Les ministres ne sont pas des « enfants gâtés de la République », à l’instar des parlementaires (députés et sénateurs). Mais les membres du cabinet éphémère de Samy Badibanga Ntita (vice-1ER Ministre, ministre d’État, ministre et vice-ministre) le sont sans doute. En seulement quatre mois de travail (du 22 décembre 2016 au 7 avril 2017), ils vont toucher officiellement 16 mois de salaire ! On aimerait bien être à leur place, c’est-à-dire travailler moins pour gagner plus. En plus, c’est un record dans un pays où la durée de vie moyenne d’un gouvernement est d’une année. Il nous revient que les états de paie pour leurs indemnités de sortie seraient déjà apprêtés au ministère du Budget, et le paiement ne saurait traîner. Selon des indiscrétions, il semble que le 1ER Ministre sortant, Samy Badibanga Ntita, aurait sollicité de la bienveillance du président de la République, Joseph Kabila Kabange, et en faveur de membres de son gouvernement que les indemnités de sortie leur soient versées avant l’entrée en fonction de la nouvelle équipe gouvernementale, qui sera dirigée par Bruno Tshibala Nzenze.
Le fait est quasiment universel. Chaque fois qu’un gouvernement ou un Parlement ou une législature, dans un pays, entre en fonction, les membres de ce gouvernement ou les députés et les sénateurs bénéficient de frais d’installation à l’entrée en fonction (l’équivalent de 6 mois de salaire) et des indemnités de sortie à la fin de leur mandat (également l’équivalent de 6 mois de salaire). Jusque-là, le problème ne se pose pas. Mais quand ils cherchent à revoir à la hausse leurs salaires ou émoluments dans un environnement économique difficile, voire à se procurer des avantages indus dans l’opacité, alors les protestations fusent de partout. Ont-ils ou non le droit d’être payés plus ? Et que gagnent-ils ? Ces questions soulèvent de nombreuses passions.
Avec plus ou moins 160 millions de francs, soit près de 115 000 dollars pour les ministres et plus ou moins 128 millions de francs, soit plus de 91 000 dollars pour les vice-ministres, en seulement quatre mois de travail, jamais auparavant un gouvernement n’a réussi un tel exploit. On sait que les records des gouvernements éphémères en RDC sont détenus par les gouvernements Tshisekedi I (du 29 septembre au 1er novembre 1991), II (du 15 août 1992 au 18 mars 1993), et III (du 2 au 9 avril 1997), ainsi que par le gouvernement de Bernadin Mungul Diaka (du 1er au 25 novembre 1991) et par le gouvernement d’union nationale dirigée par le général Norbert Likulia Bolongo (du 9 avril au 17 mai 1997). Cependant, les membres de ces différents gouvernements n’ont touché à ce jour ni frais d’installation, ni indemnités de sortie. Sauf erreur de notre part. Le cas de figure du gouvernement Badibanga est inédit dans l’histoire politique de la République démocratique du Congo. Quoi qu’il en soit, si les membres du cabinet Badibanga ne s’estiment pas les mieux rémunérés de la République, ils pourront quand même se consoler en regardant leur compte en banque. Car, avec 160 millions ou 128 millions de francs en 4 mois, sans compter les avantages et autres frais liés à la fonction, les commissions, les pourboires, etc., ils pourraient par exemple se constituer une bonne cagnotte.
Assurance vie
Un ministre, en Afrique, ç’a des obligations sociales décuplées. C’est toute une famille élargie, toute une clientèle qui se presse à sa porte dès sa nomination annoncée, qu’il convient de satisfaire financièrement au risque de perdre très vite ce pour quoi, précisément, il a (outre sa compétence éventuelle) été nommé : le soutien de sa propre communauté. Ne pas oublier enfin que le poste de ministre est un contrat à durée déterminée (CDD) à haut risque. Dès lors, la tentation de se constituer rapidement, une fois entré en fonction, une sorte d’assurance vie en prévision des temps difficiles est quasi inévitable. En effet, en RDC, entrer au gouvernement ou au Parlement est synonyme d’enrichissement. Depuis plusieurs années, la population dénonce des salaires, jugés exorbitants, que touchent les ministres, les députés et les sénateurs. Elle exige la transparence. En vain ! Personne ne saurait dire avec exactitude ce que touchent réellement les concernés.
Le ras-le-bol
Tous comptes faits, il en découle que les ministres et les parlementaires sont les mieux payés. Comme si cela ne suffisait pas, ils reçoivent diverses primes concernant… Tout cela, dans un pays où les finances ne cessent de s’amenuiser depuis la chute, l’année dernière, des prix des matières premières. Et où le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté équivaut à plus de la moitié de la population (le pays compte plus de 70 millions d’habitants). Sans parler du salaire minimum, obtenu de haute lutte il y a quelques années, et qui est à 3 dollars de l’heure. Aujourd’hui, avec la perte du pouvoir d’achat à plus de 40 %, il ne représente plus grand-chose. Déjà, à cette époque, les salaires des parlementaires avaient déjà scandalisé leurs concitoyens. Si les Congolais n’ont pas encore battu le pavé pour protester contre les salaires jugés mirobolants de leurs représentants, ministres et élus, en descendant dans la rue pour l’exprimer haut et fort, cela ne saurait tarder à venir. Ils pourront s’inspire des exemples autour d’eux. Au Sénégal, la revalorisation des salaires des députés en 2013 a suscité tellement des polémiques qu’un confrère n’a pas hésité d’écrire : « Les faits sont constants : les élus du peuple se sucrent sur le dos du… peuple. » Non loin du Sénégal, au Mali, certains ont crié au scandale lorsqu’ils ont appris, en février 2014, que le président de l’Assemblée touchait une prime de souveraineté de 25 millions de FCFA et chaque député avait 1,4 million de FCFA, en plus d’une prime de 600 000 FCFA remise à l’occasion de chaque session parlementaire. Ce qui a fait jaser plus d’un Malien, car cela était perçu comme une démarche inacceptable dans un pays où le SMIC est à 28 000 FCFA. La moitié de la population malienne vit en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de un dollar par jour.
Mais qu’en est-il des députés en RDC? Sont-ils très bien ou mal rémunérés par rapport à leurs pairs d’autres pays du continent ? D’après un député appartenant à un parti de l’opposition, les élus congolais « ne sont pas à plaindre », comparés aux magistrats, aux professeurs et autres cadres. Leur salaire de base est de plus de 6 000 dollars par mois. De cette somme, il faut retrancher 200 dollars de cotisations sociales pour ceux qui n’ont pas d’enfants ou jusqu’à environ 800 pour les pères et mères de familles. Les représentants du peuple ont ensuite 3 000 dollars de frais de carburant et de communications. Pour ceux qui font partie des commissions (la commission politique ainsi que la commission économique et financière se réunissent régulièrement), ils peuvent gagner, grâce aux jetons de présence, jusqu’à 1800 dollars de plus pendant neuf semaines, à raison de 70 dollars en moyenne par séance. Les revenus augmentent également lors des voyages à l’étranger durant lesquels les députés arrivent à faire de substantielles économies (les frais de mission se situent entre 300 et 500 dollars par jour pour le commun des députés). Mais, souligne un député, « ce n’est pas tout le monde qui a l’opportunité d’aller en mission ».