Aujourd’hui, il y a un débat de fond entre les décideurs politiques et les spécialistes en matière de logistique. Quel que soit l’angle sous lequel on aborde cette problématique, tous les experts sont du même avis : des bonnes infrastructures et des services de transports efficaces sont la condition sine qua non à l’expansion du commerce. Le commerce, soutiennent-ils, n’est possible que si les produits peuvent être transportés dans les meilleures conditions de coûts, de célérité et de sécurité des zones de production vers les zones de consommation.
Malheureusement, force est de constater que les systèmes de transport en Afrique se caractérisent par leurs dysfonctionnements et leurs inefficiences dus à l’insuffisance et à la mauvaise qualité des infrastructures, à la multiplicité et à la non harmonisation des procédures administratives et douanières du transport en transit. Les conséquences d’une telle situation sont des coûts de transport très élevés par rapport aux autres régions du monde, de longs délais d’acheminement et des conditions de sécurité et de fiabilité très aléatoires. À titre d’exemple, des études ont révélé que les pays africains à façade maritime consacrent en moyenne 7 % de leurs recettes d’exportation aux transports. Les pays sans littoral y consacrent jusqu’à 15 % contre une moyenne mondiale de 4 %. Ces coûts supplémentaires réduisent leur compétitivité et le volume des échanges sous-régionaux et internationaux. Quant aux produits d’importation, les coûts de transport représentent de 25 à 40 %, voire 60 % pour certains produits, de leur prix de revient dans les pays enclavés.
Le développement du système des transports, notamment la facilitation du transport en transit, est donc un grand sujet de préoccupation en Afrique. Aussi, rappellent les experts, la communauté internationale ainsi que les autorités compétentes des différents pays ont-elles pris diverses mesures et initiatives, à travers notamment des conventions, protocoles et accords en vue d’améliorer les infrastructures, de simplifier et harmoniser les procédures relatives aux opérations de transport et d’assurer la fluidité du trafic sur les axes routiers.
D’après ces mêmes experts, en dépit de toutes ces actions, le constat qui s’impose est que les résultats atteints ne permettent pas d’affirmer qu’il y a eu une amélioration notable des chaînes de transport en Afrique ; amélioration qu’appellent de tous leurs vœux surtout les pays sans façade maritime, dont les économies sont plus sévèrement affectées par l’inefficacité des systèmes de transport. Et selon eux, les systèmes de transport et de transit en Afrique de l’Ouest sont un exemple illustratif d’une situation à peu près similaire dans les autres régions de l’Afrique, notamment en Afrique centrale dont la République démocratique du Congo fait partie.
Entraves à la fluidité du trafic
Anatole Lutumba est un expert congolais en matière de transport multimodal. Il fait observer que l’efficacité des systèmes de transport en Afrique est affectée par deux types de contraintes, classées en barrières physiques et barrières non physiques. Les barrières physiques tiennent tant aux infrastructures qu’aux moyens de transport. Les ports maritimes africains sont caractérisés par l’insuffisance de leurs infrastructures, et leurs équipements sont souvent non performants ; ce qui entraîne une situation d’encombrements portuaires quasi permanente. « Ce sont ces arguments qui sont souvent invoqués par les armements pour appliquer régulièrement des surcharges portuaires sur les tarifs de transport maritime à destination des ports africains », fait remarquer Anatole Lutumba.
En plus de ces surcharges portuaires, poursuit-il, il arrive que des chargeurs se voient imputer par les compagnies maritimes des pénalités de stationnement prolongé de navires ayant transporté leurs marchandises. Les infrastructures portuaires sont parfois inadaptés aux marchandises, notamment celles en provenance des pays de l’hinterland. Il prend pour exemple les problèmes de stockage qu’a connus le coton burkinabè au port de Tema pendant la crise ivoirienne. « Le port de Tema n’avait pas l’habitude de traiter ce produit, si bien qu’il a eu des difficultés à faire face au détournement du trafic burkinabè provoqué par la crise ivoirienne. »
Par ailleurs, d’une manière générale, les infrastructures routières en Afrique sont insuffisantes et les réseaux routiers existants sont en constante dégradation du fait d’un faible niveau d’entretien. Selon l’Association des gestionnaires et partenaires africains des routes (AGEPAR), le réseau routier du continent africain est constitué de près de 2 064 613 km de routes, dont les deux tiers sont à l’état de piste. « En vue de renforcer le niveau de compétitivité de l’Afrique, il faudrait nécessairement et de façon systématique, s’attaquer aux problèmes liés, d’une part, au faible niveau de développement des infrastructures, et, d’autre part, au déficit de l’offre infrastructurelle », estime Anatole Lutumba.
Qui est d’avis que les contraintes liées aux moyens de transport routier ne résident pas dans l’insuffisance de ceux qui sont parfois pléthoriques, mais portent essentiellement sur leur qualité. « En effet, souligne-t-il, le transport routier des marchandises est caractérisé par l’état de vétusté du parc de véhicules routiers. Les coûts d’acquisition des camions étant très élevés, la majorité des transports routiers se rabattent sur l’importation de véhicules dits de seconde main ». Ainsi, l’âge moyen de 95 % des véhicules de marchandises circulant sur les axes routiers se situe entre 10 et 20 ans. À cela s’ajoutent le manque d’entretien courant des véhicules, et toutes choses qui les rendent susceptibles de fréquentes pannes, notamment peu de centres techniques performants de contrôle de véhicules automobiles. Il y a également un manque de camions adaptés au transport des produits frais. Les moyens de transport ferroviaire sont dans un état de vétusté préjudiciable à l’efficacité de ce mode de transport. Ce spécialiste du transport multimodal fait observer que la concession de l’exploitation des chemins de fer opérée par les États n’a encore ni augmenté la quantité du matériel roulant ni amélioré la qualité de celui-ci. Par ailleurs, les principales contraintes que connaît le système des transports en Afrique en général et le trafic en transit en particulier sont aussi liées aux barrières non physiques, tant au passage portuaire que lors du transport terrestre et même des opérations terminales. Le passage portuaire des marchandises est soumis aux contraintes suivantes : complexité et lenteurs des procédures douanières et administratives. Pour des raisons de sécurisation des recettes fiscales et douanières, les marchandises en transit vers les pays de l’hinterland et leurs produits d’exportation sont soumises à des contrôles parfois excessifs qui rallongent les délais d’accomplissement des formalités de transit. Ces marchandises font l’objet de paiement d’un fonds de garantie et d’une escorte douanière ; deux mesures qui ont le même objectif : couvrir le risque de déversement des marchandises sur le territoire du pays de transit. Coûts élevés des formalités et opérations portuaires telles que l’extra portage, la manutention, le magasinage, les cautions sur les conteneurs, les surestaries, les frais d’échange de connaissement… ; le paiement de certains de ces frais paraît injustifié. Anatole Lutumba explique : « Il est difficilement compréhensible que le chargeur paie le prix du transport de sa marchandise au transporteur maritime et qu’au moment de prendre livraison de cette marchandise, il soit obligé de payer de l’argent au représentant du transporteur juste pour récupérer un bon à enlever de sa marchandise en échange de la remise du connaissement (déclaration contenant un état des marchandises chargées sur un bateau) qui a matérialisé le contrat de transport et qui constitue le titre de propriété de la marchandise. » Le transport routier est caractérisé par la multiplicité des barrières non physiques et le coût élevé des prestations. Il rencontre d’énormes difficultés du fait évidemment de l’état défectueux des infrastructures et des véhicules, mais surtout de la multiplicité des barrières non physiques et leurs corollaires.