La crise financière récente a mis en relief la corrélation qui existe entre le commerce et la croissance économique. Beaucoup de pays qui dépendent économiquement de l’exportation des matières premières, semblent avoir tiré des enseignements de la dernière crise financière récente. Des analystes économiques pensent que cette crise a redessiné les contours des économies nationales de ces pays afin de les préserver, dorénavant, de la violence de la conjoncture mondiale. L’un des enseignements de cette crise est la nécessité de diversifier les échanges extérieurs ou le commerce de marchandises. C’est maintenant que l’avenir du commerce extérieur doit se jouer, estiment les mêmes analystes. En République démocratique du Congo, le ministre d’État et ministre du Commerce extérieur, Jean Lucien Bussa Tongba, a vite perçu les défis pour la RDC et s’attèle à redonner de la vigueur à ce secteur, comme dans les années d’avant et de l’immédiat après-indépendance.
Les défis pour la RDC passent par la diversification des exportations, surtout les exportations agricoles, estime le ministre d’État Bussa et, au-delà, par la présence remarquée de la RDC dans les instances internationales. Jean Lucien Bussa s’est engagé, au lendemain de sa nomination à la tête de ce ministère, à relever les défis du commerce extérieur de la RDC. Mais par où commencer et quelles actions faut-il mener ? Dans une approche pragmatique, il s’est employé d’abord à dresser un état des lieux avant de passer à du concret. D’après lui, le concret se résume à l’amélioration de la qualité des importations, l’augmentation de la croissance économique et du volume des exportations, ainsi qu’à la compétitivité des produits locaux.
Ouverture tous azimuts ?
Pour cela, Jean-Lucien Bussa entend veiller personnellement à la mercuriale des prix pour que les produits de l’export profitent réellement aux Congolais. Et que les prix des produits importés ne soient pas supérieurs aux prix moyens frontières (PMF). Par exemple, Jean Lucien Bussa trouve anormal qu’un carton de chinchards de 11 à 15 dollars à l’achat coûte 60 à 70 dollars à Kinshasa. Économiste de formation, il connaît mieux que quiconque la corrélation existant entre l’ouverture au commerce international et la croissance économique. Tout au moins en ce qui concerne les produits manufacturés car les prix des produits primaires amplifient les variations cycliques de la conjoncture. La crise financière récente a montré que les exportations des matières premières sont un facteur d’instabilité conjoncturelle de la croissance alors que l’instabilité conjoncturelle due aux fluctuations des prix des produits de base ne se traduit que faiblement en instabilité de la croissance.
En principe, une politique commerciale implique plusieurs acteurs (ministères, agences, etc.). En RDC, le ministère du Commerce extérieur joue un rôle clef dans la définition de la politique commerciale. C’est ce ministère qui est responsable des orientations stratégiques de cette politique sur la fiscalité de porte, les importations et les exportations. Ainsi, les compétences du ministère du Commerce extérieur s’étendent aux mesures de défense commerciale (antidumping, clauses de sauvegarde et mesures antisubventions), aux règles d’origine et aux autres mesures de politique commerciale. Il est également responsable de l’administration des procédures aux frontières, et joue un rôle fondamental dans la définition des positions de négociation de la RDC et dans la conduite des négociations commerciales internationales. Il est aussi en charge de la création de zones économiques spéciales (zones franches ou autres).
Selon l’état des lieux qui a été dressé, le manque de diversification économique réduit le commerce extérieur de la RDC à trois secteurs producteurs de biens échangeables économiquement significatifs. Ces secteurs sont les mines, l’agriculture et le bois. Les exportations minières représentent la grande part des exportations de la RDC et sont mieux mesurées que les exportations agricoles et du bois, qui traverse souvent la frontière par la fraude. Par ailleurs, ces exportations ont la particularité d’être concentrées sur quelques pays. Avant, la destination était la Belgique, la France et l’Afrique du Sud (pays à faible croissance), mais depuis presque dix ans, la Chine (pays à forte croissance) est devenue la destination la plus importante.
L’un des défis que doit relever Bussa, c’est donc de réorienter les exportations nationales vers les marchés dynamiques. Quelles exportations et quels marchés ? Pour des observateurs, rien à faire, l’agriculture demeure la base de l’économie de la RDC bien que sa part dans le revenu national soit à la baisse. Par exemple, en 2006, l’agriculture fournissait encore 40,3 % du Produit intérieur brut (PIB) contre seulement 12,8 % pour le secteur minier. Elle employait les trois quarts de la population active. Par ailleurs, de toutes les sources de croissance, le secteur agricole a le plus fort potentiel pour contribuer à la réduction de la pauvreté.
En chiffres, le potentiel agricole de la RDC est colossal : 80 millions d’ha de terres arables, dont 4 millions sont irrigables. La diversité des bassins climatiques, l’abondance des pluies, et la présence d’eaux de surface en grande quantité permet plusieurs récoltes par an pour de nombreux produits. L’huile de palme, le caoutchouc, le thé, le café, le cacao peuvent fournir des recettes d’exportation substantielles. Les pâturages pourraient supporter environ 40 millions de têtes de bétail. Enfin, les eaux intérieures pourraient permettre la production de plus de 700 000 tonnes de poisson. Ce potentiel n’est pas largement mis en valeur : seulement 23 millions d’ha (28 %) sont cultivés, et seules quelques terres consacrées à la production du riz et de la canne à sucre sont irriguées. La productivité agricole est tombée à moins de 50 % de son niveau de 1960.
Miser sur les exportations agricoles signifie qu’il faut lever certains obstacles. Par exemple, en dépit de la faible densité de population de la RDC (22 habitants au km²), l’accès à la terre est un problème pour la création de nouvelles plantations industrielles. Si l’établissement de petites ou moyennes fermes ne présente pas de difficultés, la création de concessions agricoles de grande taille avec des terres contigües est problématique, d’autant plus que le droit de la terre est ambigu, reflétant une transition progressive du droit coutumier vers un droit foncier moderne. La RDC doit se doter des instruments juridiques adéquats pour que l’octroi de concessions puisse se faire de façon transparente et acceptable pour les populations locales.
Par ailleurs, le ministre d’État Bussa le sait, l’accès au financement est pénalisant, notamment pour les petits exploitants. L’agriculture congolaise a fortement besoin d’investissements en intrants et en équipement agricole. Selon des spécialistes, le besoin d’investissement est tel que seule une participation substantielle d’investissements étrangers dans un secteur de plantations redynamisé peut assurer une réponse de l’offre aux opportunités du marché.
La reprise, à quel prix ?
En outre, il faudra simplifier les procédures d’exportation, limiter les prélèvements et améliorer la sécurité et la facilitation du commerce à la frontière. L’évolution de la balance du commerce agricole de la RDC montre que les exportations étaient considérables en 1960 et ont très rapidement chuté après l’indépendance,
jusqu’à devenir négligeables à partir des années 1980. Et parallèlement, les importations, essentiellement celles des produits alimentaires, ont augmenté exponentiellement pour approvisionner le marché intérieur, principalement Kinshasa. Selon les statistiques disponibles, les exportations agricoles représentaient 39 % des exportations totales en 1959 et seulement 14 % en 1969.
L’effondrement de la production agricole est particulièrement marqué dans le secteur des cultures industrielles d’exportation dont les exploitations modernes étaient le moteur, ouvrant aussi le marché à la production de petits exploitants et leur offrant aussi un appui à la production.
Par exemple, les exportations des bananes et de l’huile d’arachide se sont arrêtées dès 1970, celle de coton en 1977 et celle d’huile de palme en 1985. La RDC exporte encore du café (robusta et arabica), du cacao, du thé, du quinquina et du latex, mais en quantités négligeables.
La baisse de la productivité est due au fait que les producteurs locaux ont été graduellement coupés des marchés principaux pour leurs produits à cause de la guerre et l’insécurité, l’augmentation drastique des coûts de transport due à la dégradation des infrastructures et le racket systématique des services officiels et des groupes armés. La conséquence est que le pays doit se tourner vers les importations, même pour des produits pour lesquels il a des avantages comparatifs certains, tels que le riz, le maïs, l’huile de palme et la viande.
Il semble qu’avec le retour de la paix et de la sécurité dans une grande partie du pays, l’activité agricole se reprend. Et on espère un début de redressement des exportations (café arabica, latex, thé). Des spécialistes font remarquer que l’accroissement de la population et des revenus, urbains en particulier, va provoquer une augmentation de la demande alimentaire. Cependant, il faudra que la production nationale soit compétitive avec les importations concurrentes pour qu’elle puisse reconquérir de sa part de marchés et permettre une réduction des importations. Bien que la RDC possède des avantages comparatifs, certains pour la production d’un grand nombre de produits agricoles, de nombreuses contraintes devront être levées pour transformer cet avantage comparatif en réelle compétitivité.