22Est-ce une réelle volonté politique ou un simple effet d’annonce, comme c’est souvent le cas ? Dans les deux cas de figure, les États membres de la CEEAC ont pris date avec l’histoire à Yaoundé (30-31 mars) au Cameroun. Avec le secrétariat de la CEEAC, une trentaine d’organisations et d’entreprises d’Afrique centrale ont validé le Document de stratégie régionale de développement durable de la filière huile de palme. Elles ont pris l’engagement de produire désormais près de 6,2 millions de tonnes d’huile de palme par an. « On va combler une lacune criarde pour une plante qui est la nôtre », a souligné à Xinhua Honoré Tabuna, expert de l’économie de l’environnement de la Communauté économique des États d’Afrique centrale. Cette organisation regroupe onze pays (Angola, Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, RDC, Rwanda, Sao Tomé & Principe, Tchad), basée à Libreville, la capitale gabonaise.
Un constat de retard à refaire
À Yaoundé, un constat a été fait, et les pays membres de la CEEAC se sont engagés à « faire évoluer leur statut pour cesser d’être des producteurs modestes » et « modifier les positions » dans un marché largement dominé par la Malaisie et l’Indonésie, les deux géants de la filière. En 2016, la production mondiale a enregistré un volume de 65 millions de tonnes, fournies à environ 80 % par la Malaisie et l’Indonésie, selon les statistiques du Worldwide Fund for Nature (WWF) ou le Fonds mondial pour la nature, qui situe à un taux marginal de moins de 4 % la part de l’Afrique dans cette production. La CEEAC est créditée de 590 000 tonnes seulement. Le Cameroun, qui est le plus grand producteur de la sous-région, a fourni 270 000 tonnes, et se classe quatrième africain, derrière le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana. À la deuxième place, la République démocratique du Congo, qui a produit 215 000 tonnes…
Aujourd’hui, acceptée ou rejetée, l’huile de palme qui entre dans la composition de différents produits, est inévitable. Elle est désormais prisée par les industries, notamment les industries cosmétiques, pour ses propriétés intéressantes. D’ailleurs, l’huile de palme est connue pour être un enjeu commercial important. Elle représente 66 % des huiles commercialisées dans le monde et 39 % de la production totale des huiles végétales, selon les estimations. La plante dont est tirée l’huile de palme, c’est-à-dire le palmier à huile, serait d’origine africaine, selon les sources historiques, avant de débarquer en Asie où elle sert aujourd’hui à tirer la croissance économique de la Malaisie et de l’Indonésie.
Développer un marché interne
Actuellement, le marché de l’huile de palme est en Europe, qui ne le produit pas. L’ambition politique affichée de la CEEAC, c’est de développer le marché régional, pour avoir aussi bien des producteurs que des consommateurs. C’est l’objectif défini par la Stratégie de développement durable de la filière huile de palme dans la zone CEEAC. La réunion de Yaoundé, avec le concours de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) et de WWF, a porté justement sur cet objectif communautaire. Dans cette perspective, l’Afrique centrale devra produire au moins 6,2 millions de tonnes d’huile de palme brute d’ici à 2035, sur une superficie de 1,78 million d’hectares, avec un rendement moyen annuel de 17,5 tonnes de régimes de noix de palme par hectare et un taux d’extraction moyen de 20 % tant dans les agro-industries que dans les plantations villageoises et naturelles.
Grâce à cette production, la CEEAC entend comble le déficit de production et satisfaire les besoins de la consommation locale. L’Afrique centrale a importé plus de 500 000 tonnes d’huile de palme en 2016, synonyme de plus de 500 millions de dollars de manque à gagner pour les économies nationales, selon des analystes économiques. Pour atteindre cet objectif, la CEEAC devra mobiliser environ 44 milliards de dollars de financements, soit l’équivalent de 40 % du chiffre d’affaires de la filière. D’après les projections, 25 % de ces fonds doivent être fournis par les États membres, 20 % par les opérateurs du secteur et 55 % par des institutions financières internationales, y compris des partenaires techniques au développement. En attendant, le marché est actuellement partagé entre les petits producteurs et les agro-industries, pour la plupart des filiales de multinationales qui exploitent un total de 180 645 000 hectares de terres, soit 69 % des superficies concédées, selon les estimations. De l’avis du directeur régional de WWF pour l’Afrique centrale, Marc Languy, la région suscite un énorme intérêt pour ses terres encore en friches pour la production de l’huile de palme. « Pour l’instant le gros de la production mondiale est en Asie du Sud-Est et presque toutes les zones plantables sont déjà en exploitation. », explique-t-il.
Dans le cadre de la stratégie de la CEEAC, il est préconisé de mener des opérations concourant à minimiser autant que possible la déforestation et donc l’emprise en surface du palmier à huile et de toutes les autres commodités. Honoré Tabuna fait remarquer que ce n’est pas une question d’avoir de grandes plantations extrêmement intenses, mais c’est de voir, par exemple, comment on peut améliorer la productivité. Pour l’instant, les tonnages par hectare sont environ trois à quatre fois inférieurs à l’Asie. Les taux d’extraction des fruits sont également inférieurs. Parmi les principales actions, la stratégie régionale prévoit la régénération de 85 000 hectares de plantations villageoises et de 42 000 hectares de plantations industrielles, principalement au Cameroun où les concessions sont anciennes. Ces exploitations seront renforcées par 500 000 hectares de nouvelles plantations villageoises. Elle prévoit aussi l’extension, à l’intérieur des concessions déjà accordées aux agro-industries, de 460 000 hectares de plantations, l’accroissement des rendements en régimes de noix de palme et des taux d’extraction, puis la réhabilitation de la totalité des 740 667 hectares de palmeraies naturelles en RDC.
Les recommandations
D’après Ludovic Miaro de WWF, la validation du Document de stratégie régionale de développement durable de la filière huile de palme tient au fait que les États d’Afrique centrale font face à « un sérieux problème de déficit d’huile de palme », soit plus de 50 % de la production et ont recours à l’importation des pays d’Asie du Sud-Est pour satisfaire les demandes nationales. Les participants (Socapalm, CDC, Palmol, BAD, FAO, Olam Gabon, Comifac, etc.) ont adopté un certain nombre de mesures pour remédier à cette situation, tout en limitant l’impact écologique de cette filière sur les forêts à haute valeur de conversion, la perte de la biodiversité et les moyens de subsistance des communautés locales. Il s’agit, entre autres, d’une meilleure organisation de la chaîne de production à la consommation, en passant par la distribution, en y associant aussi bien des structures privées que publiques, ainsi que des institutions de financement à l’instar de la BDEAC ainsi que les banques commerciales. Ils ont recommandé aux États de fournir la liste exhaustive des entreprises et des organisations professionnelles, tant des grands et petits producteurs des filières de rentes en général et celles du palmier à huile en particulier. En outre, ils ont recommandé à la CEEAC d’étudier la possibilité d’élaborer une stratégie régionale sur le développement de l’éco-agriculture sur toutes les cultures industrielles dans les zones agro-écologiques (coton, karité, cacao, café, thé, etc.) en lien avec la politique agricole commune. À cela s’ajoute la mobilisation des institutions et des outils financiers existants au niveau régional et international, en vue du financement de l’éco-agriculture, en y intégrant la stratégie de la filière huile de palme. La prochaine étape à franchir, c’est l’adoption cette année de cette stratégie par la conférence des ministres de la CEEAC en charge de l’Agriculture et des Forêts.