Force est reconnaître que la République démocratique du Congo est un pays où le secteur privé (local) a été longtemps marginalisé, sinon combattu et vilipendé. Encore aujourd’hui, bien qu’on observe les efforts de le mettre en avant, l a valorisation du rôle de l’entrepreneur national est à consolider. Bien souvent, c’est le privé étranger qui est sollicité et le mieux informé sur les perspectives économiques du pays, au détriment des promoteurs locaux. Pour preuve, les grands fora lui sont le plus souvent consacrés. D’où la nécessité de mettre à dispositions des promoteurs nationaux des informations sur les secteurs porteurs, les méthodes de gestion modernes. Et surtout de leur proposer des modèles et des expériences entrepreneuriales à suivre. Cette problématique est souvent absente de débats sur la mobilisation des recettes internes.
Selon les prévisions de la Banque africaine de développement (BAD), les perspectives économiques en 2017 sur le continent s’annoncent sous des bons augures. La croissance du Produit intérieur brut (PIB) en volume a marqué le pas (à 2,2 %) en 2016, sous l’effet de la chute des cours des matières premières. D’après la BAD, l’Afrique a tous les atouts pour installer une croissance plus alerte et inclusive, car elle dispose d’un secteur privé dynamique, d’une population douée d’un esprit d’entreprise et des ressources naturelles abondantes. Vu sous cet angle, la croissance moyenne de l’Afrique devrait rebondir à 3,4 % en 2017, à condition que le redressement des cours des matières premières se poursuive, que l’économie mondiale se renforce et que les réformes macroéconomiques intérieures se consolident. Et la croissance devrait s’accélérer à 4,3 % en 2018.
Les recettes fiscales restent la première source de financement intérieur dans les pays africains, même si elles ont baissé avec le repli des cours des matières premières. La BAD recommande aux gouvernements d’explorer de « nouvelles options pour mobiliser les ressources intérieures » et réduire « l’exposition de leurs revenus à la volatilité des cours des produits de base ». C’est pourquoi, il faut actionner le levier de sources de croissance plus stables pour stimuler le développement humain. Dans cette optique, il faut, entre autres, accroître les capacités de diversification des financements et s’atteler plus efficacement à la transformation structurelle.
Malgré des avancées ces dix dernières années, plus de la moitié de la population (54 %) dans 46 pays africains vit toujours dans la pauvreté. D’après la BAD, « il faut redoubler d’efforts pour impartir aux Africains les compétences indispensables à la promotion d’un développement ascendant, porté par l’innovation et l’investissement intérieurs. » c’est pourquoi dans Perspectives économiques en Afrique 2017, elle a choisi de focaliser l’attention sur le rôle des entrepreneurs dans l’industrialisation du continent.
L’industrialisation fait d’ailleurs partie des cinq grandes priorités du programme d’action de la BAD et l’Union africaine (UA) en fait sa principale stratégie pour promouvoir une transformation économique sans exclus. L’industrialisation est aussi au cœur du 9è Objectif de développement durable (ODD). En juillet 2016, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé la Troisième décennie pour le développement industriel de l’Afrique (2016-2025) et sous l’impulsion de la Chine, le G20 a levé l’option en septembre 2016 de soutenir l’industrialisation de l’Afrique à travers son Plan d’action pour la mise en œuvre de l’Agenda pour le développement durable à l’horizon 2030. C’est dans cette perspective que la BAD propose des pistes concrètes d’action.
Les régies financières mises au pas de charge
L’industrialisation de l’Afrique ne ressemblera pas à ce qu’ont connu les autres régions du monde – ne serait-ce que, déjà, du fait de la variété des profils des 54 pays d’Afrique, qui emprunteront donc des trajectoires différentes. Et cette industrialisation ne reposera pas uniquement sur le secteur manufacturier qui, à 11 % du PIB du continent, reste de taille modeste. Selon ce que propose la BAD, les politiques industrielles doivent d’abord cibler des secteurs à fort potentiel de croissance, comme l’agro-alimentaire et les services à valeur ajoutée. Avec l’évolution de la technologie et des marchés, qui permet de procéder à une industrialisation moins pénalisante pour l’environnement, les politiques doivent ensuite promouvoir une « industrialisation verte ».
Cela exige de consacrer plus d’efforts à déployer des infrastructures respectueuses de l’environnement, accessibles aux entreprises comme aux citoyens. Enfin et surtout, l’industrialisation de l’Afrique dépendra du dynamisme de son secteur privé. Les nouvelles stratégies d’industrialisation doivent donc s’appuyer sur les entrepreneurs locaux, en plein essor.
Selon la BAD, la culture entrepreneuriale est bien vivante en Afrique : environ 80 % des Africains considèrent l’entrepreneuriat comme une bonne opportunité de carrière. L’Afrique affiche la plus forte proportion au monde d’adultes démarrant ou gérant une nouvelle entreprise, mais souvent dans des secteurs faiblement productifs. Les nouvelles stratégies d’industrialisation doivent s’efforcer de profiter de cette dynamique et de cibler les entreprises privées à croissance rapide, susceptibles de création d’emplois de qualité. La BAD prévient que la coopération internationale sera plus que jamais indispensable pour libérer ces extraordinaires sources potentielles de croissance, dans toute leur diversité.
C’est dans cette perspective que les directeurs généraux des douanes des pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), à savoir le Cameroun, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad), ainsi que ceux de la RDC, du Burundi et de Sao-Tomé & Principe se sont réunis à Brazzaville. Objectif : réfléchir sur « la meilleure manière de mobiliser plus de ressources intérieures » face à la crise qui affecte leurs économies respectives à la suite de la chute des prix des principales matières premières au cours de ces trois dernières années.
Depuis 2014, les réalisations de la Direction générale des douanes et accises (DGDA) sont faibles par rapport aux années antérieures. En 2012, les recettes dépassaient de 32 % celles de 2011. Les recettes de 2013 dépassaient de 29 % celles de 2012. Les recettes de 2014 dépassaient celles de 2013 de 4,64 %. Lors de la 11è session des directeurs centraux et provinciaux (janvier 2016), le directeur général de la DGDA a invité les directeurs provinciaux à analyser les raisons réelles de cette contreperformance pour dégager des recommandations pertinentes en vue d’une mobilisation des recettes plus accrue. La douane à l’épreuve de la conjoncture. Le ministre des Finances, Henri Yav Mulang, avait assigné à la DGDA de réaliser en 2016 les recettes de l’ordre de 2.8 milliards de dollars. Certes, il était conscient de l’environnement international peu favorable, marqué par la baisse des cours des matières premières sur le marché mondial et le ralentissement général des activités économiques, particulièrement celles du secteur extractif qui constitue le gros des exportations de la RDC. Des facteurs qui ont un impact certain sur l’activité douanière, avait reconnu le ministre des Finances devant les directeurs centraux et provinciaux de la DGDA réunis en séminaire à Kinshasa.
Bref, Yav Mulang attend des responsables de la douane « un regain de professionnalisme, de conscience et d’éthique, dans ces moments difficiles, pour compenser le manque à gagner causé par la conjoncture. » L’année 2016 a comporté des enjeux majeurs, notamment ceux de l’organisation des élections et la consolidation des nouvelles provinces. Pour faire face à ces défis complexes, l’État devait avoir encore besoin davantage de moyens financiers que les services mobilisateurs de recettes sont appelés à lui procurer. Le défi est encore d’actualité car les élections générales ne sont pas encore organisées. C’est pourquoi, le ministre des Finances appelle les responsables de la douane à « un engagement citoyen qui passe par la lutte contre la fraude et la corruption… qui continuent à plomber la mobilisation des recettes. »
Il a prévenu qu’il ne va plus se contenter de « bonnes recommandations » qui ne sont pas souvent suivies d’effets escomptés.
« L’heure de la sanction a sonné », a lancé Henri Yav Mulang. Depuis février 2016, la DGDA s’est mise sous un régime d’acceptation centralisé pour l’évaluation douanière. Ce système assure la facilitation du commerce par la réduction du délai de dédouanement. La DGDA comptait aussi se réapproprier la détermination de la valeur en douane des marchandises à l’import- export. Cette fonction est tenue par l’opérateur privé Bureau Veritas-Bivac BV depuis 2005. Le contrat d’assistance technique qui lie cet opérateur au gouvernement consiste à contrôler avant embarquement les prix et la quantité de marchandises pour le compte de la DGDA, et à contrôler la qualité et la conformité pour le compte de l’Office congolais de contrôle (OCC). Le contrat de Bivac avait pris fin le 14 février 2016, mais il a été encore renouvelé, en dépit du nouveau système de gestion que la DGDA a mis en place pour se réapproprier cette fonction.
Les priorités des milieux d’affaires
Quant à eux, les opérateurs économiques attirent l’attention des autorités sur la nécessité pour l’importateur de payer tous les droits et frais au Guichet unique. Pour eux, les abus des agents doivent être sévèrement sanctionnés. La Fédération des entreprises du Congo (FEC) insiste pour que le coût de la douane baisse sensiblement et que les procédures soient simplifiées. Face à la situation, le gouvernement a donc pris cinq décisions. Premièrement, la restauration effective de l’autorité de l’État et l’assainissement de l’environnement douanier à travers la suppression de toutes les taxes et frais administratifs illégaux aux frontières, la stricte observance du décret limitant à quatre le nombre des services publics aux frontières et des heures d’ouverture et de fermeture des postes frontaliers ainsi que de la suppression des barrières irrégulières. Deuxièmement, l’instauration des mesures de transparence et de lutte contre toute forme de tracasseries et la corruption à travers l’imposition d’un taux unique des taxes à répartir entre différentes structures prestataires des services, l’ouverture d’un numéro téléphonique vert d’alerte sur les tentatives de corruption et de violation des mesures, l’affichage obligatoire des frais de douane et taxes légaux et réglementaires aux frontières et l’inclusion de tous les services étatiques concernés par le Guichet unique.
D’après le président de la FEC, Albert Yuma, le rôle de l’État est d’accompagner le secteur privé dans son développement et assurer son intégration dans les chaînes de valeurs nationales, régionales et mondiales. Dans les milieux d’affaires, on est persuadé que développer les capacités de production des biens et services permettra de tirer le meilleur parti des cycles de croissance et de résister aux situations de crise. Les entreprises prennent suffisamment déjà un risque politique pour ne pas revendiquer un maximum de stabilité de la part de l’État, en termes d’environnement politique, juridique, judiciaire, fiscal et monétaire. Elles réclament un partenariat public-privé.
Pour cela, l’État doit créer et mettre en place un cadre des règles, qui soient comprises et utilisables par toutes les entreprises, petites, moyennes ou grandes. Concrètement, les entrepreneurs souhaitent un allègement des charges (fiscales, parafiscales et autres) afin de leur permettre d’investir dans la production, un accès facile aux financements nécessaires à leur développement, des facilités à l’import-export pour rendre plus rapide les activités de production et de commerce, le soutien de l’État aux PME et créateurs d’entreprises dans la définition et la mise en œuvre des projets et activités. Pour le secteur privé, le gouvernement devra être à l’écoute des entrepreneurs car ce sont eux qui créent les produits, les services et les emplois. Stimuler la production nationale, c’est un défi commun, notamment dans les secteurs agroalimentaire et minier, dans le domaine des services aux entreprises et à la population… C’est de cette manière que l’on pourra créer de la valeur ajoutée, source de création d’emplois nombreux et durables. Pour un entrepreneur, la situation de crise est avant tout une situation de changement, de création d’opportunités, de besoins et de potentiels, mais aussi riche en créativité et inventivité.
En matière de mobilisation des recettes fiscales et non fiscales, douanières et d’accises, la loi de finances 2017 a prévu plusieurs actions à mener allant dans le sens de l’amélioration du climat des affaires. Elle a aussi apporté des innovations et des réformes. En matière des recettes fiscales, quatre textes sont concernés par les modifications apportées par la loi de finances 2017. Ce sont les textes relatifs aux impôts cédulaires, au régime applicable aux entreprises de petite taille, à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et sur les procédures fiscales. Par exemple, sur les impôts cédulaires, l’intégration des revenus des bons et obligations du Trésor dans la catégorie des revenus des capitaux mobiliers en vue de clarifier leur régime fiscal ; la déductibilité des charges de créance douteuse et limitation des charges professionnelles déductibles pour les banques ; la révision à la baisse du chiffre d’affaires limite des entreprises de petite taille de 200 millions de francs à 80 millions ; la retenue à la source de la TVA par les entreprises minières lors du paiement des factures des entreprises publiques. Le système est appelé à s’élargir. En matière des recettes non fiscales, les innovations portent sur la nomenclature, la réclamation préalable en cas de recouvrement forcé et l’adaptabilité des lois nationales aux exigences de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA). Par ailleurs, en matière des recettes douanières, les innovations portent sur l’application du tarif COMESA, les mesures relatives aux recettes, le code douanier…
Les prévisions de 2017 en Afrique mettent en avant des objectifs de croissance égaux ou supérieurs à 5 % pour les pays comme la Côte d’Ivoire, la Tanzanie, le Sénégal ou l’Ethiopie, qui ne sont pas des pays exportateurs de matières premières, mais plutôt les pays qui disposent d’un cadre de gestion macroéconomique plus solide et de réglementation plus favorable aux activités commerciales. Leurs exportations sont plus diversifiées et leurs institutions plus efficaces afin de parvenir à une croissance multipolaire capable de renforcer la résilience de l’économie nationale aux chocs exogènes. Par contre, la RDC est importatrice nette de biens de consommation courante, alors qu’elle dispose des grandes potentialités pour devenir une grande nation industrielle. Les principales activités industrielles du pays sont limitées à un nombre réduit des filières de biens de consommation, notamment la production du sucre, des boissons, de la transformation des matières plastiques, des produits cosmétiques, de la panification…
Les filières des biens d’équipements sont sous-exploitées, elles tournent principalement autour de la production du ciment et de la construction métallique. Mais l’industrie locale fait face à des contraintes qui l’empêchent d’amorcer son redécollage : la lourde fiscalité et la parafiscalité qu’elle supporte, atteignant plus de 50 % du chiffre d’affaires. Ainsi, la plupart des unités de production sont obligées de procéder à des changements structurels ou de fermer. La FEC en appelle à l’émergence d’un État fort doté d’une administration compétente, sur lequel le secteur privé devrait s’appuyer dans le cadre d’un partenariat durable, sincère et constructif.
La lame de fond, le civisme fiscal
En RDC, le constat est que les gens payent mal l’impôt ou ne payent pas à cause. Le nœud du problème, ce sont les micro-entreprises qui évoluent dans le secteur informel et échappent totalement au contrôle du fisc. La DGI met en place des stratégies pour pouvoir capter les recettes échappant au Trésor public. La démarche consiste à améliorer la collaboration avec les régies financières provinciales. Elle est déjà effective avec la Direction générale des recettes de Kinshasa (DGRK). Le numéro unique de l’impôt est donc l’élément qui permet de capter les impôts. La mobilisation s’inscrit dans la continuité des efforts entamés en 2010 par le ministère des Finances qui avait lancé le « Pacte de dédoublement des recettes ». La DGI entend surtout créer un climat d’entente cordiale avec les contribuables. Il s’agit surtout d’avoir des « bons rapports » avec la FEC, étant donné que l’impôt, par sa nature, est une loi qui s’impose à tous. Le point d’équilibre est la meilleure compréhension des textes juridiques et la manière de le déclarer. Pour évoluer dans un système moderne, les entreprises doivent disposer des externalités positives, par exemple, les infrastructures qui sont construites grâce à l’impôt.
En réalité, l’État ne se donne pas les moyens financiers qu’il faut, pour mener à bien ses fonctions de souveraineté et sa mission de développement économique et social. En d’autres termes, les recettes mobilisées actuellement sont en dessous du potentiel du pays, notamment les recettes en provenance du secteur des ressources naturelles. Il y a là un réel problème auquel l’État ne parvient pas ou ne veut pas donner solution. Avant la crise financière internationale actuelle, la RDC a exporté, entre 2010 et 2015, de plus en plus des matières premières de l’ordre de 10 milliards de dollars par mois, voire plus.