Quel rôle pour la fiscalité dans l’attractivité des investissements ?

Pour le représentant de la SFI en RDC, les incitations sont, en général, des avantages économiques mesurables des gouvernements aux entreprises ou groupes d’entreprises, afin d’orienter les capitaux vers des secteurs et/ou zones prioritaires, ou pour en influencer d’autres dans le pays.

 

Babacar Faye est le représentant résident de la Société financière internationale (SFI ou IFC) en République démocratique du Congo. On retiendra utilement de la Société financière internationale (SFI) est une branche de la Banque mondiale. Elle a pour rôle d’apporter des solutions intégrées à impact accru pour stimuler le développement du secteur privé. Vu sous cet angle, la SFI soutient les investissements sous forme de prêts, participations, financement du commerce et de la chaîne d’approvisionnement, prêts syndiqués, produits dérivés et financements structurés, financements mixtes. Outre la mission d’appuyer l’investissement, la SFI apporte des services de conseil à travers des solutions innovantes combinant l’expertise et les outils d’IFC. De ce point de vue, la SFI contribue à la création de nouveaux marchés, libérer les possibilités d’investissement, renforcer les résultats et l’impact des clients. Et en tant qu’IFC Asset Management Company, elle mobilise et gère des capitaux aux fins d’investissement.

Au forum sur la réforme du système fiscal en RDC, du 11 au 14 septembre, Babacar Faye a fait une communication sur le rôle de la fiscalité dans l’attractivité des investissements en RDC. Il a axé son propos sur la problématique suivante : quelle est l’incidence de la fiscalité et de la parafiscalité dans l’attractivité de la RDC pour les investissements ?

Et il a relevé des limites de cette présentation, à savoir l’absence d’une analyse coûts-bénéfices, détaillée et multidisciplinaire, de l’efficience de l’application du code des investissements et d’autres instruments tels que le code minier.

Selon le représentant résident de la SFI en RDC, « les incitations à l’investissement sont, en général, des avantages économiques mesurables que les gouvernements accordent à des entreprises ou groupes d’entreprises déterminés, afin d’orienter les investissements vers des secteurs et/ou zones prioritaires, ou pour influencer les types d’investissements dans le pays ». Ces avantages, dit-il, peuvent être de nature fiscale (tels que les exemptions fiscales) ou non-fiscale (cas des prêts, subventions, ou autres dégrèvements, visant à promouvoir le développement des affaires et à améliorer la compétitivité).

Les avantages du code de 2002

La question fondamentale que l’on est en droit de poser est celle de l’impact des divers avantages douaniers, fiscaux et parafiscaux « alléchants » accordés aux investisseurs. Ont-ils permis à la RDC d’atteindre les objectifs visés par la loi n° 004/2002 du 21 février 2002, portant code des investissements ? Pour rappel, le code de 2002 vise, entre autres principaux objectifs, à favoriser l’implantation des entreprises de génie civil chargées de construction et d’entretien de routes et autoroutes ainsi que celles de transport en commun des personnes et des marchandises, qu’il s’agisse du transport terrestre, fluvial ou aérien. Favoriser les investissements qui développeront l’agriculture et l’agro-industrie par la mécanisation en vue d’assurer l’autosuffisance alimentaire afin de réduire les importations des produits de base et permettre à la fois l’accroissement des revenus dans les communes rurales, l’amélioration de l’approvisionnement des industries agro-alimentaires en matières premières et enfin, l’élargissement du marché intérieur des biens de consommation courante.

Le code des investissements de 2002 vise également à favoriser les investissements lourds pour asseoir une base industrielle solide sur laquelle reposera une croissance économique durable ; favoriser les investissements de valorisation des ressources naturelles nationales sur place afin d’en accroître la valeur ajoutée et le volume exportable…

Plus de 15 ans après, ces objectifs ont-ils été atteints ou sont-ils en bonne voie d’être atteints ? La RDC a-t-elle subi le coup de ces avantages en termes de manque à gagner en recettes publiques ? Babacar Faye répond à cette question par l’affirmative : « Clairement oui ! ». Il y a vraiment lieu de s’interroger sur la place de la fiscalité dans les facteurs de prise de décision des investisseurs nationaux et étrangers en RDC. Qu’est-ce qui explique l’insuffisance des investissements pour le développement d’une « base industrielle solide » et la relance de l’agro-industrie ?

Selon l’enquête réalisée en août 2013 et mai 2014 auprès des 529 entreprises privées, de différentes tailles (Enterprise Survey) par le Groupe de la Banque mondiale, le top 10 des contraintes majeures identifiées (par ordre décroissant) se présente de la manière suivante: énergie, accès au financement, instabilité politique, pratiques du secteur informel, corruption, administration fiscale,  criminalité, vols, et troubles, taux d’imposition, accès aux terrains (foncier), et règlementations douanière et commerciale. Les facteurs les plus contraignants ou décourageants, selon l’expérience des opérations d’investissement de l’IFC dans ses interactions directes ou indirectes avec les investisseurs sont nombreux, laisse entendre le représentant de la SFI en RDC. Entre 2014 et 2015 seulement, près de 300 millions de dollars ont été investis dans les secteurs de : agro-industrie, cimenterie, banque, microfinance, fonds d’investissements (PE), télécoms, mines…

Parmi ces facteurs décourageants, on épingle les tracasseries de certains services de l’État et la corruption, les dysfonctionnements du système judiciaire (insécurité juridique) et autres institutions publiques, la non application, ou l’insuffisance d’application, des lois et règlements (malgré tous les efforts de réformes), le risque pays (instabilité politique), le cadre macroéconomique (plus inflation), la carence de main-d’œuvre qualifiée…

Les incitations et la décision d’investir

Dans un tel environnement, les incitations ne peuvent compenser les divers risques à l’investissement, estime Babacar Faye. Qui s’interroge si les incitations fiscales, douanières et parafiscales ont réellement un rôle à jouer pour attirer les investissements. Il s’appuie sur l’analyse approfondie d’une équipe conjointe d’experts du Fonds monétaire international (FMI), de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et du Groupe de la Banque mondiale. L’étude qui a été réalisée en septembre 2015 à la demande du G20, a conclu que, dans les pays en développement, l’expérience et les études en matière de climat des investissements, ont démontré que « les incitations fiscales ne constituent pas les éléments déterminants des décisions des investisseurs ». En d’autres termes, l’investissement aurait été fait même en l’absence de ces incitations fiscales. Dans ce cas, quels sont les éléments d’une bonne politique d’incitations fiscales, douanières et parafiscales ? Pour Babacar Faye, il faut une économie politique des incitations. Annoncer des incitations, dit-il, est une décision populaire pour les politiques (être perçus comme agissant de manière décisive pour promouvoir les investissements). Les incitations ont des coûts non-transparents et/ou fréquemment inconnus : il en résulte souvent que trop d’incitations sont octroyées. Sur les incitations octroyées de manière discrétionnaire, il peut en résulter des ententes pas toujours honnêtes (sweet deals). Les investisseurs négocient pour obtenir des incitations : pourquoi ne pas demander, et menacer de partir?

Les coûts et les bénéfices sont évalués en permanence afin d’informer les décisions politiques. Chaque programme d’incitation est justifié par un objectif politique spécifique et mesurable. Les coûts de dépense fiscale et autres coûts sont mesurés individuellement pour chaque programme d’incitation (pas uniquement au niveau global). Des données très précises (au niveau de chaque société bénéficiaire) sont collectées en permanence pour chaque variable politique (en fonction de l’objectif poursuivi) pour les sociétés bénéficiaires et un groupe de contrôle.

Le plus important, estime le représentant de la SFI en RDC, c’est une politique courageuse d’amélioration continue de l’environnement des affaires. Comment ? Rendre le système fiscal plus simple, équitable et efficient a l’avantage de plus de transparence et de possibilités de recours qui fonctionnent effectivement pour les entreprises de toutes tailles (administratif et judiciaire). L’indicateur Payement des taxes et impôts du Rapport Doing Business du Groupe de la Banque mondiale illustre bien les difficultés auxquelles font face les PME congolaises. La RDC est 177è sur 190 pays sur cet indicateur. Il faut donc améliorer en même temps les autres éléments de l’environnement des affaires qui sont mieux à même de promouvoir effectivement les investissements privées (nationaux et étrangers) et le développement de PME formelles (surtout dans les secteurs stratégiques susceptibles d’aider à la diversification de l’économie).