Il n’y a pas de tensions à proprement parler entre les miniers du Katanga et la Société nationale d’électricité (SNEL) au sujet de l’électricité qui devra être importée d’Afrique du Sud. En tout cas, c’est ce que laisse entendre Jean Bosco Kayombo. Ingénieur civil électromécanicien, ce dernier est le directeur chargé de la gestion d’énergie électrique dans une entreprise minière de la place. C’est à ce titre qu’il fait partie de la commission énergie de la Chambre de mines de la République démocratique du Congo, qui travaille en partenariat avec la SNEL. C’est aussi à ce titre que Jean Bosco Kayombo a fait partie de la délégation conjointe (SNEL et Chambre de mines) qui est allée négocier en Afrique du Sud avec la société Eskom sur un éventuel contrat de fourniture dont bénéficiera principalement la région minière du Katanga, dans le sud-est du pays.
Dans un entretien à Business et Finance, Jean Bosco Kayombo s’est voulu méthodique pour expliquer les contours de cette affaire, qui semble prêter à controverse. En effet, ici et là, on se demande comment la RDC, pays producteur d’énergie électrique peut encore importer du courant d’Afrique du Sud, qui, elle-même, se tourne vers la RDC pour satisfaire sa demande interne en électricité. « Il faut retenir d’abord que l’électricité est un intrant qui aide à produire et transformer le minerai en métal », précise Jean Bosco Kayombo. Et cela va de soi que c’est la SNEL qui fournit l’électricité et particulièrement aux miniers. Mais il se fait que, depuis 2012, suite à des facteurs multiples, la société publique n’est plus en mesure de satisfaire les puissances souscrites, notamment les contrats signés en bilatéral avec chacun des miniers. Selon l’ingénieur Kayombo, le déficit énergétique actuel est dû principalement au changement climatique, c’est-à-dire à la baisse du niveau de l’eau dans le fleuve, les lacs et les rivières. D’ailleurs, expliquent des experts, le fait que les précipitations sont devenues « limitées » pourrait entraîner une chute de production de près de 50 % dans les principales centrales hydroélectriques du pays au cours de la saison sèche de mai à septembre.
Ce n’est pas tout. Le déficit énergétique actuel est aussi le fait du « retard » mis pour l’entretien des équipements et la réhabilitation des ouvrages de la SNEL. Selon les estimations de la société nationale d’électricité, le déficit actuel est de 600 à 700 MW. « Du fait que la SNEL n’est plus en mesure de fournir l’électricité en quantité suffisante, les sociétés minières sont obligées de se chercher des sources alternatives. Certains miniers se sont donc tournés vers les groupes diesel, d’autres ont choisi carrément d’importer de l’énergie des pays voisins », fait remarquer Jean Bosco Kayombo.
L’offre d’Eskom
Cette année, la société nationale d’électricité de l’Afrique du Sud, Eskom, a annoncé avoir un surplus sur sa production d’énergie électrique et pouvoir le mettre au service des pays en déficit qui en auraient besoin. « C’est ainsi que la SNEL a sauté sur l’occasion. Et les miniers qui ont été également contactés par Eskom, y ont trouvé une solution à leurs difficultés », souligne Kayombo. Pour rappel, Eskom est la première compagnie sud-africaine de production et de distribution d’électricité. Fondée en 1923 par Electricity Supply Commission (ESCOM), elle est actuellement l’une des dix premières sociétés d’électricité dans le monde.
D’après l’ingénieur Kayombo, Eskom a présenté un surplus de 1 000 MW. Malheureusement, les contraintes de transfert, notamment le transit par le Zimbabwe et la Zambie, ne permettent pas que tout cet excédent arrive au Katanga. « D’après les estimations qui nous ont été communiquées, seulement 200 MW peuvent, pour le moment, traverser ces deux pays et arriver chez nous », fait-il remarquer. Ces 200 MW, poursuit-il, permettront cependant aux miniers d’avoir un peu plus d’électricité que d’habitude, c’est-à-dire en plus de ce que certaines sociétés produisent elles-mêmes (générateurs diesel) ou de ce que d’autres importent de la Zambie ou d’autres pays de l’Afrique australe, en collaboration avec la SNEL.
Avec le boom minier dans l’ex-Katanga, il y a eu un grand besoin en énergie électrique dont la SNEL ne pouvait satisfaire totalement, compte tenu de son parc de production devenu vétuste. C’est ainsi que des sociétés minières ont signé des contrats de partenariat public-privé avec la SNEL pour remettre en service ses installations à l’arrêt et augmenter ainsi sa productibilité afin d’alimenter les miniers de façon optimale. Ce programme de partenariat a marché tant bien que mal. Les miniers ayant investi dans la réhabilitation des équipements et infrastructures de la SNEL pour accroître son productible. Parallèlement à ce programme, la Banque mondiale a apporté un important financement pour la réhabilitation des infrastructures de la SNEL. « Tout ce processus n’est pas encore arrivé à maturité, ce qui fait qu’on n’a pas encore la totalité des machines de la puissance espérée », déclare Jean Bosco Kayombo. D’après lui, c’est le premier aspect du problème.
Comment satisfaire la demande interne ?
Le second aspect, dit-il, c’est la puissance installée de la SNEL. Les barrages hydroélectriques existants ne permettent plus aujourd’hui de satisfaire toute la demande locale. Il faut en construire d’autres. Pour leur part, les sociétés minières souhaitent voir des projets de construction de nouveaux barrages rapidement mis en chantier, afin de satisfaire leur demande et leur permettre d’augmenter leur production. Les miniers espèrent que les projets de construction du Grand Inga et de petites centrales comme Lusanga, Nzilo II ou Lualaba, vont se concrétiser rapidement. Le pays, qui a une capacité installée d’environ 2 500 MW, ambitionne de construire, d’ici 2020, un nouveau barrage électrique de 4 800 MW sur le fleuve Congo.
Jean Bosco Kayombo pense que la solution d’importer de l’énergie électrique peut être une « bonne chose », à condition que le prix fixé par le vendeur soit « acceptable ». En effet, les miniers ne sont pas maîtres de leur destin en matière de prix du cuivre et du cobalt sur les marchés internationaux des matières premières. Les cours des métaux obéissent donc à la loi de l’offre et de la demande. « Dans ce cas, explique Kayombo, si l’électricité coûte cher, les miniers ne pourront pas vendre de manière concurrentielle sur ces marchés face aux produits provenant d’autres pays. »
Le problème a été posé. Au mois d’avril, la Fédération des entreprises du Congo (FEC), à travers la Chambre de mines, a organisé une conférence sur l’énergie à Lubumbashi. La SNEL et la société sud-africaine Eskom y ont été invitées. Au cours de cette conférence, Eskom a confirmé l’information du surplus d’électricité qu’elle produit. C’est ainsi que dans la délégation de la SNEL qui s’est rendue en Afrique du Sud, se trouvait Jean Bosco Kayombo en tant que délégué de la Chambre de mines. Question de transparence dans la négociation, précise-t-il. En guise de négociation, il s’est agi en réalité des premiers contacts entre la SNEL et Eskom sur « ce qui est mis sur la table », c’est-à-dire les 200 MW mis à disposition.
L’étape suivante consiste à se rassurer du passage de cette électricité au Zimbabwe et en Zambie, ainsi que du prix d’achat. « Une fois que tout cela est discuté, la SNEL et les miniers vont alors se mettre autour d’une table pour convenir sur les conditions d’importation. », explique Kayombo. Pour le moment, souligne-t-il, les parties en négociation, à savoir la SNEL, les miniers et Eskom, ne sont qu’à l’étape…
…de la collecte des données. « Dès que nous aurons toutes les données, nous connaîtrons alors la quantité, le prix d’achat, les besoins de chaque minier, ce que la SNEL peut offrir et le tarif à appliquer à chaque niveau. À ce moment, nous serons en mesure de savoir comment cette énergie va être importée. C’est très tôt de dire quoi que ce soit maintenant car nous ne sommes qu’au début des discussions. », insiste Jean Bosco Kayombo.
Eskom est prête dès juin
Et de poursuivre : « Nous connaissons le prix indicatif mais pas encore celui de transit qui permettra de calculer le prix rendu chez nous. Dès que nous aurons tous ces éléments, la SNEL et la Chambre de mines vont se retrouver pour définir la manière dont l’électricité sera importée d’Afrique du Sud, et éventuellement voir comment associer le gouvernement aux discussions afin d’obtenir des allègements, voire des facilités de sa part. » Concrètement, l’étape de collecte des données ne va pas prendre beaucoup de temps. Au contraire, elle doit se faire rapidement parce que l’énergie est disponible. Eskom est prête à fournir son électricité à partir de ce 1er juin. En quantité, 200 MW, ce n’est pas encore suffisant par rapport au déficit qui est de l’ordre de 600 à 700 MW. Mais c’est quand même quelque chose, nous dit Kayombo.
À quel prix et dans quelles conditions ? « C’est à voir. Le chemin est encore long, nous sommes en négociation et l’important est qu’il y ait ces 200 MW en permanence, en plus de ce que les miniers peuvent avoir localement », rassure-t-il. Soupçonnée de vouloir réaliser du « profit », la SNEL s’en défend. Quoiqu’étant une société commerciale, elle entend privilégier et servir les « intérêts de l’économie nationale ». Selon son porte-parole, Médard Kitakani, les pourparlers avec Eskom se poursuivent, et il serait prématuré à ce stade de faire des commentaires définitifs à ce propos. Comme pour dire qu’il n’existerait donc pas des « tensions » entre la SNEL et les miniers du Katanga. Selon Jean Bosco Kayombo, la Chambre de mines a toujours travaillé « en partenariat » avec la SNEL dans le but de trouver des solutions au déficit d’énergie électrique dans « l’intérêt de tout le monde ».
Si un accord de vente d’électricité sud-africaine venait à être conclu, c’est la SNEL à travers son circuit qui se chargera du transfert vers le Katanga, en passant par les réseaux électriques du Zimbabwe et de la Zambie. En raison de la réglementation du Pool énergétique de l’Afrique australe ou le Projet du marché de l’énergie en Afrique australe (SAPMP-PMEDE) qui exige que les miniers passent par la compagnie nationale d’électricité. Un facteur qui va augmenter le prix d’achat de l’énergie. « C’est nettement plus cher…, mais l’intérêt économique est si important que la proposition mérite notre attention.», a déclaré Eric Monga, le président de la FEC provinciale au Katanga.
La RDC est actuellement le premier producteur de cuivre du continent. Ses opérateurs miniers majeurs sont Glencore, Ivanhoe Mines et Randgold.