Leny Ilondo ye Nkoy est l’Executive Corporate Affairs de PPC Barnet DRC Manufacturing SA. C’est une nouvelle entreprise de production de ciment, localisée sur la Route provinciale 111 dite Route de Luozi dans le Kongo-Central. Leny Ilondo est également le président du comité professionnel des cimentiers de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). Il a pris la parole au forum national sur la réforme de la fiscalité en RDC qui a été organisé du 11 au 14 septembre à Kinshasa par le ministère des Finances. C’était pour partager l’expérience de sa société face à la réalité fiscale au pays. Ci-après, son exposé sous forme de témoignage, digne d’intérêt :
« Je partage notre expérience d’implantation de notre société et ses relations avec les administrations fiscales de notre pays. J’ai bien dit les administrations fiscales. Au début du projet, nous nous sommes présentés au Guichet Unique pour l’enregistrement de notre société. Sous d’autres cieux, une fois la formalité légale accomplie, il vous est présenté un répertoire spécifique des incitations fiscales dont le projet bénéficie, d’une part, et, d’autre part, il vous est précisé les obligations de contribution fiscales et parafiscales auxquelles votre secteur d’activité serait assujetti.
Nous avions introduit à l’Agence nationale de promotion des investissements (ANAPI) notre requête d’accès aux avantages fiscaux et parafiscaux inscrits dans le code des investissements. Le traitement de celle-ci a pris plus de 90 jours alors que les prescrits indiquent 30 jours pour obtenir les signatures sur l’arrêté interministériel consacrant le bénéfice des incitations proposées par l’ANAPI. Autant les dispositions de l’arrêté précisent les incitations fiscales accordées, autant elles ne listent pas toutes les obligations parafiscales auxquelles notre projet doit faire face. Elles sont au nombre de 62.
La première des administrations fiscales que notre projet a approchée est bien la Direction générale des douanes et accises (DGDA), les douanes. En attendant la signature de l’arrêté nous octroyant les bénéfices du code des investissements, pour ne pas retarder davantage l’implantation du projet, nous avions sollicité les options dites de facilitation qu’offre le code des douanes. Elles concernent les différés des paiements des droits et taxes à régulariser ultérieurement. Ayant conclu un échéancier, la DGDA nous rappelait nos obligations de paiement. Nous n’avions subi ni pression ni harcèlement, mais plutôt un accompagnement décisif.
Impact sur le fonds de roulement
Pendant ce temps, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à l’importation est collectée par la DGDA pour le compte de la Direction générale des impôts (DGI). Les dispositions de la loi y relatives requièrent le remboursement dans les 30 jours. Tous les investisseurs vous diront que la lecture financière de cette disposition de la loi considère ce délai de rétention de la TVA plus comme un flux de trésorerie. À ce jour, le stock global de la TVA non remboursée par la DGI représente des sommes importantes. Cette rétention non seulement impacte négativement le fonds de roulement, aussi grève dangereusement les plans de financement.
N’ayant pas reçu la liste exhaustive des obligations fiscales dans l’arrêté interministériel proposé par l’ANAPI, notre projet, depuis, fait face à une multitude de rectifications pour des taxes et redevances des administrations centrales et celles des provinces. Cependant, la collecte de ces taxes auxquelles notre société ne peut se dérober, est réalisée dans des conditions discutables. Tout est dans l’art et la manière ! Les procédures de rectifications imposent des délais extrêmement courts. Le délai de réponse est de 8 jours, faute de quoi la taxation devient d’office. La présomption de fraude transparaît. Les émissions des avis à tiers détenteurs sont déposées auprès des banques pour procéder au gel des comptes.
Notre tourment ne s’arrête pas aux seules administrations fiscales centrales. Il s’étend à celles des provinces. Les nombreuses taxes provinciales chevauchent avec celles de l’administration centrale. Par exemple, comme si la TVA ne suffisait pas, les consommateurs doivent payer le droit de consommation sur les biens manufacturés localement. Cette taxe, non uniforme selon les provinces, qui ne dit pas son nom annihile les avantages fiscaux accordés par le gouvernement central et grève le prix. Elle affecte la compétitivité des produits locaux par rapport aux importations pour la plupart frauduleuses. Faut-il rappeler que lorsque les entreprises locales ne vendent pas, elles sont condamnées à la faillite. Il en résulte que l’assiette fiscale se réduit proportionnellement.
En RDC, dans les discussions sur les rectifications avec les administrations fiscales, nous notons l’absence d’un organe impartial de conciliation et d’interprétation des textes. Nul ne peut ignorer la loi. L’assujetti doit faire face à ses obligations. Cependant la taxation doit être la juste possible. Faute de quoi, elle devient dissuasive. La preuve, la cartographie des industries en RDC est de plus en plus clairsemée. Notre économie ne produit presque plus rien de manufacturé. C’est une triste réalité. Il suffit de visiter le quartier industriel de Limete qui n’a plus d’industriel que le nom. Cet espace de la manufacture de la ville de Kinshasa a migré vers l’implantation des églises de réveil dans l’espoir que la manne du ciel tombera à nouveau un jour.
Mesurer le coût social des entreprises
Il est temps de mesurer, en sus des paiements discutables de certaines taxes, le coût social pour les entreprises formelles pour préparer des réponses de contestations des rectifications. En effet, l’on note notamment la baisse des rendements des employés en charge de la conformité. Le coût des honoraires des avocats et autres consultants passés à rédiger les positions des entreprises, les déplacements vers les administrations et le temps des débats. Le gel des comptes perturbe les opérations des entreprises. Le coût global annuel impacte négativement la trésorerie des entreprises.
Il y a impérieuse nécessité de nommer un conciliateur qui serait un médiateur fiscal. Nous pensons qu’il est temps d’installer les juridictions de l’ordre administratif tels que définis par la constitution dont le Conseil d’État en charge d’interpréter les textes administratifs dans les limites de l’application des lois. Les entreprises trouveront une oreille impartiale et obtiendront des arrêts justes. L’on ne peut se voiler la face, la complexité de notre structure fiscale et la multiplicité arsenal ne sont pas favorables à assurer un environnement attractif aux investissements parce qu’elles sont dissuasives.
Faut-il réformer notre système fiscal aux fins de le rendre attractif aux investissements ? La réponse est sans équivoque : oui. Mais auparavant, il faut comprendre et retenir que ce sont les entreprises qui génèrent les revenus de l’État. En effet, l’utilité de l’impôt est le financement des dépenses publiques pour la satisfaction de l’intérêt général. Il sied que cette assiette doit continuer à s’élargir que dans les conditions où l’entrepreneur est le créateur de richesse. Nombre de pays ont mené des réformes courageuses. Il est rare de voir une multiplicité d’administrations fiscales.
L’attractivité des investissements passera impérativement par la révision en profondeur du code des investissements et la réinstauration des conventions entre l’État congolais et les entreprises dans lesquelles toutes les obligations, alors toutes les obligations seront reprises. Autrement, le gouvernement continuera à prendre des mesures exceptionnelles de soutien aux entreprises pour retenir celles existantes et offrir aux promoteurs de nouvelles opportunités de venir en RDC. Par exemple, nous signalons l’édiction du décret 13/049 du 6 octobre 2013 portant régime fiscal applicable aux entreprises éligibles au partenariat stratégique avec le gouvernement sur la chaîne de valeurs. Depuis sa mise en application, les entreprises éligibles n’ont pas bénéficié de tous les avantages fiscaux y listés, notamment les rabattements de nombreuses taxes y figurant à l’initiative des différents ministères. Un décret ne peut pas être appliqué partiellement.
La réforme de la fiscalité à envisager à l’issue de ce forum devra se focaliser sur la simplification et la rationalisation des procédures pour que les assujettis comprennent les obligations et les anticipent. Nous pensons que la fusion de certaines administrations fiscales pour en faire une seule interlocutrice aux fins d’optimiser l’opérabilité de la fonction de collecteur de recettes fiscales.
Enfin, pour attirer plus d’investisseurs, nous estimons que le retour aux conventions entre le gouvernement, les provinces et les entrepreneurs pour l’exhaustivité des obligations est nécessaire. »