Apparemment, le ministre d’État en charge de l’Économie, Joseph Kapika, a du mal à se départir de son carcan politicien d’opposant ex-UDPS tshisekediste radical. Apparemment ! Depuis qu’il occupe ce maroquin combien important, Joseph Kapika affiche une attitude va-t-en-guerre, peu réaliste pour un homme d’État, surtout en période de crise. Combien de temps lui faudra-t-il pour comprendre que les faits économiques sont têtus et n’obéissent qu’aux règles du marché, c’est-à-dire à la loi de l’offre et de la demande ? Certes, la force est à l’État, mais la raison n’est pas toujours dans son camp. La raison est à la vérité ou la réalité. C’est bien cela la logique économique.
Réagissant, à sa manière, à la surchauffe actuelle observée à la pompe dans les stations-service, où les files d’attente des véhicules ont fait leur réapparition après des dizaines d’années, le ministre d’État en charge de l’Économie est monté sur ses chevaux pour déclarer « urbi et orbi » qu’il n’y aura pas de hausse des prix du carburant à la pompe. Et comme si cela ne suffisait pas, il a même mis en demeure les pétroliers parce que, dit-il, le gouvernement fait beaucoup en leur faveur. Force est de constater que sa menace à peine voilée n’a pas eu de répondant ni dans la profession pétrolière, ni dans l’opinion. En effet, l’énorme pression des pétroliers, c’est-à-dire le service minimum à la pompe, a poussé le gouvernement dans les cordes, l’obligeant à engager des négociations pour le réajustement des prix à la pompe.
Le Comité de suivi des prix des produits pétroliers (CSPP) a été donc réactivé. Il est à pied d’œuvre, passant en revue les paramètres clés ou éléments techniques de la structure des prix. Comme quoi, la logique économique va l’emporter sur les considérations politiques. Et cela suffit pour écorner le peu de crédit que Joseph Kapika a encore auprès des opérateurs économiques. Lui qui a donné son doigt à couper si jamais il y a hausse à la pompe. Dans les États civilisés, c’est le ministère de l’Économie qui crée la richesse. Il fixe les droits, les taxes et tout ce que les entreprises commerciales peuvent avoir comme marges bénéficiaires. Grosso modo, c’est le ministère de l’Économie qui règlemente et définit tout, et c’est donc le ministre de l’Économie qui fixe les règles du jeu, c’est-à-dire comment on doit se comporter.
Cependant, en tant que produits stratégiques, les produits pétroliers (tout comme l’eau, l’électricité et le transport en commun) ne se vendent pas comme tous les autres produits. Le gouvernement a mis une soupape de sécurité en vue de trouver avec la profession pétrolière le juste milieu dans la tarification. Le désaccord actuel porte essentiellement sur le taux de change, a laissé entendre le vice-président du regroupement des sociétés pétrolières en République démocratique du Congo, Emery Bope, sur les antennes de la Radio Okapi. Certes, a-t-il reconnu, le gouvernement fait beaucoup d’efforts pour stabiliser le taux de change qui a baissé de 1 700 à 1 560 francs actuellement. Mais ce que souhaitent les sociétés pétrolières, c’est de rapprocher le taux de change de la réalité, si l’on ne peut pas l’atteindre. En d’autres termes, les sociétés pétrolières demandent un taux de change qui leur permette d’accéder aux devises afin de refaire leurs stocks de carburant.
La dépréciation du franc a laissé des séquelles dans la trésorerie de ces sociétés qui ne savent plus se réapprovisionner auprès des fournisseurs, car elles vendent à perte. Selon Emery Bope, si on parvient à « corriger » le taux de change de manière à permettre aux sociétés pétrolières de rétablir l’équilibre financier dans la trésorerie et d’avoir directement accès aux devises auprès de la Banque centrale, la situation va rapidement se décanter à ses yeux. C’est un problème technique, a-t-il souligné, et c’est sur les éléments techniques justement que portent les discussions en cours entre le gouvernement et la profession pétrolière.
Des réserves en stocks pour plus de 90 jours
Actuellement, le temps de couverture est de plus de 90 jours quand on prend en compte les deux terminaux ouest, SEP Congo et SOCIR dont les installations sont utilisées pour le stockage. C’est dire qu’il n’y a péril en la demeure. Pour rappel, les stocks en consignation à SEP Congo et à SOCIR sont la propriété des entreprises privées, notamment étrangères basées à Genève et Londres ou nationales, qui font le trading ou la fourniture des produits pétroliers. En attendant l’issue des négociations, la surchauffe continue à la pompe dans les stations-service. Latentes au début de la crise actuelle du franc, des tensions autour du prix du carburant sont devenues de plus en plus manifestes. Les pétroliers ont exigé d’abord l’application du deuxième palier de la hausse des prix à la pompe. Ils l’obtenu car il est entré en vigueur le 7 juin, deux mois seulement après un premier réajustement.
Le litre de l’essence coûte actuellement 1 730 francs, celui du gasoil 1 720 francs. Jusque-là, les réactions sont mitigées. Mais ça maugrée déjà chez les transporteurs. Qui jusque-là n’ont pas encore bougé leurs tarifs. Et ça ne saurait tarder, on fait savoir des représentants de l’Association des chauffeurs du Congo (ACCO). Celle-ci est demanderesse de nouvelles concertations avec l’autorité urbaine pour discuter de nouvelles dispositions à prendre. Ce n’est pas tant la hausse à la pompe que redoutent tant les Kinois, mais l’emballement général des prix par effet de domino. En effet, le gouvernement et la profession pétrolière n’émettent pas sur la même longueur d’ondes à ce sujet. Lors de la rencontre du 5 mai, le cabinet Badibanga a estimé que la question de la hausse devrait être examinée par le nouveau gouvernement, celui de Bruno Tshibala.
Le manque à gagner devrait être pris en compte. Comme quoi, le gouvernement n’était pas opposé à un nouveau réajustement comme convenu. « Les paramètres ont changé parce que les produits pétroliers importés nécessitent la disponibilité des devises, qui doivent être achetés sur le marché. », avait expliqué Modeste Bahati Lukwebo, alors ministre de l’Économie. Or les devises se font rares entraînant ainsi la dépréciation continue du franc et le pays traverse une zone des turbulences politiques. Tout cela a une incidence négative sur les paramètres macroéconomiques, particulièrement sur les prix, avait reconnu Bahati Lukwebo. Il va sans dire qu’un réajustement des prix du carburant était inévitable. Depuis le début de l’année, la profession pétrolière met le gouvernement sous pression exigeant le principe de « vérité de prix ».
Pour obtenir un réajustement des prix, les sociétés pétrolières procèdent par « sevrage » dans la distribution des produits en réduisant les heures de vente dans les stations-service. Pour ces sociétés, le délitement du franc est un manque à gagner sur chaque litre vendu dans un environnement catastrophique. Samy Badibanga Ntita a su gérer la « crise » de la manière qu’il a pu, c’est-à-dire le réajustement progressif. Avec la promesse que le prix du litre ne franchira pas la barre de 2 000 francs d’un seul trait. La RDC est l’un des pays au monde où le prix du carburant est le plus élevé. Il y a peu, le prix du litre avoisinait les 2 dollars.
Le prix du carburant est fonction du prix moyen frontière, de la fiscalité, de la parafiscalité mais aussi du taux de change. Cependant, la problématique de la vérité de prix n’a jamais fait l’objet des discussions en profondeur entre le gouvernement et la profession pétrolière. À Kinshasa, la dépréciation du franc par rapport au dollar n’est jamais perçue comme une bonne chose. Les prix (essence et gasoil) du carburant ont tendance à s’aligner automatiquement sur le taux de change, et les conséquences sur le marché sont très redoutées. En effet, ils entraînent avec eux les prix des denrées alimentaires et les tarifs dans le transport en commun. Depuis toujours, le gouvernement cherche à éviter l’ire populaire en bloquant les prix par la subvention. Ce fut le cas pour le carburant à une certaine période. Mais les pétroliers distributeurs réclament, eux, la politique de vérité de prix. Entre la hausse, même légère, et la sécheresse à la pompe, le choix est clair, avait laissé entendre Modeste Bahati. Quitte à maîtriser les effets collatéraux de la hausse sur les tarifs de transport en commun, par exemple, du fait de la période d’incertitude.