Le mois prochain, lorsque les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales de plus de 180 pays se rencontreront à Washington à l’occasion des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, ils seront confrontés à un système économique sous tension. Et si l’on exclut un changement de trajectoire, le risque de voir l’ordre économique d’aujourd’hui faire place à un désordre économique mondial va aller croissant.
Le système actuel, fondé essentiellement par les Etats-Unis et leurs alliés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, repose sur des institutions multilatérales – notamment le FMI et la Banque mondiale. Elles ont été conçues de manière à cristalliser les obligations des pays membres et elles incarnaient un ensemble de bonnes pratiques économiques qui ont abouti à ce que l’on appelle le« Consensus de Washington ».
Ce consensus s’enracinait dans un paradigme économique visant à encourager des interactions gagnant-gagnant entre les différents pays en favorisant la libéralisation des échanges, les flux financiers transfrontaliers, la liberté des prix et la déréglementation sur le plan intérieur. Tout cela est très différent de ce qui se passait derrière le Rideau de fer et en Chine durant la première moitié de l’après-guerre.
Les structures de gouvernance correspondent davantage aux réalités économiques d’hier qu’à celles d’aujourd’hui.
Pendant plusieurs décennies, ce système international dirigé par les pays occidentaux a bien fonctionné, favorisant la prospérité et une relative stabilité financière . Cette situation a changé sous les coups de boutoir d’une série de chocs financiers qui ont culminé avec la crise financière mondiale de 2008. Cette dernière a déclenché une succession de catastrophes économiques qui ont mis le monde en situation de quasi-dépression durant plusieurs années.
Mais la crise n’est pas sortie de nulle part pour menacer un système économique sain. Au contraire, durant une longue période les changements économiques structuraux ont été plus rapides que l’évolution du système mondial – d’autant que les institutions de gouvernance multilatérale ont été lentes à reconnaître tout à fait l’importance de l’évolution du secteur financier et son impact sur l’économie réelle, et à faire la place voulue aux pays émergents.
C’est ainsi que les structures de gouvernance (en particulier la pondération des droits de vote au sein du FMI et de la Banque mondiale) correspondent davantage aux réalités économiques d’hier qu’à celles d’aujourd’hui et de demain. Et c’est la nationalité plutôt que le mérite qui est encore le facteur prépondérant dans le choix des dirigeants de ces institutions, ces postes étant encore réservés aux Européens et aux Américains.
L’équilibre entre gagnants et perdants est de plus en plus difficile à trouver.
C’est pourquoi l’équilibre entre gagnants et perdants est de plus en plus difficile à trouver, non seulement sur le plan économique, mais aussi politique et social. Trop de gens se sentent marginalisés, oubliés ou dépossédés. Ils dirigent alors leur colère contre les dirigeants et les institutions, et de ce fait les pressions sur la politique intérieure augmentent, entraînant un repli des pays sur eux-mêmes.
Cette tendance se traduit dans les récents actes de défi visant l’ordre économique : la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain, le retrait des USA du Partenariat transpacifique, la fin de l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE… Tout cela jette une ombre sur l’avenir du système économique mondial.
Le repli des Etats-Unis sur eux-mêmes, un processus qui a commencé il y a plusieurs années, est particulièrement lourd de conséquences dans la mesure où il prive la planète d’un leader mondial.
La Chine réagit à l’affaiblissement du coeur du système international en accélérant la construction de petits réseaux, notamment autour des structures de pouvoir dominées par l’Occident. Cela inclut la création de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures ou la prolifération d’accords de paiement bilatéraux.
Ces dynamiques accroissent les tensions commerciales et augmentent le risque d’une fragmentation économique. Si cette tendance se poursuit, la configuration économique et financière mondiale deviendra de plus en plus instable. A la longue, les risques associés à cette marche vers le désordre économique mondial pourraient avoir de graves conséquences en matière de géopolitique et de sécurité nationale.
Tout ceci n’est pas nouveau. Pourtant, d’une année à l’autre, les représentants gouvernementaux présents lors des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale s’abstiennent d’y remédier. Et cette année ce sera sans doute la même chose. Au lieu de discuter de mesures concrètes pour ralentir puis inverser la marche vers le désordre économique mondial, les responsables politiques vont probablement se réjouir du rebond cyclique de croissance et demander aux pays membres de faire davantage contre les obstacles structuraux qui s’opposent à une croissance plus rapide, plus durable et plus inclusive. C’est tout à fait compréhensible, mais insuffisant. Plus on attendra pour semer les grains de la réforme, plus il leur sera difficile de prendre racine – et plus grande sera la probabilité de l’émergence d’un désordre économique mondial qui ne fera que des perdants.