Le gouvernement a interdit, début octobre, à 68 camions de la Sino-congolaise des mines (SICOMINES) de sortir du pays, chargés des tonnes de cuivre et de cobalt non transformés. D’après le ministre des Mines, Martin Kabwelulu, la décision gouvernementale vise à « créer une valeur ajoutée des produits miniers par leur transformation en vue d’une augmentation des bénéfices liés à l’exportation ». Pourtant, l’an dernier, la SICOMINES a exporté le quart des concentrés de cuivre et 5 % des cathodes de cuivre brut. C’en était trop ? « Nous sommes actuellement en contact avec le ministère pour débloquer la situation, il n’y a pas de problème majeur », a affirmé M. Nzeng cité par Bloomberg, directeur général adjoint de la compagnie.
Comme pour calmer la tempête, Moïse Ekanga, ci-devant responsable du bureau de coordination et de suivi du programme sino-congolais, tempère que la compagnie n’a pas respecté ses obligations en raison du manque d’électricité qui empêche la SICOMINES de tourner à plein régime. La compagnie a besoin de 170 mégawatts supplémentaires. Que les actionnaires principaux de SICOMINES ont récemment initié un financement de 660 millions de dollars pour la construction d’un barrage hydroélectrique susceptible de fournir 240 MW à la société.
Premiers couacs
Depuis, les officiels congolais s’emploient à minimiser l’incident. Et pourtant, c’est une lapalissade: une estocade entre intérêts chinois et congolais liés dans le fameux contrat chinois a bel et bien eu lieu et ça ne serait pas la dernière. Les deux parties ont convenu de s’en remettre à l’arbitrage du tribunal international de Paris en cas de désaccord. Conclu en septembre 2007, les contrats sino-congolais appelés communément « Cinq chantiers » portent notamment sur la construction de 3 000 km de routes, autant de voies de chemin de fer et 4 universités. La valeur de ces infrastructures a été estimée au départ à près de 9 milliards de dollars a été réduite, suite aux pressions du FMI, à 6,5 milliards de dollars.
Les contreparties congolaises s’élevaient à l’exploitation de 10 millions de tonnes de cuivre, ce qui devait donner 6,5 millions de tonnes de cuivre raffiné) 200 000 tonnes de cobalt, 372 tonnes d’or. Où en est-on 10 ans après? De Cinq chantiers à la Révolution de la modernité, prônés par Joseph Kabila, qui est fin- mandat, des observateurs notent que des routes « modernisées selon le standard international et conformément au contrat signé », pour reprendre l’expression officielle, se sont détériorées tant à Kinshasa que dans les grandes agglomérations de l’arrière-pays.
Alternance… si jamais
Venus en troupeau sous le label d’experts ès infrastructures, nombre de Chinois se sont plutôt déversés dans la débrouille, le petit commerce dont la vente des beignets…en flagrante violation de la loi. Les accords prévoyaient, en effet, l’embauche de 10 000 travailleurs (7 000 Congolais et 3 000 Chinois) et d’importants programmes de formation pour la main-d’œuvre nationale. Les coûts de la main-d’œuvre chinoise sont du même niveau que les salaires locaux et incomparablement plus bas que les traitements des expatriés : un ou deux dollars par jour pour les ouvriers dont le logement et la nourriture sont assurés, 150 dollars par mois pour les cadres. Aucun (pré)bilan n’a été, en effet, officiellement établi sur ces contrats qui sont d’une durée de 30 ans renouvelable. L’Assemblée nationale, du temps de la présidence Vital Kamerhe, s’était octroyée le droit d’auditer annuellement lesdits contrats. Et le ministre des Infrastructures, des Travaux publics, de la Reconstruction, Pierre Lumbi O’Kongo – qui deviendra par la suite conseiller spécial en matière de sécurité de Joseph Kabila, et aujourd’hui passé ou revenu dans l’opposition radicale) ne s’est guère opposé à l’option levée par l’Assemblée nationale.
Hélas, le speaker de la Chambre basse se brouillera avec le chef de l’État. Il sera évincé. Depuis, plus jamais l’idée d’un audit des contrats chinois n’a été évoquée. Il n’est plus que Moïse Ekanga, pour vanter des contrats qui ont pourtant du plomb dans l’aile même dans leur volet minier. Il y a 4 ans, EXIMBANK, le partenaire de Synohydro et de CREC dans l’aventure congolaise, a manifestement son désintérêt pour les contrats sino-congolais.
L’ancien 1ER Ministre, Augustin Matata Ponyo, avait soutenu, devant l’Assemblée nationale, en 2012, que le Contrat chinois allait rapporter environ 3 milliards de dollars entre 2012 et 2016, sous forme d’apports directs, et quelques milliards par le biais de la SICOMINES.
Dans son rapport daté de 2015 sur les mines en RDC, le Centre Carter émet de vives réserves sur les états financiers de la société chinoise. « Il a été quasiment impossible d’accéder aux états financiers des sociétés minières en RDC », lit-on dans le rapport du Centre Carter. « Les statuts des sociétés doivent être publiés dans le Journal Officiel et être accessibles auprès du Tribunal de commerce (ou, en son absence, le Tribunal de grande instance). En théorie, il ne s’agit donc pas de documents confidentiels. Par exemple, KCC a déposé son dossier au tribunal local de Kolwezi, mais celui de la SICOMINES ne s’y trouvait pas.
Aussi, l’État congolais n’a pas encore rendu publiques des données ci-après : l’Annexe C à la convention de joint-venture : modèle économique (financial conclusion, primary conclusion et Economic model Parameter) ainsi que le contrat d’amodiation du permis d’exploitation 8841, indique le même rapport. Selon les termes initiaux du contrat convenu avec la partie chinoise, le chiffre d’affaires à engranger pourrait être de l’ordre de 55 milliards de dollars échelonnés sur une période de 20 ans.
Pourtant, sur le long terme, si la SICOMINES ne réalisait pas les revenus escomptés, les Chinois seraient en droit de se servir sur les autres ressources de la RDC, y compris le pétrole, les terres arables, etc. Ce que les Occidentaux ne veulent pas du tout entendre, selon la journaliste belge Colette Braeckman, dans son ouvrage « Vers la deuxième indépendance du Congo ». Cependant, ce n’est un secret pour personne que le pouvoir actuel constitue le principal atout juridique et sécuritaire des contrats chinois.
Une alternance au sommet de l’État pourrait inévitablement entraîner la remise en cause de nombreux deals établis ces quinze dernières années. À quelques degrés près, Kamerhe, Katumbi, Muzito, bref, tous les présidentiables se sont montrés on ne peut plus critiques vis-à-vis des contrats chinois. Par lesquels, nombre d’entreprises chinoises sont exonérées d’impôts et autres taxes et redevances, a-t-on appris, jusqu’à 2037! « Qu’adviendra-t-il lorsque les Chinois se sentiront menacés au Congo? », s’interroge Colette Braeckman dans son livre précité. La journaliste n’exclut pas une confrontation armée par milices interposées notamment en Ituri.