Accroître les recettes publiques présuppose création de richesses. Pour l’heure, l’investissement en République démocratique du Congo se fait souvent au détriment de l’État. D’où, l’importance d’entreprendre des réformes « courageuses », voire « impopulaires » dans une approche gagnant-gagnant, sous diverses formes. Apparemment, depuis le début de l’année, c’est le président de la République, Joseph Kabila Kabange, qui a l’initiative de l’action gouvernementale, face à des 1ER Ministres successifs qui ne semblent pas être à la hauteur de la tâche devant la situation économique difficile. Pour preuve, c’est lui qui a décidé des « dernières mesures économiques urgentes », c’est encore lui qui tente de désamorcer la crise sociale dans les services publics, et c’est lui également qui donne le tempo en lieu et place du 1ER Ministre que l’on ne sent pas en action. On peut tout dire d’Augustin Matata Ponyo, au moins lui, il a su donner un contenu réel à la fonction. On sentait qu’il y a un 1ER Ministre qui est à la manœuvre, ce qui n’est pas le cas pour le moment.
En avril dernier, le chef de l’État a donné un devoir aux pouvoirs exécutif et législatif de prendre des « dispositions utiles » en vue de « l’adoption, dans les plus brefs délais », d’une nouvelle loi sur la fiscalité, de celle sur le partenariat public-privé, sans omettre la finalisation de la loi portant révision de certaines dispositions du code minier, en sursis depuis plusieurs mois devant les deux chambres. Les opérateurs économiques attendent avec impatience les mesures d’application de la loi de finances pour l’exercice 2017 promulguée en juillet et de la loi sur la sous-traitance promulguée en avril mais qui va entrer en application en 2018. De même la rentrée parlementaire dont la session est essentiellement dédiée au budget, est très attendue. Outre le vote du budget pour l’exercice 2018, on s’attend à ce que le Parlement vote une nouvelle loi fiscale et amende le code minier de 2002, dont des pans entiers portent préjudice à l’État.
La révision du code minier est « une impérieuse nécessité ». En 2015, le Parlement a reculé face aux pressions de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) à travers sa chambre des mines, qui agitaient le spectre d’« apocalypse financière », si le code minier venait à être amendé. Et voilà que le président de la République a tranché. D’ailleurs, pour lui, cela le devait être au cours de la dernière session parlementaire ordinaire. Ce qui pose problème dans le code minier, ce sont le régime fiscal et le régime de change. Selon des sources, la mouture du code révisé qui a été transmise aux deux chambres du Parlement pourrait ne pas donner satisfaction, notamment à la société civile. Par ailleurs, les recettes minières pourraient ne pas augmenter substantiellement, selon des experts du Centre Carter à cause du régime fiscal minier.
Cet organisme a averti dans une correspondance (« Réflexions du Centre Carter sur le régime fiscal du code minier ») l’ancien 1ER Ministre, Augustin Matata Ponyo, et le consultant national, chargé du processus révision du code minier, Emery Mukundi Wafwana. En effet, la commission de la réforme du code minier n’a malheureusement pas pris en compte toutes les options envisageables dans la recherche d’un compromis dégagées par la tripartite (gouvernement-opérateurs miniers et société civile) en 2013. Pour le Centre Carter, il y a moyen d’accroître les recettes fiscales sans pour autant décourager les investissements. Par exemple, le gouvernement table l’impôt sur les bénéfices et profits (IBP) à au moins 57 % des recettes des mines, par rapport au code minier dans sa version actuelle. Pourtant, au plus fort de la flambée des cours mondiaux de cuivre, en 2013, l’IBP n’a rapporté que 7 % des recettes minières.
Cette faible perception de l’IBP résulte d’une « série de techniques comptables qui permettent à un investisseur de déclarer des pertes pour ses filiales congolaises, tout en déclarant un profit dans d’autres sociétés enregistrées hors du Congo, soit au Canada, soit au Royaume-Uni, soit à un paradis fiscal comme les Îles Vierges britanniques, ont dénoncé des experts du Centre Carter. Il est donc impérieux que le Parlement approuve l’interdiction du transfert de prix. Autre faiblesse : la redevance minière. Lors des négociations de 2013 sur la révision du code, il a été convenu que le taux de cette redevance passe de 2 à 6 %. Mais dans la mouture du code révisé, le taux retenu est de 3,5 %, au motif que le bénéfice de l’État constituerait déjà 50 % dont la moitié proviendra de l’IBP.
Toutefois, en vue de limiter l’évasion fiscale dans le secteur des mines, les experts pensent qu’il faut adapter la révision du code minier à la réforme fiscale. Le code minier actuel accorde aux miniers l’avantage d’amortir 60 % de leur investissement dès la première année. Or le code des impôts actuel offre un régime d’amortissement dégressif qui varie selon la durée de vie attendue de l’actif. Le Centre Carter propose de limiter la capitalisation restreinte des minings et d’ériger des barrières fiscales entre des projets miniers distincts. Les grandes unités minières ont en effet tendance à concentrer plusieurs projets dans un même site. Cependant, le projet de révision du code minier ne reprend pas la proposition de taxer séparément les projets miniers.
Le régime conventionnel dans la gestion du secteur minier pose également problème. D’aucuns souhaitent que la RDC opte pour le régime de droit commun, car le régime conventionnel ne facilite pas l’émergence du secteur minier sur le plan économique. Au contraire, il supprime plusieurs taxes dues à l’État, notamment dans les provinces où les industriels exploitent les matières minérales. Le régime de droit commun par contre incite au paiement des impôts, taxes et redevances qui contribuent ainsi à la croissance de l’économie.
Le régime des faveurs fiscales et douanières accordées par le gouvernement à des entreprises dans tous les secteurs d’activités n’est pas étranger à la situation actuelle. Les exonérations privent l’État de substantiels revenus. Par exemple, en 2015, les pertes dues aux exonérations ont été évaluées à plus de 2 000 milliards de francs. Soit une baisse de 43 % par rapport à l’exercice 2013, année au cours de laquelle les exonérations ont fait perdre au Trésor public plus de 3,5 mille milliards de francs, selon le ministre des Finances, Henri Yav Mulang. Cependant, intervenant devant l’Assemblée nationale à propos de la loi sur la reddition des comptes de l’exercice budgétaire 2015, quelques jours seulement avant la démission du cabinet Matata, Henri Yav Mulang avait déclaré que près de 95 % des exonérations accordées aux entreprises le sont plutôt sur une base légale.
Dans la foulée, le code des investissements accorde des exonérations de 3 à 5 ans, selon qu’une entreprise s’implante dans telle ou telle région de la RDC. Les aéronefs et les bateaux de seconde main sont totalement exonérés des droits de douane. Le code minier offre également aux minings tout un chapelet d’exonérations… Selon l’article 222 du code minier, si une législation de droit commun est adoptée ou promulguée sur le territoire national postérieurement à ce code, (entré en vigueur en juillet 2002), des dispositions douanières et fiscales plus favorables que celles du code minier sont immédiatement applicables de plein droit dès son entrée en vigueur. La Convention de Vienne permet également, sous le couvert diplomatique, l’entrée en RDC de divers biens, dont les engins lourds, sans qu’aucun droit ne soit payé aux services de la douane (DGDA) ou du fisc (DGI) ou encore des services en charge de la parafiscalité (DGRAD).
Il y a aussi des conventions pétrolières qui exonèrent les pétroliers producteurs de plusieurs obligations (para)fiscales. Ces conventions ont été reconduites dans le nouveau code des hydrocarbures, promulgué le 1er août 2015 par le chef de l’État. Les exonérations ont pour finalité d’attirer davantage d’investisseurs en vue de créer davantage des richesses et d’emplois, a défendu le ministre des Finances devant les députés. Mais les effets des exonérations sur le développement durable ne sont guère perceptibles depuis plus de 10 ans. En 2014, le ministre délégué aux Finances de l’époque, Patrice Kitebi, avait annoncé un audit sur toutes les exonérations fiscales accordées aux entreprises. Il avait motivé cette décision…
…par le fait que les exonérations étaient une « hémorragie importante » pour les recettes de l’État et une source de « fuite des recettes ».
Dans le concret, un suivi allait être fait de toutes les exonérations qui ont été accordées à certaines entreprises et que toutes les demandes d’exonération, d’où qu’elles viennent, allaient être mieux suivies et contrôlées par le gouvernement de manière à pouvoir mettre un terme à l’hémorragie des recettes. Trois ans plus tard, on ne voit trace de l’audit des exonérations, quoique légales. Malgré la tendance haussière sur les marchés mondiaux des métaux, particulièrement pour le cuivre, le cobalt et l’or, à partir en fin 2016, le Trésor public n’a attiré qu’un demi-milliard de dollars. Dérisoires comme recettes mobilisées par les régies financières dans le secteur des mines.
En l’état actuel du code minier, l’État est souvent berné. Cela est dû aussi au manque d’évaluation des gisements pour connaître les réserves minières dont dispose le pays en vue d’une bonne négociation avec les investisseurs dans le processus de vente des carrés miniers. La méconnaissance des réserves conduit souvent au bradage des carrés miniers et engendre un manque à gagner pour l’État. La mobilisation des recettes nationales reste le principal défi à relever. Le gouvernement devrait désormais se focaliser sur la performance de la gestion du secteur public, à la manière du secteur privé, et sur le renforcement de l’État de droit, si l’on veut conduire le pays à l’émergence à l’horizon 2030. Il faudrait donc une forte dose de volonté politique pour que le recul de la pauvreté soit significatif et que les effets de la croissance se ressentent dans le développement économique et social.
Renforcer le rôle de l’État, c’est aussi doter l’administration publique davantage des moyens afin de lutter contre la gabegie et la corruption. C’est un impératif. Les recettes sont en dessous du potentiel, notamment les recettes provenant du secteur des ressources naturelles. En effet, les recettes ne dépassent pas 13 % du PIB, soit 2 points de moins que la moyenne des pays les moins développées (15 %). Le potentiel de mobilisation supplémentaire serait de 8 points du pourcentage du PIB venant essentiellement du secteur minier. Une telle mobilisation requiert une réforme du cadre légal (code minier) et le renforcement des capacités de l’administration minière. Il faudrait également mettre en place des institutions fortes et indépendantes afin de mieux gérer le secteur des ressources naturelles et d’atteindre les objectifs à long terme pour un développement durable.
Évidemment, beaucoup de points d’interrogation subsistent, notamment au niveau de la gouvernance de ce secteur. La mobilisation des recettes locales sous-entend aussi l’efficacité des entreprises publiques censées fournir des services à l’économie et à la société. Il est indispensable d’examiner la raison d’être des entreprises publiques pour séparer celles qui devraient être gardées et réformées, de celles qui devraient être remplacées par des structures efficaces ou tout simplement liquidées. La Gécamines, dont le rôle principal est de fournir des recettes à l’État, occupe une place à part et son traitement est inséparable de l’impératif de mobiliser plus de ressources en provenance du secteur des ressources naturelles. D’autres recommandations ont été faites pour maximiser les recettes publiques et minimiser le coût du choc exogène sur l’économie. Comme la diversification de l’économie sous l’angle de la résilience à long terme.
Exploiter les avantages offerts par l’agrobusiness
La concentration géographique ou la concentration des marchés par client et par produit augmentent la vulnérabilité de l’économie congolaise. Actuellement, l’agriculture fait l’objet de toutes les attentions, notamment avec la création de pôles de croissance. Mais ces initiatives ont aussi des limites. Par exemple, on ne peut pas parler de développement marchand du secteur agricole, si le marché intérieur n’est pas connecté. C’est le cas de l’infrastructure routière qui est insuffisante. On estime à 4 000 km le total des routes asphaltées en RDC, un pays qui a la taille de l’Europe de l’Ouest… Il y a des préalables à la diversification, notamment un minimum d’infrastructures et un minimum de qualifications.
Dans le secteur des mines, par exemple, la RDC devrait déjà exporter des produits semi-finis, mais faute d’infrastructures, d’énergie et de qualifications, elle est encore à exporter des matières premières brutes. L’exploitation minière artisanale est une activité qui existe déjà, mais qui demande à être accompagnée, formalisée et encadrée pour minimiser ses externalités négatives et maximiser ses résultats positifs. Si la petite mine se développe à côté d’une grande mine, cela ne peut qu’être bénéfique pour le pays…
Dans la plupart des pays africains, les pouvoirs publics exercent encore une forte pression fiscale sur les PME. L’étude « Paying Taxes 2017 » dresse un classement dans lequel la RDC occupe la 42è place sur 53 pays ayant fait l’objet de l’enquête. C’est la Banque mondiale qui a réalisé cette enquête en collaboration avec le cabinet (audit et conseil) PricewaterhouseCoopers (PwC) sur la politique fiscale des pays africains à l’égard des entreprises de taille moyenne. Selon cette étude publiée le 17 novembre, le Lesotho est le pays africain où la pression fiscale sur les entreprises de taille moyenne est la plus faible. Le taux d’imposition est de 13,6 % seulement du résultat commercial de l’entreprise. Pour dresser leur classement, la Banque mondiale et PwC ont passé à l’analyse les impôts annuels et les cotisations obligatoires des moyennes entreprises. Il s’agit de l’imposition des bénéfices, des cotisations et des charges sociales supportées par l’employeur, de la taxe foncière, de l’impôt sur la transmission du patrimoine, de l’imposition des dividendes, etc. Ces éléments ont été étudiés sur la base d’une « société type » selon les règles fiscales en vigueur.
De ce point de vue, la Zambie arrive en deuxième position, avec un taux d’imposition total moyen de 18,6 %. Elle est suivie de la Namibie (20,7 %), de Maurice (21,8 %), du Botswana (25,1 %), de l’Afrique du Sud (28,8 %), du Soudan du Sud (29,1 %), des Seychelles (30,1 %), de la Sierra Leone (31 %). Jusqu’au 9è rang, ce classement est identique à celui de 2015. Autre enseignement de cette étude annuelle : la Libye a ravi la 10è place à l’Ethiopie. Ce pays pétrolier d’Afrique du Nord affiche un taux d’imposition global de 32,6 % malgré la guerre civile. L’Ethiopie est en fort recul et se retrouve à la 24è place, après avoir vu son taux d’imposition moyen des entreprises culminer à 38,6 % contre 32,1 % dans le précédent classement. Les autres pays sont dans l’ordre : Ghana (32, 7 %), Zimbabwe (32,8 %), Rwanda (33 %), Ouganda (33,5 %), Nigeria (34,3 %), Malawi (34,5 %), Swaziland (35,1 %), Mozambique (36,1 %), Cap Vert (36,6 %), Kenya (37,4 %), Sao Tome & Principe (37,4 %), Djibouti (37,6 %), Madagascar (38,1 %), Ethiopie (38,6 %), Burundi (40,3 %), Burkina Faso (41,3 %), Egypte (43,5 %), Tanzanie (43,9 %), Sénégal (45,1 %). Dans le peloton de queue, on retrouve dans l’ordre : Gabon (45,2 %), Soudan (45,4 %), Guinée-Bissau (45,5 %), Liberia (45,9 %), Angola (48 %), Niger (48,2 %), Mali (48,3 %), Togo (48,5 %), Maroc (49,3%), Côte d’Ivoire (51,3 %), Gambie (51,3 %), République du Congo (54,3 %), RDC (54,6 %), Bénin (57,4 %), Cameroun (57,7 %), Tunisie (60,2 %), Tchad (63,5 %), Algérie (65,6 %), Guinée (68,3 %), Mauritanie (71,3 %), Centrafrique (73,3 %), Guinée Équatoriale (79,4 %), Erythrée (83,7 %) et Comores (216,7 %). Une forte imposition fiscale ne contribue guère à l’amélioration du climat des affaires, ni à attirer les investisseurs. Dans le monde, les pays ayant une fiscalité plus avantageuse, ce sont le Qatar, les Émirats arabes unis, la Chine, le Bahreïn, l’Irlande et le Koweït.