La République démocratique du Congo a officiellement produit 1 996 tonnes de coltan en 2017. Une production attestée qui est en hausse de 129.7 % par rapport à l’année 2016, au cours de laquelle seulement quelque 869 tonnes ont été extraites de la terre, selon la chambre de Mines de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). Entretemps, un phénomène est observé et des experts appellent à la prudence. Ingénieur civil en métallurgie et mines, ancien du Centre d’évaluation, d’expertise et de certification des substances minérales précieuses et semi-précieuses (CEEC), Léonide Mupepele a révélé qu’« il existe d’importants stocks d’ilménite, détenus par des particuliers qui tentent parfois de les écouler sur le marché local au titre du coltan, particulièrement à Kinshasa ». D’après lui, beaucoup de braves gens se font avoir dans ce négoce de dupes où d’énormes sommes d’argent sont mises en jeu ».
L’appât du gain
En effet, le prix du coltan a fortement augmenté, passant de 100 000 à 193 000 dollars la tonne entre 2015 et 2017. Dans ce trafic douteux, des grains noirs, de teint mat, avec des éclats étincelants, c’est-à-dire le minerai d’ilménite ayant tout l’air du coltan, sont présentés comme effectivement cette dernière substance. L’ilménite (nom féminin donné par le minéralogiste Kupffer à partir du nom du topotype : les Monts Ilmen dans l’Oural) est le minerai d’oxyde de fer et de titane de formule brute FeTio, généralement extrait dans les exploitations d’or et de diamant dans les provinces de l’Ouest.
Le coltan, lui, se retrouve exclusivement dans la ceinture stannifère qui s’étend de la province du Nord-Kivu au Nord du Katanga, en passant par les provinces du Sud-Kivu, du Maniema, les districts de Manono et de Mitwaba. « Il est par conséquent vain de rechercher le coltan en dehors de ce couloir de l’Est du pays, long d’environ 700 km et large de 250 km (avec un maximum de 400 km atteint au Sud-Kivu et au Maniema) », fait savoir Léonide Mupepele.
Qui souligne qu’en RDC, le coltan est presque toujours associé à la cassitérite, et plus rarement à l’or et à l’ilménite, notamment dans un environnement où des gisements de cassitérite sont toujours à proximité.
Réserves surestimées
Auteur de « L’industrie Minérale Congolaise : Chiffres et Défis », paru en novembre 2012, l’ingénieur Léonide Mupepele compte parmi les experts en mines qui remettent en cause nombre de données préétablies sur le coltan. « Quels sont les défis qui, croyons-nous, se posent aujourd’hui à l’industrie congolaise du coltan, dans un contexte économique extrêmement favorable pour cette substance stratégique, qui a vu son prix prendre l’ascenseur en ces derniers mois au point qu’elle a cessé d’être cotée depuis un certain temps sur les places boursières mondiales ? », pose Léonide Mupepele. Le premier défi est celui lié aux réserves du coltan. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à attribuer à la RDC les plus grosses réserves mondiales de ce minerai. Certains avancent même des chiffres : 60 à 80 % des réserves mondiales du coltan. « Cette affirmation n’est peut-être pas fausse, mais elle est gratuite, parce qu’elle ne repose sur aucune donnée chiffrée crédible des réserves congolaises », soutient Mupepele.
Sominki et Zaïrétain
Dans son bulletin annuel de 2013, « Mineral Commodities Summaries », l’US Geological Survey qui est l’organe mondial de référence en matière de ressources minérales, évalue les réserves mondiales de tantale, à fin 2012, à 150 000 tonnes. Et c’est le Brésil, 88 000 tonnes, et l’Australie, 53 000 tonnes, qui détiennent l’essentiel de cette réserve mondiale. Tandis que les réserves de la RDC sont indiquées comme non connues. « Et c’est à ce niveau qu’il faut s’interroger, poursuit-il.
Comment peut-on affirmer allègrement que la RDC détient 60 à 80 % des réserves mondiales du coltan lorsqu’on se retrouve en véritable ‘terra incognita’ en ce qui concerne les statistiques sur lesdites réserves ? Voilà comment, nous, Congolais, dans ce domaine sensible des ressources minérales, nous nous contentons, le plus souvent, d’affirmations gratuites du genre : ‘le sous-sol congolais est un scandale géologique’ ou ‘le sous-sol de la RDC pèserait 24 mille milliards de dollars’, sans pour autant déployer le moindre effort pour vérifier par nous-mêmes ces allégations lénifiantes. »
Dans son ouvrage précité, Mupepele a fourni un effort de recouper les données anciennes des sociétés minières ayant exploité les mines stannifères du pays, à savoir SOMINKI et Zaïrétain. « Nous sommes arrivés à un solde de 9 461 tonnes qu’on peut raisonnablement opposer comme réserves congolaises de coltan à ce jour. Et l’on s’aperçoit qu’à un tel niveau, la RDC ne peut aucunement se prévaloir, à ce jour, du titre de premier réservoir de coltan au monde », conclut l’ingénieur en mines.
Le deuxième défi de l’industrie congolaise du coltan se situe au niveau de la maximisation des recettes d’exportation. « Le vrai problème se trouve plutôt au niveau de l’impasse faite systématiquement sur la colombite contenue dans le coltan, alors que, dans cette substance, c’est généralement la particule colombite qui dépasse en teneur », note Mupepele. Et de poursuivre : « Cette colombite, non valorisée au niveau de nos exportations, est pourtant revendue sous forme de scraps par nos acheteurs de coltan après qu’ils en aient extrait le tantale. Lorsque l’on pose la question de la valorisation de la colombite aux exportateurs de coltan congolais, en l’occurrence les comptoirs, ils répondent invariablement que, pour leurs acheteurs, le coltan ne les intéresse que pour sa particule tantalite. »
Mais que font-ils alors de la colombite, après extraction du tantale ? « À moins d’admettre que ce sont les comptoirs qui, en complicité avec leurs clients, occultent les recettes de notre colombite, les protagonistes (l’État d’un côté, et les comptoirs de coltan, de l’autre) gagneraient à étudier cette question en profondeur de manière à rétablir les uns et les autres dans leurs droits. »
Marque déposée
Par ailleurs, Mupepele révèle que le mot coltan, aujourd’hui d’usage courant dans presque toutes les langues du monde, est, en effet, d’origine congolaise. Il s’agit de la contraction de colombo-tantalite, jugé trop long, utilisé par les ingénieurs de la défunte SOMINKI. Une société qui a exploité les mines de cassitérite et d’or dans l’ex-Kivu jusqu’en 1996. Le coltan est donc un minéral mixte de colombite et de tantalite, associées dans la formule chimique (Fe,Mn)O.(Ta,Nb)2O5. De la tantalite, on extrait le tantale, une appellation qui n’est pas sans rappeler le héros de la mythologie grecque, condamné au triple supplice. Tantale, évoquant ainsi la difficulté qu’éprouvèrent les scientifiques à l’isoler de la particule sœur, la colombite.
Cette dernière, quant à elle, génère le colombium, connu aujourd’hui sous le nom de niobium. L’appellation colombium, du nom d’un des États des USA, Columbia, devenu aujourd’hui le Connecticut, où il a été isolé pour la première fois, est tombée, à ce jour, en désuétude. Le tantale est très résistant à la corrosion, hautement réfractaire et bon conducteur de chaleur. Pour cette raison, il est notamment exploité pour l’élaboration des aciers spéciaux ainsi que des superalliages qui sont utilisés dans les milieux chimiques ou thermiques très exigeants : aubes des turbines des réacteurs d’avion et des turbines à gaz, réacteurs chimiques et nucléaires, transport des fluides corrosifs, échangeurs de chaleur, construction automobile ainsi que des fusées et des satellites.
L’autre particularité du tantale est qu’il est abondamment utilisé de nos jours dans l’électronique, sous forme de métal ou d’oxyde pur, notamment dans la fabrication des condensateurs très performants et miniaturisés qui entrent dans la fabrication des téléphones cellulaires, des ordinateurs portables et de nombreux consoles électroniques, etc. Ce qui explique le boom de son prix depuis une quinzaine d’années sur le marché boursier.