en parallèle par des progrès de l’éducation qui conduirait à l’urbanisation et non l’inverse. Comme la plupart des pays africains, la République démocratique du Congo souffre à la fois de retards industriels majeurs et d’une insuffisance d’instruction de la population de plus en plus nombreuse. Tenez : l’industrie nationale a régressé en unités de production par rapport aux années 1960-1990. Selon les données récentes du ministère de l’Industrie, le pays plus grand pays de l’Afrique centrale a perdu 80 % de ses unités de production. Dans ces conditions, elle ne pourra pas dégager des marges suffisantes pour obtenir un effet de levier suffisant et, de ce fait, aboutir à une urbanisation, certes en croissance, mais pauvre en effets vertueux.
Les hypothèques
Au-delà de ce constat global, quatre principales entraves, propres aux villes africaines, font peser sur leur avenir de fortes contraintes. Tout d’abord, l’argent public destiné à soutenir le processus de l’industrialisation est souvent détourné par des hommes politiques au pouvoir. Ensuite, le manque d’électricité, la défaillance des infrastructures, l’insécurité juridique et judiciaire et les difficultés d’accès aux capitaux… sont souvent avancés comme les causes qui font que l’Afrique reste le continent le moins industrialisé dans le monde. En RDC, le plus grand pays d’Afrique francophone, s’ajoute à cela une corruption à large spectre.
Pourtant, l’industrialisation du deuxième plus grand pays d’Afrique après l’Algérie constitue une priorité, une urgence même tant la situation économique, aggravée par la volatilité des cours des matières premières, se dégrade sur fond de crise politique. Pour se rapprocher de l’objectif de l’industrialisation, les autorités publiques ont mis en place un organisme. C’est le Fonds pour la promotion de l’industrie (FPI). Créé en 1989, sous le régime de Mobutu, il a été transformé en 2009 en un établissement public et commercial, à la suite de la réforme des entreprises publiques dont la tâche a été confiée au Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (COPIREP). Au départ un organe technique suggéré au gouvernement par la Banque mondiale, le COPIREP est devenu lui-même un établissement public.
Le FPI a été conçu comme un « fonds stratégique » pourvu par la collecte de la taxe pour la promotion de l’industrie ou encore l’impôt sur les importations, quelques-uns des innombrables prélèvements qui font rugir de colère tout entrepreneur. Par exemple, entre 1989 et 2012, le FPI a collecté plus de 393 millions de dollars et continue de bénéficier annuellement de millions de dollars.
De quoi pouvoir mener à bien sa mission de soutenir et accompagner un essor industriel tant attendu dans le pays qui importe tout ou presque et n’exporte rien d’autre que des ressources naturelles. Seulement voilà, le FPI a été détourné de sa mission première : offrir ses services (crédits) aux seules grandes entreprises, ainsi qu’aux seules institutions publiques et financières.
Mais dans l’octroi des crédits, l’ancien administrateur-directeur général, Constantin Mbengele, a privilégié, dans l’octroi des crédits, les personnalités politiques au détriment de véritables entrepreneurs. Et l’argent public a été détourné selon un rapport d’enquête parlementaire. Le député Fidèle Likinda Bolom’Elenge du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, majoritaire au pouvoir) a pris le courage de dénoncer publiquement les pratiques prévaricatrices de cet établissement public en pleine Assemblée nationale, en décembre 2014. Il a accusé Constantin Mbengele d’avoir perçu des « rétro-commissions et détourné 140 millions de dollars entre 2008 et 2014 ». Une enquête parlementaire a été ouverte en janvier 2015 et a rendu ses conclusions en octobre de la même année.
Le rapport de la commission parlementaire sur le FPI remis au président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, diffusé largement dans les réseaux sociaux, indexait trois membres du gouvernement (Matata), un député et un cadre de la CENI… qui avaient perçu à eux seuls près de 3 millions de dollars. Environ 70 % (Kinshasa) à 78 % (Lubumbashi) des projets financés par le FPI, entre 2008 et 2014, n’ont pas été réalisés et d’autres ont été tout simplement fictifs. Dans ses recommandations, la commission parlementaire a exigé « la dépolitisation et la rationalisation des conditions d’octroi des crédits et des subventions au FPI ». Il fallait d’abord épuiser la voie parlementaire pour régler le problème, expliquait Germain Kambinga, alors ministre de l’industrie, ayant la tutelle technique du FPI. Cependant, comme pour étouffer ce « scandale politique », le rapport d’enquête parlementaire a longtemps été tenu au secret et n’a été débattu qu’à huis clos en juin 2016 à l’Assemblée nationale.
À l’issue du débat, un comité d’évaluation et de suivi a été mis en place et chargé de s’occuper du recouvrement des créances, d’éventuelles poursuites judiciaires contre les souscripteurs insolvables, comme le préconise le rapport d’enquête. Qui met à mal l’ambition industrielle du pays et révèle, preuves à l’appui, les pratiques corruptives de la classe politique. « Les fonds perçus ne sont pas remboursés par les promoteurs ; le financement de ces projets n’a pas tenu compte des études de rentabilité et de la capacité financière des promoteurs ; les efforts de recouvrement ne sont pas perceptibles », renseigne le rapport. Qui conclut au « détournement de fonds par les promoteurs des projets et laxisme du chef du FPI. »
Sur l’avenue Lukusa où se situe le siège du FPI, le ton est à la fermeté. Les débiteurs, qui qu’ils soient, doivent rembourser les fonds obtenus sous forme de crédits. Le nouveau comité de gestion entend user de toutes les voies légales, notamment saisir les cours et tribunaux pour récupérer les 140 millions de dollars. Mais les bénéficiaires indélicats continuent de faire la sourde oreille. Pire, ils s’attaquent à Constantin Mbengele. Le nouveau patron du FPI, Patrice Kitebi, ancien ministre délégué aux Finances dans le premier cabinet Matata, est donc mis à l’épreuve. En janvier 2016, le gouvernement a adopté un projet de transformation du FPI en une banque d’investissements industriels. D’après le professeur Michel Somwe, la transformation ne tient qu’au changement d’appellation. Pour cet économiste, est banque, toute institution recevant des dépôts des ménages, des entreprises, et émettant en contrepartie des comptes bancaires. Pour lui, une infrastructure financière doit toujours savoir faire la part des choses entre la finance directe et l’intermédiation financière. Il y a des activités bancaires qui relèvent de l’intermédiation financière et des activités financières relevant de la finance directe.
Dans un pays comme la RDC où il n’y a pas de marché financier, explique Michel Somwe, le terme approprié est « banque d’affaires ». Il ne faudrait pas confondre Invetissement Bank (anglais) et banque d’investissements (français). Aussi la mutation devra-t-elle inévitablement passer par la liquidation du FPI. Or, la liquidation suppose avant tout un inventaire des passifs et des actifs du fonds. Au 1er janvier 2016, le FPI comptait un effectif de 281 agents, dont 74 agents féminins. Il a financé quelque 688 projets. Mais le FPI n’est qu’une structure de « poursuite de la zaïrianisation en numéraires. »