Marie Pezé, psychanalyste, psychologue, auteur du Burn-out pour les nuls (First) : L’hyperprésentéisme est visible depuis cinq-six ans dans les statistiques de la CNAM ou de la DARES. Il concerne de 17 à 24 % de la population active selon les études et les années. « La plupart des gens ont peur de perdre leur travail s’ils posent des arrêts maladie, a fortiori en période de crise, quand on bosse à flux tendu et en sous-effectif. Ils craignent de ne pas être remplacés et de se retrouver submergés à leur retour. Et savent qu’ils s’exposent aux remarques acerbes de leurs collègues, du genre ‘Ca va, c’était bien tes vacances ?’. Ces arrêts ne sont donc pris le plus souvent qu’en cas de force majeure, y compris dans le public. La réticence à s’absenter s’observe dans toutes les catégories. Chez le salarié, qui peut voir sa paie réduite. Chez les artisans et les commerçants, qui vont travailler avec un plâtre, dès le lendemain d’une opération… Et chez le cadre supérieur, la posture héroïque étant de mise, il y a la peur d’écorner l’image du chef. Les conséquences sont terribles : travailler ‘malgré tout’ fait le lit de l’épuisement professionnel, des infarctus, de la consommation de tabac… C’est une dérive du culte du présentéisme bien français, entretenu par les directions : toute la logique managériale conduit à des journées à rallonge, où le présentéisme reste la règle. »
Le regard du sociologue
Denis Monneuse, directeur du cabinet Poil à gratter, auteur du livre Le Surprésentéisme (De Boeck) : « Déjà, au XIXè siècle, les mineurs qui avaient un rhume ne s’arrêtaient pas… Aujourd’hui, après l’ampleur de l’épidémie de grippe H1N1, les entreprises ont pris conscience que ce n’était pas dans leur intérêt de faire venir leurs salariés malades. Mais il y a une corrélation forte avec la situation économique du pays. Quand le taux de chômage augmente, le surprésentéisme grimpe. Les gens hésitent à s’absenter par peur de perdre leur emploi, a fortiori s’il est précaire (intérim, CDD…), ou de voir leur rémunération baisser (commerciaux…). Mais les managers sont aussi touchés. L’arrêt maladie serait assimilé à un signe de faiblesse. S’y ajoute la culpabilité, surtout au sein des petites équipes, où une absence accroît la charge de travail des collègues.
Dans tous les cas, les études montrent que travailler en étant malade expose à des aggravations, donc à un arrêt de travail plus long. C’est contre-productif. Et comme la qualité du travail s’en ressent (on est moins performant), chefs et collègues peuvent s’en plaindre. On fait un effort, et c’est la double peine. Pourtant, les DRH (directeurs des ressources humaines) n’osent pas tenir un discours compatissant et préventif, ‘Restez chez vous et soignez-vous’, car elles redoutent l’absentéisme. Le stéréotype du Français tire-au-flanc est tenace. »
Le regard de l’ado
Oscar, 14 ans, élève de troisième en région parisienne : « Au collège, comme on vit en collectivité, c’est dur de traverser un hiver sans tomber malade. On est exposés à tous les virus. Les copains toussent sans mettre la main devant la bouche, et on reçoit tous leurs microbes. Comme chaque année, juste avant Noël, j’ai chopé à la fois une gastro et une rhinopharyngite. J’aurais pu rester une semaine au lit, à me remettre. Mais je n’ai été absent qu’un jour. D’abord, ma mère n’aime pas, quand elle va au travail, me savoir tout seul à la maison une journée entière. Elle a peur que je glande, que j’en profite pour jouer à la Wii non-stop. Mais surtout, décembre, c’est une période compliquée. Il y a les conseils de classe, plein d’interros. Il faut se montrer au top, décrocher des bonnes notes. Et puis rater une journée, ça veut dire bosser deux fois plus ensuite pour rattraper. Et c’est difficile de récupérer les cours, surtout qu’après c’est les vacances. Alors, je me soigne, mais je vais en cours. Parfois, mes profs m’engueulent et m’envoient une heure à l’infirmerie. La chance que j’ai, c’est qu’à mon âge ça passe vite. Au bout de deux ou trois jours, je vais déjà mieux. C’est alors mon voisin qui tombe malade, et ainsi de suite. On fait tourner les virus ! Chacun en profite à tour de rôle! »