Jean-Paul II et Benoît XVI, des alliés inconditionnels de l’Empire

Je suis croyant de la foi catholique et c’est avec une certaine gêne empreinte de colère et de honte que je dénonce cette alliance scandaleuse de la Papauté avec les forces de l’Empire qui domine actuellement le monde. Même si les églises se vident et que de nombreux croyants ont fait leur deuil d’une institution dans laquelle leur foi évangélique ne se reconnait plus, le Vatican avec toutes ses institutions et, tout particulièrement, le Pape continuent d’avoir une grande influence dans l’opinion occidentale. Il est une force que les pays de l’Occident, dits chrétiens, préfèrent avoir avec eux. Or ce que font les pays de l’Occident, l’Empire, va tout à l’opposé de la voie tracée et enseignée par Jésus de Nazareth.

De quel empire s’agit-il ?

Peu de personnes doutent, aujourd’hui, du fait que nous vivons dans un monde dominé par la puissance d’un empire qui se révèle tout autant par la force de ses armements les plus sophistiqués que par sa main mise sur les richesses et les systèmes financiers qui contrôlent l’économie des peuples. Un véritable Empire qui commande les principaux leviers des pouvoirs politiques, économiques, médiatiques, judiciaires et financiers.

Il s’agit, pour l’essentiel, des grandes oligarchies qui s’imposent aux principaux gouvernements de l’Occident et du monde. Leurs pouvoirs s’expriment politiquement et prioritairement à travers le gouvernement des États-Unis, celui d’Israël et par ceux qui en sont les principaux alliés que sont la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Canada, l’Italie et l’Espagne. Inutile d’ajouter que ce modèle de domination s’étend à toutes les oligarchies qui ont mainmise sur les institutions politiques, économiques, médiatiques et culturelles de leurs propres pays.

Au cœur de cet Occident, dit chrétien, il y a le Vatican, dominé par la figure de la papauté. Au cours des 33 dernières années, 1978-2012, la papauté a joué un rôle politique particulièrement intense, d’abord dans la lutte contre le communisme de l’Union Soviétique et, par la suite, dans celle contre les mouvements sociaux et politiques des pays du tiers-monde qui cherchent à briser l’hégémonie des oligarchies sur leur propre devenir. Dans ces deux cas, le Vatican et la Papauté ont été des alliés fiables tout autant des Administrations Reagan, Clinton, Bush père, Bush-fils et d’Obama que des oligarchies.

Jean-Paul II

La figure de Jean-Paul II est à jamais liée à cette victoire de l’Occident sur le régime de l’Union Soviétique. Le président Reagan aura trouvé en lui un allié sur lequel il pouvait compter et nous pouvons en dire tout autant de Jean-Paul II à l’endroit du président Reagan. Tous les deux voulaient en finir avec le communisme et quoi de mieux que de joindre les ressources des uns et des autres pour y parvenir. Nous connaissons maintenant comment l’argent et l’information passaient par le Vatican pour rejoindre les mouvements subversifs en Pologne et plus officiellement le syndicat Solidarnosc. Nous connaissons la suite.

Cette collaboration s’est également poursuivie en Amérique latine, cette fois pour faire taire la voix des peuples réclamant plus de démocratie et de justice. De nombreux prêtres et chrétiens, inspirés par les documents du Concile Vatican II (1965), par ceux de Medellín (1968) et par les réflexions développées par les théologiens de la libération se retrouvaient au cœur de ces remises en question du système qui enfermait les peuples dans la pauvreté. Il y a donc eu tout un pan important de l’Église qui s’est engagé avec les pauvres pour transformer ce système générateur de pauvreté, d’analphabétisme, de discrimination, d’autoritarisme et d’injustice.

C’est ce que l’Unité populaire, au Chili, sous la présidence de Salvador Allende s’était proposé dans les années 1969 à 1973. Ce fut également ce que les Sandinistes, sous la direction de Daniel Ortega, s’étaient également proposé, fin des années 1970 et début des années 1980. Dans de nombreux autres pays, la conscience des peuples prenait de plus en plus de vigueur sous l’influence d’organisations sociales, mais aussi d’une Église populaire toujours plus présente  et  porteuse d’une compréhension nouvelle de l’engagement de foi. Les oligarchies et  l’Empire n’aimaient pas beaucoup ça.

Encore là, ils ont trouvé danse la Papauté, incarnée, par J.P. II, une collaboration qui s’est faite d’autant plus engagée que ces divers mouvements des peuples ont été vite placés sous le vocable de « communisme ». C’était donc, pour ce dernier, la poursuite d’un même combat. Un combat, sans doute plus facile puisqu’il serait en mesure de faire appel à son autorité papale pour remettre ses pasteurs et ouailles dans le droit chemin de l’obéissance et de la pratique sacramentelle et religieuse de la foi.

On se souviendra de son voyage au Nicaragua. Il était alors un allié de Reagan qui soutenait les Contras, mercenaires à la solde de l’Administration étasunienne, pour combattre les Sandinistes. Rien de mieux, pour saisir le sens de cette visite, que de lire ce que nous en dit un des principaux acteurs de cet événement, le père Ernesto Cardenal, alors ministre de la Culture..

On se souviendra également de son passage au Chili où il s’est fait à la fois très conciliant avec le général Pinochet, ce dictateur sanguinaire, et plutôt silencieux sur les crimes commis par ce dernier. Il était plus incisif et explicite lorsqu’il se trouvait devant les siens en Pologne. Il savait, alors, interpeller les autorités politiques et faire valoir les droits de ses concitoyens polonais.

Toute cette collaboration lui a valu de partager la médaille de la Liberté, haute distinction de reconnaissance offerte par la Présidence des États-Unis avec, entre autres, Vernon A. Walters, qui avait donné l’accord de la CIA au général Pinochet, dans les années 1974-1975, pour aller de l’avant avec l’opération Condor. Une initiative qui allait faire des milliers de morts et de disparus dans toute l’Amérique latine. C’est ce même Vernon Walters que Reagan avait délégué auprès de Jean-Paul II, fin 1979 début 1980, pour le tenir informé sur les politiques de la Maison Blanche en rapport avec l’Union Soviétique et l’Amérique latine. Comme on dit dans le langage des communications, il briefait Jean-Paul II, une fois par mois, lors de rencontres programmées à l’avance.

Un dernier point qu’il faut toutefois mentionné c’est sa condamnation de l’invasion de l’Irak par les États-Unis, en 2003. Ce fut  une condamnation qui n’avait rien pour mobiliser l’Église tout entière. Ce fut davantage une déclaration pour l’histoire que d’une véritable mobilisation de toute les instances ecclésiales, nonciatures, conférences épiscopales, prêtes et croyants pour dénoncer cette guerre. Rien de ces mobilisations dont il s’était montré capable dans ses luttes contre les contraceptifs, le mariage des personnes de même sexe et l’avortement. D’ailleurs, le fait qu’il n’ait pas été écouté ne l’a pas empêché de recevoir la « médaille de la liberté » des mains de celui qui avait utilisé le mensonge pour entrer en guerre contre le peuple irakien.

Enfin, sa porte ne s’ouvrait pas facilement à ceux qui dérogeaient à ses consignes. Mgr Romero, porteur d’un rapport accablant sur les crimes commis au Salvador par les forces de l’ordre, avait dû patienter pendant des jours et ce n’est qu’en usant d’astuces qu’il est parvenu à obtenir une rencontre avec le pape pour lui remettre ce rapport qui ne sembla pas l’intéresser outre mesure. Le père Ernesto Cardenal, de passage à Rome, à l’automne 1978, avait demandé à rencontrer le pape. Ce fut en vain. Ce sera plus facile pour Lech Walesa.

Benoît XVI

Sa personnalité est évidemment différente de celle de J.P. II, grand communicateur et homme d’action. Benoît XVI se fait moins flamboyant. Son charisme lui vient surtout de son intelligence et de sa capacité de manier les mots, les logiques, les systèmes de penser lui permettant de développer des doctrines en appui à ses engagements et à ses alliances. Il saura jongler avec les citations, les principes tout autant qu’avec les silences un peu, comme le jongleur fait danser ses anneaux dans tous les sens sans en perdre aucun.

Sa contribution au service de l’empire se révélera, entre autres, sur deux fronts particuliers : d’une part, celui de l’affermissement du lien entre islamisme et terrorisme, et d’autre part, celui du discrédit de la théologie de libération et de l’opposition institutionnelle de l’Église aux pays émergents de l’Amérique latine.

Nous nous souvenons tous du discours prononcé par le pape Benoît XVI, le 12 septembre 2006, à l’Université de Ratisbonne, devant des représentants du monde scientifique. Il avait alors cité l’empereur byzantin Manuel II Paléologue au XIVe siècle qui, s’adressant à « un Persan cultivé » s’était exclamé : « Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait. »

Par cette citation qui a soulevé la colère des musulmans à travers le monde, le pape apportait de l’eau au moulin de la politique des États-Unis et de ses alliés à l’endroit des terroristes le plus souvent associés à l’islamisme. D’ailleurs, on peut se demander comment il a pu s’en tenir à cette seule référence, alors que l’histoire du christianisme est elle-même marquée par des histoires d’horreurs. Il y eut évidemment l’inquisition, mais aussi ces conquêtes coloniales qui se réalisèrent sous la bannière de la croix et de l’épée en Amérique latine et en Afrique. Plus près de nous, il y a ces guerres menées par les Administrations étasuniennes au nom du Bien, tel que défini par les intérêts de la grande puissance qui se réclame de la bénédiction de Dieu.

« En septembre 2002, George W. Bush dévoile dans un document officiel le programme de stratégie de sécurité nationale que son administration compte défendre. Il y réaffirme la volonté de son pays à gagner la guerre contre le terrorisme. Le président Bush affirme que la guerre au terrorisme ne fait que commencer. Il exprime son intention de privilégier l’action militaire, incluant les frappes préventives, pour gagner cette guerre. La doctrine Bush marque un virage important dans la politique étrangère américaine. Pour la première fois, les États-Unis annoncent qu’ils ne permettront pas que leur suprématie militaire soit défiée comme elle le fut pendant la Guerre froide. Cette doctrine redéfinit en profondeur la stratégie de défense américaine afin d’assurer qu’aucune attaque nucléaire, chimique, biologique, etc. – ne puisse être lancée contre les États-Unis. Dans cette optique, tout pays qui n’agit pas contre des groupes de terreur à l’intérieur de ses frontières sera dans un état de guerre virtuel avec Washington. Se basant sur le principe du droit à l’autodéfense, Bush fait de ces frappes un élément central de sa doctrine. L’intervention en Irak y trouve sa justification. Derrière cette vision, se dessinent aussi les visées des néoconservateurs qui souhaitent remodeler le Moyen-Orient »

À ce jour, Benoît XVI n’a jamais mis en question cette doctrine du bien et du mal telle que présentée par Bush-fils. Il n’a jamais développé les divers visages que peut prendre le terrorisme et les aberrations auxquelles il peut conduire. Son idée du terrorisme est alignée sur celle de Washington qu’il renforce en maintenant la pression sur les pays arabes et musulmans. S’il a condamné, du bout des lèvres, l’invasion de la Libye, il ne s’est guère transformé en un militant pour l’empêcher. Lorsque l’Amérique latine et l’Afrique demandaient que le problème de la Libye se règle par la voie politique, le Vatican est demeuré bien silencieux. La voie des armes, lorsque portée par l’Occident, dit chrétien, ne semble pas le perturber outre mesure. Cela fait partie de ses divers systèmes de pensée. L’Église est même là pour accompagner et bénir le courage des soldats qui se battent en Afghanistan.

Le jour de la clôture des Journées mondiales de la jeunesse en Espagne, alors qu’il avait une tribune exceptionnelle pour dénoncer avec vigueur l’intervention militaire de l’OTAN en Libye, il n’en fit rien. Il était pourtant au fait que des crimes et des massacres humains se commettaient et que d’autres allaient se produire dans les heures à venir. Ce fut justement en ce même jour que l’OTAN et les rebelles firent cette mise en scène trompeuse de la prise de la Place verte à Tripoli. Ils n’en étaient pas à leur première tricherie et Benoît XVI le savait grâce au Patriarche épiscopal de Tripoli qui lui avait demandé à plusieurs reprises de dénoncer cette intervention criminelle de l’OTAN. Il faut croire que les croisés de l’Occident donnent à la violence une certaine odeur de sainteté puisqu’il n’en fut pas question tout au long des trois jours passés en Espagne pour ces célébrations des JMJ.

Contre la théologie de libération et les pays émergents

Benoît XVI a poursuivi sa chasse aux théologiens de la libération qu’il identifiait, dans son système de pensée, à des marxistes en soutane, vidant la foi de son contenu religieux et les églises de leurs fidèles. Une idéologie sans consistance, portée par du pur placotage. « À une observation plus attentive, tout ce raisonnement s’avère être un bavardage utopique sans contenu réel, à moins de postuler sans le dire que ce sont les doctrines partisanes qui devront déterminer le contenu de ces concepts que chacun sera obligé d’accepter. » (p.75)

Cet extrait est tiré de son livre sur Jésus de Nazareth. Dans ce livre, il parle de la théologie de libération à mots couverts et sans jamais s’y référer explicitement. Un trait, sans doute de sa personnalité qui lui permet d’esquiver des répliques tout en disant ce qu’il veut dire. Dès son premier voyage au Brésil il avait dénoncé cette théologie comme une idéologie sans fondement. « Hostile à la Théologie de la Libération, née en Amérique latine dans les années 1960, Benoît XVI a affirmé que le catholicisme “n’est pas une idéologie politique ni un mouvement social ni un système économique”, mais “la foi en un Dieu amour”. Il a néanmoins critiqué les “gouvernements autoritaires” et le retour de “certaines idéologies que l’on croyait dépassées et qui ne correspondent pas à la vision chrétienne de l’homme et de la société”. Tous les observateurs y ont décelé une attaque contre la gauche antilibérale et procubaine qui domine le Venezuela d’Hugo Chavez et la Bolivie du président amérindien Evo Morales, que le pape n’a toutefois pas cités. »

Nous savons que dans ces deux pays, Bolivie et Venezuela, l’église institutionnelle, par ses nonces apostoliques, ses évêques et cardinaux ont joué un rôle actif pour faire échouer ces gouvernements. De mèche avec les oligarchies locales, elles ont été actives auprès des populations et divers organismes sociaux pour discréditer ces gouvernements. Plus récemment, en 2009, nous avons vu le cardinal du Honduras s’impliquer directement dans le coup d’État militaire qui allait sortir par les armes le Président, légitimement élu, pour le remplacer par un des leurs. Rome n’a pas semblé particulièrement scandalisé par cet engagement politique. Pourtant voici ce qu’écrivait Benoît XVI dans son encyclique Veritas in Caritate, pensant cette fois aux prêtres et membres de l’église engagée avec les peuples. « 27-a a) L’ordre juste de la société et de l’État est le devoir essentiel du politique. » « 28-a La doctrine sociale de l’Église argumente à partir de la raison et du droit naturel, c’est-à-dire à partir de ce qui est conforme à la nature de tout être humain. Elle sait qu’il ne revient pas à l’Église de faire valoir elle-même politiquement cette doctrine : elle veut servir la formation des consciences dans le domaine politique et contribuer à faire grandir la perception des véritables exigences de la justice et, en même temps, la disponibilité d’agir en fonction d’elles, même si cela est en opposition avec des situations d’intérêt personnel. »

Selon ce texte, la justice n’est pas un impératif évangélique, mais une question de droit naturel. À ce titre, il ne revient pas à l’Église de s’engager dans l’action politique. Or, les exemples ne manquent pas de ces engagements de la part des plus hautes autorités religieuses. Ce qu’elles se permettent, elles le défendent à ceux et celles qui ne partagent pas leur vision des choses, entre autres, les théologiens de la libération. Le mot justice est un des mots qui revient le plus souvent dans l’Ancien et le Nouveau Testament. La justice fait partie de ces impératifs  évangéliques et à ce titre l’Église ne peut se contenter d’en être une simple observatrice. Le raisonnement de Benoît XVI pourrait sans doute s’appliquer aux préservatifs et au mariage des personnes de même sexe, mais certainement pas à la justice. Lorsque les théologiens analysent les systèmes politiques et économiques et en expliquent le fonctionnement, ils font œuvre de formations des consciences. Lorsqu’ils dénoncent les injustices que ces systèmes génèrent, ils font œuvre d’évangélisation.

Conclusion

Il y a dans la foi comme dans tout engagement de vie une radicalité qui vient chercher la totalité de l’être. Sur les questions de fond, il ne peut y avoir de demi-mesures. Les réponses de Jésus aux trois tentations auxquelles il a été soumis au désert nous en disent long à ce sujet. On ne peut servir à la fois, d’une part la justice, la vérité, la solidarité, la compassion, la paix, la liberté et d’autre part l’injustice, le mensonge, l’individualisme, l’intransigeance, la guerre, la domination. On ne peut servir « Dieu » et « Mammon » à la fois.

La papauté, le Vatican et ses représentants dans le monde sont prisonniers d’une idéologie qui en fait d’une part des alliés des forces oligarchiques qui dominent l’Occident et d’autre part, qui transforme les impératifs évangéliques de l’avènement du « règne de Dieu sur terre » en cultes religieux et sacramentels qui renvoient à un monde d’un au-delà insaisissable. Cette Église doit de nouveau se convertir à l’Humanité comme l’a fait le fils du Père en la rejoignant là où sont les plus faibles, les plus oubliés, les plus rejetés, les plus dominés. Elle doit retrouver la liberté de la parole prophétique qui permet de dénoncer l’hypocrisie, les injustices, la cupidité, les guerres de conquête et de domination, les mensonges qui les couvrent d’actions humanitaires, empoisonnant ainsi les consciences.

Québec, le 27 octobre 2012