Les Accords de partenariat économique (APE) sont des accords de libre échange qui doivent succéder en 2020 au fameux Accord de Cotonou signés en 2000 entre l’Union européenne (UE) et les pays africains. Ces derniers prévoyaient un accès au marché européen des produits africains, principalement miniers et agricoles, sans le moindre frais de douane. Par contre, les marchés africains restaient protégés des produits européens par des barrières douanières.
L’entrée en vigueur des APE aura entre autres pour conséquence, la suppression de la quasi-totalité (80-90 %) de ces barrières pour les produits européens entrant en Afrique. Vu sous cet angle, certains pays africains, notamment le Nigeria, la République démocratique du Congo et la Tanzanie, voient venir le danger. D’après eux, une déferlante des produits européens risque de signer l’arrêt de mort des filières agro-industrielles qui ne sont pas suffisamment très fortes pour amortir un tel choc. En RDC, par exemple, l’invasion des produits européens est une menace sérieuse pour les filières en redressement. Étonnant, en Europe, aussi, jusqu’au Parlement européen, on s’inquiète des effets néfastes du principe d’ultra libéralisme que véhiculent les APE sur les fragiles économies africaines. Déjà, les accords intérimaires signés par l’UE avec les grandes zones économiques en Afrique (CEDEAO, SADC, CEMAC) faisaient face à une fronde de certains pays qui n’en veulent pas. Déjà, aussi, des députés européens s’opposent à la ratification des APE pour plusieurs raisons. D’abord, ils estiment que les APE sont l’expression d’une « pure ultra libéralisation » des échanges commerciaux. De ce fait, le principe de la symétrie des échanges tombe à l’eau. Alors que les Accords de Cotonou prévoyaient en 2000 la protection des économies africaines, les APE qui deviendront effectifs en 2020, ne la prévoient plus.
Les antis-APE redoutent qu’ils ne viennent détruire donc le développement local. Or, c’est justement le principe que l’UE a toujours privilégié dans sa coopération bilatérale avec l’Afrique. Pour eux, l’Afrique a vraiment besoin de ce développement régional. Ils mettent en exergue les accords intérimaires conclus avec certains pays, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana. « Ils sont venus casser ce développement régional plutôt que de favoriser une zone interne de développement d’échanges, beaucoup plus bénéfique aux petites et moyennes entreprises (PME) », explique une députée européenne belge sur les antennes de RFI. En définitive, laisse-t-elle entendre, les APE ne prennent pas en compte les besoins des petites économies africaines.
Les antis-APE reprochent aux dirigeants africains le « manque de leadership diplomatique africain ». Depuis 2000, l’UE négocie avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) des accords de partenariat économique en remplacement des anciens accords de Lomé et de Cotonou. Seul un accord régional de ce type a été signé, en raison des fortes réticences exprimées par la société civile et certains États. Ils redoutent la concurrence sur leur marché agricole, la perte des recettes douanières essentielles au budget, l’absence de nouveaux avantages à l’entrée sur le sol européen… Par ailleurs, les pays qui se sont engagés activement dans la mise en œuvre des accords intérimaires en 2014, vont perdre tous les avantages dont ils bénéficient en termes d’accès au marché européen. Ceux qui s’opposent aux accords de libre-échange entre l’UE et les pays en développement, dénoncent les « risques importants » pour le développement des marchés agricoles et alimentaires dans les pays du Sud.
En 2000, plusieurs économistes africains avaient qualifié l’Accord de Cotonou de « baiser de la mort » de l’Europe à l’Afrique. Ce texte prévoyait, à la demande de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la négociation des APE avant 2007. Les APE régionaux ont ainsi été ratifiés en juillet 2014 par la CEDEAO et la SADC, sous la pression de Bruxelles. Qui menaçait les exportations africaines en provenance des pays à revenus intermédiaires (Côte d’Ivoire, Ghana, Cap-Vert et Nigeria) d’être taxées de nouveau à leur entrée sur le marché européen, contrairement à celles des pays les moins avancés (PMA). Les APE prévoient non seulement la suppression des droits de douane pour les trois quarts des produits européens, mais aussi l’impossibilité de les rétablir par la suite, si la politique des pays ouest-africains devait changer. En d’autres termes, c’est un piège. Le manque à gagner est estimé par Le Monde Diplomatique à plus de 2,3 milliards d’euros cumulés sur 15 ans en Afrique de l’Ouest. Une manne de financement autonome du développement qui va s’évaporer, sans être compensée par les aides financières de l’Europe.
La pression des multinationales
Autant dire que le temps presse. Reste à savoir si l’UE prendre en compte toutes ces critiques pour recadrer les APE qui divisent profondément, en Afrique et en Europe. Des observateurs estiment que l’UE aura difficile à trouver une solution, d’autant plus que des multinationales cherchent à se repositionner sur l’Afrique. À en croire les multinationales interrogées dans une récente enquête de PricewaterhouseCoopers (PwC), la lutte pour le repositionnement en Afrique est relancée de plus belle. Cependant, le chemin ne sera cependant pas facile compte tenu des défis à surmonter, notamment celui du financement mais aussi les contraintes liées à la bonne gestion des affaires publiques et en rapport avec la stabilité politique dans certaines régions.
La Banque mondiale estime à 93 milliards de dollars par an le financement de la mise à niveau des infrastructures et le renforcement de la compétitivité du continent. Pour sa part, l’Organisation des Nations Unies (ONU) incite les États africains à s’engager davantage dans le processus industriel et mobilise l’appui international en faveur du développement industriel durable de l’Afrique. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de produire, mais il est surtout question d’être compétitif afin d’espérer tirer profit des marchés de plus en plus ouverts et concurrentiels. La compétitivité est devenue un objectif en soi pour toute entreprise afin d’avoir un accès facile aux marchés. Elle dépend de la disponibilité des ressources humaines qualifiées, d’infrastructures économiques viables, d’un cadre juridique favorable à la prise de décisions commerciales sur les marchés. Afin de relever le défi de l’accès aux marchés, les États doivent coordonner et harmoniser leurs points de vue, et parler d’une seule voix en matière de négociations commerciales, notamment dans le cadre des APE avec l’UE, et dans celui des négociations avec l’Organisation mondiale pour le commerce (OMC).
La moitié de la population de l’Afrique dispose de moins d’un dollar par jour pour vivre et presque trois tiers (34 sur 48) des pays les moins avancés se trouvent en Afrique. On s’est peu préoccupé, ces dernières années, du rôle de l’industrialisation dans l’élimination de la pauvreté. Or, l’industrie crée des emplois, accroît les revenus, augmente la valeur des produits agricoles, favorise le progrès technologique, ouvre des perspectives économiques aux femmes et produit des recettes qui permettent aux gouvernements de réduire et d’éliminer la pauvreté. Des observateurs recommandent à la communauté internationale d’intensifier son appui à l’Afrique, en améliorant l’accès des produits africains aux marchés internationaux, en encourageant les investissements étrangers et en augmentant l’aide publique au développement.