En parlant du ruissèlement économique, la plupart des spécialistes partent souvent l’exemple russe pour généraliser. En Russie, les grosses fortunes se portent bien selon Forbes. Le nombre de milliardaires y est passé de 71 à 96 en moins d’un an. La fortune cumulée de 200 Russes représente une bagatelle de 460 milliards de dollars, soit une hausse de 100 milliards par rapport à 2016.
La situation économique de la Russie se caractérise aussi par une progression sensible de la pauvreté. Ce sont avant tout la classe moyenne et les plus modestes qui subissent la crise économique bien plus que les riches et les hyper riches. Les magnats russes sont plus nombreux et plus riches, mais leur poids ou cette tendance à la hausse est à peine perceptible dans l’économie du pays. L’une des grandes particularités des grandes richesses privées russes, c’est qu’une grande partie de ces richesses est à l’étranger.
Selon des analystes économiques, la redistribution de la richesse par le biais fiscal ou de l’investissement fonctionne moins bien en Russie. Soucieux de protéger leurs capitaux d’une économie incertaine, les riches russes placent leur argent à l’étranger.
C’est ainsi que, en 2014, le pouvoir a adopté une loi d’amnistie destinée à lutter contre cet exode financier parce que dans le pays, les disparités économiques sont très effarantes et elles s’accentuent. Suite à cela, fait remarquer Albert Ngouli, on peut constater une érosion progressive de la classe moyenne en Russie.
Tendance générale ?
Et, souligne-t-il, c’est la tendance globale actuellement dans le monde : les riches s’enrichissent, les pauvres deviennent plus pauvres. Selon des spécialistes, cette tendance n’est pas uniquement liée à la crise mais aussi à des aspects fondamentaux compte tenu du fait que la structure des économies est en train de changer. En Russie, les conditions de vie se sont dégradées pour beaucoup. Le président de la république, Vladimir Poutine, s’en est personnellement inquiété. Près de 20 millions de Russes vivent sous le seuil de la pauvreté.
La dynamique économique générale du phénomène est la même partout dans le monde. En Russie, les grandes fortunes actuelles se sont bâties lors des grandes privatisations après l’effondrement de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) au début des années 1990. Tout ça pour une capture par un certain nombre de personnalités, d’anciens fonctionnaires bien placés et qui ont amassé des fortunes considérables. En dehors de la problématique des prix des matières premières, il y a un système des vases communicants dans une économie relativement stagnante, qui font que les riches s’enrichissent au détriment du reste de la population d’une certaine manière.
Il y a donc collusion entre le pouvoir politique et la plupart de ces immenses fortunes à travers le nationalisme de ne pas changer la donne sociale. Les spécialistes s’interrogent si cela est dû aussi au fait que l’économie repose sur les rentes des matières premières. Lesquelles rentes sont captées par un certain nombre de grandes fortunes, que ce soit dans l’industrie lourde, les services… Tout cela est contrôlé par un petit nombre de grandes fortunes. Même au moment où les prix des matières premières sont élevés, l’essentiel de la rente est capté par les grandes fortunes. En Russie, par exemple, quand le prix du pétrole est tombé en-dessous de 10 dollars, en 1998, l’économie a fait faillite. Même avec un prix du pétrole qui a augmenté, les investissements productifs ont été très réduits. Tant que le prix augmentait, l’économie allait bien, les chiffres de croissance élevés. Mais à partir de 2014, quand les prix ont baissé, l’économie n’a plus fonctionné parce qu’il n’y avait pas de relais de croissance en interne. Les oligarques ont une propension à mettre leurs fortunes en dehors du pays pour les sauvegarder. D’aucuns sont devenus des propriétaires des clubs de football en Europe, des propriétaires des casinos… Des rentes perçues au sein de l’économie russe n’ont en aucun cas profité aux Russes. Et comme il n’y a pas eu beaucoup d’investissements, la classe moyenne a été laminée.
Investissements publics
Il y a donc une vraie problématique qui reste posée parce que non résolue : le manque d’investissements productifs. En Inde, par exemple, la discrimination entre castes reste une réalité et touche plus la communauté des Dalits considérés comme « impurs ». Ils sont à peu près16 millions à occuper des métiers sales et plus dégradants. Mais une élite d’entrepreneurs Dalits émerge et aide les autres à s’en sortir.
L’un de leurs qui a grandi dans une famille de Dalits est aujourd’hui le patron d’une société qui porte son nom et fabrique des objets en plastique. Il raconte qu’il a commencé comme « simple ingénieur spécialisé » dans les photocopies. Puis, quand la société a fait faillite, il a réussi à la racheter grâce à « des économies et des prêts auprès d’amis ». Aujourd’hui, c’est lui qui aide les autres Dalitss à lutter contre la discrimination. Il est le représentant de la chambre de commerce de Dalits dans la région et soutient plusieurs entrepreneurs issus de sa communauté. Il forme aussi d’autres Dalits sur le tas avec fierté. Il veut s’assurer que les gens de sa caste puissent travailler à des hauts postes.
Les Dalits souffrent de nombreuses discriminations à l’embauche. Le nom de famille, la région géographique, le métier des parents jouent dans la détermination de l’origine sociale. Certains préfèrent monter leur propre commerce, là encore leurs proches sont trop pauvres pour leur emprunter de l’argent et les banquiers peuvent avoir leurs propres préjugés. Résultat : l’inégalité économique est très flagrante. Sur les très petites entreprises (TPE), seulement 6 % sont détenues par les Dalits. Ils sont extrêmement sous-représentés, même dans le secteur informel. Parmi tous les commerces de Dalits, 40 % sont entre les mains d’une seule personne. Ce qui indique que c’est un « commerce de survie ».
Les Dalits bénéficient depuis près de 10 ans d’une discrimination positive qui leur permet d’accéder tranquillement à l’université publique et à l’administration. Mais cela n’a pas encore réussi à changer la mentalité d’une grande partie de la population indienne qui perçoit encore les Dalits comme les intouchables. Comme on peut le constater, ici, il y a ruissèlement économique à partir de la classe moyenne. Est-ce que ça peut fonctionner mieux ? Pour les spécialistes, ce qui est valable pour les pays émergents et avancés, l’est aussi pour les autres pays. Pour eux, les banques doivent jouer un rôle important à travers les micros crédits qui restent trop locales.