Ils ne décolèrent pas. Un peu plus de deux semaines après le conseil des ministres sous la conduite du président de la République, Joseph Kabila Kabange, c’est la levée de boucliers de la part des syndicats de la Fonction publique et des services publics qui se mobilisent déjà. Le compte-rendu du conseil des ministres sur les revendications sociales, principalement salariales, passe mal dans le monde des fonctionnaires et agents de l’État, dont les syndicats se préparent à lancer une offensive en vue de contraindre le gouvernement à répondre positivement à leurs desiderata.
À propos des négociations entre le gouvernement et l’intersyndicale de la Fonction publique, à en croire le porte-parole du gouvernement, le ministre de la Communication et des Médias, Lambert Mende Omalanga, le ministre d’État, en charge de la Fonction publique, Michel Bongongo Ikoli, a présenté au gouvernement l’économie des négociations avec l’Intersyndicale nationale de l’administration publique (INAP) portant sur le cahier des charges de l’INAP et les pistes de solutions y relatives. Le banc syndical appelle à l’application du taux budgétaire (1 425 francs pour 1 dollar) pour la paie des fonctionnaires et agents de l’État et à la convocation d’une commission paritaire (gouvernement -banc syndical) pour la mise en place du barème salarial des fonctionnaires et agents de l’État.
Après débats et délibérations, le conseil des ministres a décidé, d’une part, d’accorder avec effet immédiat une légère augmentation du salaire des agents de l’État et, d’autre part, de mettre en place dans les meilleurs délais la commission mixte paritaire à l’effet de fixer le barème salarial. Cette commission mixte paritaire est composée, en plus des membres des cabinets, des experts du banc syndical, des délégués des administrations de la présidence de la République, de la primature, des ministères du Budget, de la Fonction publique et des Finances, ainsi que des services qui ont déjà été l’objet des missions de contrôle de la paie des salaires.
Le conseil des ministres a, en outre, décidé de relancer les missions de contrôle de la paie des salaires et frais de fonctionnement à travers l’ensemble du territoire national et ce, dans tous les ministères et services publics de l’État. Les équipes affectées à cette mission de contrôle seront composées pour moitié, par les experts des administrations et cabinets ministériels et pour moitié par le banc syndical.
La pilule a bien du mal à passer, comme on peut le constater ces derniers jours dans les services publics. Les syndicats des médecins, des professeurs, des enseignants et des magistrats ont projeté une concertation pour une position commune. L’enjeu est simple : radicaliser le mouvement général de grève pour obtenir gain de cause. Avec le gouvernement Tshibala, le rejet est encore plus viscéral. Partout, les assemblées générales des syndicats témoignent d’une volonté d’en découdre. « Nous devons nous mobiliser contre l’imposture du gouvernement », râle un professeur de l’Université de Kinshasa. Les médecins qui étaient déjà en mode service minimum, devraient déclencher, cette semaine, une grève sèche, c’est-à-dire pas de consultation, pas de prise en charge médicale des patients. Les syndicats des enseignants (SYECO et SYNECAT) ont d’ores et déjà annoncé une grève illimitée à partir du 4 septembre, date prévue de la rentrée scolaire 2017-2018. Les magistrats devraient aussi leur emboîter le pas en séchant les audiences dans les parquets, les cours et les tribunaux.
Septembre de tous les dangers
Jusque où peut aller le mouvement de grève général dans les services publics ? Il peut avoir effectivement un coût électoral, estime ainsi le sociologue Raymond Bakunde, spécialiste des questions syndicales. Pour lui, le 1ER Ministre, Bruno Tshibala, sert désormais de « chiffon rouge ». Il explique que Tshibala pourrait passer « son premier sale temps » avec les fonctionnaires et agents de l’État, car les nerfs sont à vif à la Fonction publique. La dépréciation du franc congolais par rapport au dollar a une incidence sur le pouvoir d’achat. Entretemps, les salaires des fonctionnaires et agents de l’État ne sont guère indexés. Par exemple, le fonctionnaire qui touche quelque 280 000 francs, soit un peu plus de 300 dollars en septembre 2016, est fou furieux de constater que ses 280 000 francs ne valent plus que moins de 200 dollars, aujourd’hui.
Un vieux contentieux social !
Les syndicats de la Fonction publique exigent d’abord la paie au taux budgétaire de 1 425 francs, avant la reprise des pourparlers sur un nouveau barème des salaires. C’est un rendez-vous de longue date avec le gouvernement. On s’en souvient, dans les années de la Transition version Conférence nationale souveraine – Haut Conseil de la République – Parlement de Transition (CNS – HCR-PT), du temps de Mobutu, faute de satisfaire à leur demande sociale, les fonctionnaires et agents de l’État avaient improvisé un cercueil du Maréchal sur la fameuse Place Golgotha devant le bâtiment blanc, siège de la Fonction publique.
Aujourd’hui, c’est de l’histoire ancienne, pourrait-on ainsi dire, parce que les fonctionnaires et agents de l’État ont leurs salaires payés à la régulière grâce à la bancarisation. Mais les salaires à la Fonction publique sont restés cristallisés sous l’ère Matata Ponyo, alors que son prédécesseur, Adolphe Muzito, avait entamé un processus de réajustement à la hausse. La conséquence est que le pouvoir d’achat s’effrite du jour au lendemain avec la hausse des prix des produits de base. Les primes constituent un autre dossier qui fâche à la Fonction publique. Matata Ponyo y aurait mis une ligne rouge à ne pas franchir. Elles ont fait l’objet d’un véritable pugilat épistolaire entre l’ancien 1ER Ministre et son ministre des Finances, Henri Yav Mulang, qui ne voulait nullement rien entendre, ni attendre d’« une autorisation préalable » de son chef pour les payer, singulièrement à la Direction générale des recettes administratives, domaniales et de participation (DGRAD).
Samy Badibanga Ntita qui a succédé à Matata Ponyo, a, lui, renoué le dialogue avec le banc syndical. L’espoir était permis. La question de la paie des salaires dans les services publics au taux budgétaire de 1 425 francs a soulevé des vagues à l’Assemblée nationale, lors de la présentation du projet de budget 2017 par Bruno Tshibala. Le 1ER Ministre a déclaré sans ambages : « la prudence managériale m’interdit de faire des promesses démagogiques et populistes que le gouvernement ne saurait pas réaliser. La question technique et financière qui se pose est de savoir si, avec un taux de croissance très largement inférieur au taux de change et d’inflation, le gouvernement peut se permettre de prendre le risque d’envisager de distribuer une richesse qui n’existe pas et faire sombrer le pays dans une spirale inflationniste des prix et des salaires. » Et de poursuivre : « Les augmentations prévues dans le projet du budget 2017 sont en fait des projections et non des richesses déjà réalisées que le gouvernement peut commencer à distribuer à travers les rémunérations. II faut donc traiter avec prudence cette question de l’enveloppe salariale que nous devons encadrer dans les limites de ce que la trésorerie publique nous offre chaque mois. » Pourquoi alors avoir promis aux syndicats de payer les salaires dès le mois d’août au taux budgétaire ? Selon des sources dignes de foi, Tshibala n’a pas peur de « bosses et plaies » que lui promettent les fonctionnaires et agents de l’État. Au contraire, selon son entourage, ils font faire leur grève jusqu’à se fatiguer.
Au ministère de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance sociale, on lance un appel à l’apaisement. On rappelle qu’un protocole d’accord a été conclu le 6 avril pour la convocation d’une session du conseil national du travail (CNT) au 27 avril. Le CNT est le mécanisme légal tripartite de concertation et de dialogue permanent entre le gouvernement, le patronat et les syndicats pour prévenir les conflits sociaux. Selon les syndicalistes, « ce cadre est absent étant donné que nos revendications ne sont jamais prises compte ». Les syndicats dénoncent « la politique récurrente de bonnes intentions du gouvernement ». D’après les syndicats, le niveau d’exécution des revendications sociales est nettement en-deçà des 30 %. Un taux qui montre que « le gouvernement répond à son gré aux revendications sociales des fonctionnaires et agents de l’État ».