L’exemple du système de prélèvement d’impôts, droits douaniers, taxes et redevances au Togo a été présenté au forum sur la réforme fiscale par Achille Toto Same, expert principal en gestion des finances publiques, et Jean Marie Vianney Dabire, économiste-pays principal, de la Banque africaine de développement (BAD). D’abord, ils ont fait un rappel sur le Cadre stratégique de la BAD en matière de gouvernance, le contexte de mise en place de l’Office togolais des recettes (OTR), et sur son opérationnalisation. Ensuite, ils ont parlé des perspectives et avantages de l’OTR.
Le Cadre stratégique en matière de gouvernance et le Plan d’action pour la gouvernance (GAP II, 2014-2018) ont pour but de promouvoir la bonne gouvernance et l’obligation de rendre compte pour la transformation de l’Afrique. En ce qui concerne le secteur public et le pilotage de l’économie, il est question de renforcer la mobilisation des ressources internes, en appuyant les réformes des régimes fiscaux, promouvant la modernisation des systèmes d’administration des recettes, en renforçant la perception des recettes non fiscales, en particulier dans le domaine de l’autonomisation des recettes douanières.
C’est depuis 2008 que le gouvernement togolais s’est engagé dans la création d’une structure d’administration fiscale unifiée et semi-autonome et a sollicité l’appui de la BAD pour l’accompagner dans ce processus. La création de l’OTR a été votée au Parlement en décembre 2012 après de nombreuses études entreprises depuis 2010. C’est dans ce contexte que la BAD, à la demande du gouvernement togolais, a procédé à l’engagement d’une mission afin d’évaluer l’état d’avancement des préparatifs des réformes envisagées et de déterminer les appuis techniques et financiers nécessaires à la mise en œuvre opérationnelle de l’OTR.
Selon les experts de la BAD, Achille Toto Same et Jean Marie Vianney Dabire, l’OTR a été constitué pour « améliorer la performance opérationnelle en matière de collecte des recettes, créer un cadre favorable à la rationalisation des procédures fiscales et douanières, et éradiquer l’évasion fiscale ». Fondée sur une « culture de service », l’OTR a pour vision de « réduire le coût du consentement volontaire à l’impôt des contribuables et à professionnaliser l’administration des recettes de l’État ».
D’après eux, au moment où le Togo s’était engagé dans un processus de paix et de croissance économique, les carences de gestion des recettes publiques nationales dans le contexte mondial caractérisé par la réduction de l’aide publique au développement risquaient de compromettre ses capacités à financer les réformes et son développement économique. Les principales raisons évoquées par le Togo pour créer l’OTR sont une faible efficacité des administrations fiscales et douanières; une faible attractivité des rémunérations et absence de plans de carrières; une faible synergie de technologie entre les douanes et les impôts; une faible traçabilité et fiabilité des rapports sur les recettes.
Ou encore une importante complexité des procédures de déclaration/paiement favorable au développement de la fraude et de l’évasion fiscale; une importante corruption qui décrédibilise les fonctions régaliennes de ces administrations; une très mauvaise situation dans le classement Doing Business 2013 (156è sur 185 pays en général, mais 167è sur 185 pour le paiement des impôts).
En effet, il existait une pléthore de règlements sur les droits, impôts et taxes (fiscales, parafiscales) dont la mauvaise gestion affectait négativement le climat des affaires et les coûts de transactions. Aussi, de nombreuses procédures applicables dans la gestion des impôts et des droits étaient soit obsolètes, soit redondantes, soit inutiles et coûteuses, donc économiquement inefficientes, et engendraient des coûts qui obèrent la compétitivité des opérateurs économiques.
En outre, les administrations fiscales et douanières n’étaient pas assez performantes à cause des inerties diverses qui y avaient cours et ne pouvaient donc pas réagir avec la promptitude nécessaire pour rationaliser les procédures d’enregistrement, de déclaration et de paiement des impôts et taxes dans le sens d’une plus grande efficacité économique.
Importance de la réforme
La réforme apparaissait d’autant plus importante qu’elle présentait une triple dimension : fiscale (porteuse de ressources supplémentaires pour le financement des projets de développement économique), politique et administrative (permettant de lutter plus efficacement contre la fraude fiscale et la corruption) et économique et sociale (favorable à l’amélioration du climat général des affaires et à l’équilibre des genres).
L’OTR est opérationnel depuis 2013 avec l’appui de la BAD. Les deux experts de la BAD ont souligné qu’il s’agit de la première expérience d’unification des services des douanes et des impôts dans les 14 pays de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) et de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Les « superstructures » dotées d’une certaine autonomie par rapport au secteur public, chargées d’asseoir, recouvrer et contrôler les recettes publiques, ont-ils déclaré, se sont multipliées depuis une vingtaine d’années dans une quarantaine de pays, dont environ 20 en Afrique. Ils ont soutenu que le fondement principal réside dans l’idée qu’un organisme jouissant d’une certaine autonomie est plus efficace et plus efficient pour la collecte des recettes publiques. Il permet de supprimer les obstacles à un management de qualité tout en restant aussi responsable et transparent qu’une administration publique.
Selon la loi votée à l’unanimité le 10 décembre 2012, l’OTR est un établissement public à caractère administratif doté de la personnalité morale et de l’autonomie de gestion administrative et financière. Il est piloté par un conseil d’administration et un commissaire général responsable seulement devant ce conseil. Ce conseil de dix membres comprend des représentants des secteurs publics (ministères des Finances et du Commerce) et privés. Il est présidé par un des quatre membres nommés par le président de la République. Ce conseil approuve les orientations stratégiques de l’OTR, adopte ses statuts et règles de gestion, arrête les budgets annuels, approuve les rapports annuels, les grilles de rémunération et les plans de recrutement. Il ne s’ingère pas dans le fonctionnement quotidien de l’Office.
L’OTR a recruté l’ensemble de son personnel sur de nouvelles bases. Le grand défi était de gérer la remise sur le marché du travail de 2 030 agents issus des deux anciennes administrations des douanes et des impôts. L’OTR n’a réengagé, après concours, que 52 % d’entre eux, et l’effectif total du personnel, nouvelles recrues comprises a été réduit de 17 %. Les experts de la BAD expliquent que cette profonde restructuration a provoqué des mouvements de protestations et des grèves, menés par les anciens agents mais aussi par les commissionnaires en douane déroutés par l’introduction d’un nouveau mode d’organisation basée sur l’« E-tax », dont l’informatisation intégrale des procédures douanières à travers le Guichet unique du commerce extérieur (GUCE).
Premiers enseignements et perspectives
L’hypothèse d’une phase incertaine au démarrage de l’OTR a poussé le gouvernement togolais et le Fonds monétaire international (FMI) à tabler sur une baisse des recettes de 10 % au moins en 2014. Au contraire, les recettes fiscales ont enregistré une progression significative ces trois dernières années, après l’opérationnalisation de l’OTR. Grâce à certains instruments fiscaux innovants issus de la dématérialisation des procédures fiscales et au consentement volontaire à l’impôt, les recettes fiscales totales ont augmenté de 13,5 % en 2014, 12,8 % en 2015 et 10,1 % en 2016. En termes de ratio de recettes fiscales par rapport au PIB, le Togo respecte désormais les critères de convergence de l’UEMOA et se place parmi les pays enregistrant les plus forts taux de pression fiscale, soit 21 % contre une moyenne de l’UEMOA hors Togo de 15 % en 2016.
En ce qui concerne les avantages de la réforme et les perspectives, l’OTR est beaucoup plus qu’une simple organisation de recouvrement. Il est un « catalyseur » de réformes qui doivent permettre d’obtenir les résultats suivants : une approche « client » fondée sur une culture de service pour remplacer une culture répressive; une réduction des coûts des contribuables pour respecter leurs obligations fiscales; un management par objectifs fondé sur des critères de performance préétablis dont la réalisation est objectivement vérifiable par une entité indépendante ; un personnel qualifié, compétent et motivé géré sur la base d’objectifs individuels déclinés à partir du contrat de performance général approuvé par le conseil d’administration et rémunéré en tenant compte de la concurrence; un partage des renseignements grâce à une interconnexion informatisée en temps réel des services; un guichet unique et proche du client d’enregistrement, de déclaration et de paiement; des procédures simplifiées, modernisées et informatisées applicables à tous, en harmonie avec les dispositions régionales prévues par l’UEMOA; un taux de pression fiscale amélioré.