Des funérailles grandioses pour Winnie, la Mère de la Nation

Dix jours de deuil national. Ainsi a décidé l’ANC. Qui a annoncé un vaste programme d’hommage en l’honneur de la figure emblématique de la lutte contre l’apartheid jusqu’à ses funérailles nationales, le 14 avril. Des funérailles qui auront lieu à Johannesburg.

 Selon RFI, c’est pour éviter les polémiques que la famille de Winnie Madikize-Mandela a choisi Johannesburg pour enterrer l’icône sud-africaine. Car son souhait initial était d’être inhumée à Qunu, dans le Cap oriental, où se trouve la célèbre maison dans laquelle Nelson Mandela a fini ses jours. Cette demeure est au centre d’un intense combat entre la très grande famille Mandela. Winnie souhaitait la récupérer, elle qui l’avait achetée en 1989. Mais Nelson Mandela avait nommé comme héritière Graca Machel, sa dernière femme. Graca Machel qui dans une longue lettre a rendu hommage à Winnie Mandela : une grande combattante et même sa « grande sœur ».

Reste qu’après la mort de Nelson et de Winnie Mandela maintenant, la lutte pour l’héritage familial est encore active. Le combat de Winnie Mandela pour regagner cette maison ne s’arrête pas avec son décès. En effet, son avocat a annoncé qu’elle avait fait appel d’une décision de justice il y a deux mois. Appel dont elle attendait encore la réponse.

Des hommages à la pelle

En Afrique du Sud, les hommages se poursuivent pour saluer la mémoire de Winnie Mandela, « Mama Winnie », comme l’a surnommaient affectueusement les Sud-Africains. L’ex-épouse du héros de la lutte contre l’apartheid est décédée lundi 2 avril à 81 ans. Dans le quartier de Soweto, devant la maison où vivait Winnie Mandela, l’émotion reste très forte et les hommages se succèdent. Des hommages très politiques, au lendemain de sa mort. On ne compte plus les personnalités qui se sont présentées mardi matin devant le portail de sa maison à Soweto, pour faire part de leurs condoléances à la famille.

On a vu l’ancien président Thabo Mbeki, plusieurs ministres, des responsables de la Ligue des femmes de l’ANC que Winnie Mandela avait dirigée à l’époque, mais aussi, et surtout, le parti de gauche radical, l’EFF.

Pendant les années les plus dures de l’apartheid, Winnie Madikizela Mandela appelle à la violence, s’entoure de jeunes accusés de semer la terreur à Soweto.

Des positions qui lui seront plus tard reprochées. Pour Sello Hatang, directeur de la fondation Nelson Mandela, il ne faut pas oublier la violence de l’époque. Pour les Noirs sud-africains, ce ne sont sûrement pas ses scandales qui passeront à la postérité, mais bien ses sacrifices. Les Sud-Africains, eux, sont restés discrets. Ils attendent peut-être ses funérailles nationales le 14 avril.

Portrait de Winnie

L’ex-épouse de Nelson Mandela a traversé des épreuves dont elle est sortie la tête haute, mais pas intacte. Sa vie commune avec « Madiba » fut de très courte durée et son combat jalonné de peines, y compris physiques. Elle subit notamment une crise cardiaque à 34 ans, après 17 mois de tortures en prison. Harcèlement continuel par la police, interdictions diverses et variées, assignation à résidence, visites souvent refusées et toujours balisées au bagne de Robben Island : sa trajectoire de résistance a forgé sa personnalité, pour le meilleur et pour le pire.

L’histoire personnelle de Winnie Madikizela-Mandela est inextricablement liée à l’Histoire de son pays, comme pour nombre de Sud-Africains de sa génération. Ces cohortes de « unsung heroes », ces « héros inconnus », comme on les appelle en Afrique du Sud, ont tout sacrifié dans la lutte contre l’apartheid, comme Winnie Mandela mais de manière anonyme. En phase avec « son peuple », la jeune femme timide des années 1950 est devenue, au fil des ans, un monument de la résistance. Avec ses forces, du caractère et beaucoup de détermination, et ses faiblesses : accordée trop facilement, sa confiance lui a valu bien des déboires. Vilipendée par la minorité blanche pour ses dérapages, à la fois crainte, respectée et critiquée au sein du Congrès national africain (ANC), elle est adulée de manière inconditionnelle par une majorité de Sud-Africains qui se reconnaissent en elle.

La politique était déjà à l’arrière-plan, lors de sa rencontre avec Nelson Mandela. Lors de leur premier rendez-vous, en 1957 à Johannesburg, Winnie est une étoile montante, repérée par le magazine Drum en tant que première assistante sociale noire du pays, embauchée par l’hôpital de Baragwanath à Soweto, mais aussi pour sa beauté, dont elle n’est pas consciente.

Garçon manqué dans son enfance rurale en terre xhosa, la jeune femme se sent mal à l’aise ce jour-là dans une robe trop serrée pour elle, empruntée à une amie, et des chaussures à talons dont elle n’a guère l’habitude. Nelson l’emmène au Kapitaan, un restaurant indien du centre-ville de Johannesburg où il a ses habitudes. Elle manque de s’étouffer avec son curry, le plat épicé que lui recommande son flirt.

Intimidée, elle se sent comme une « petite fille », dira-t-elle plus tard à maintes reprises à ses différentes biographes, pour décrire sa relation avec « Madiba ». À 21 ans, face à cet avocat mobilisé pour les droits des Noirs, elle écoute bien plus qu’elle ne parle. Courtisée par d’autres, ce que sait très bien Mandela, elle se voit proposer la vie commune dès le départ. Cet homme de 39 ans, charismatique et sûr de lui, a déjà trois enfants d’un premier mariage, et la rumeur lui prête de nombreuses conquêtes. Surprise et fascinée, elle ne peut pas dire non. Même si son père, Kokani Columbus Madikizela, un notable de la province du Transkei, la met en garde : elle subira la première, et de plein fouet, toutes les conséquences de son union avec un homme politique qui se trouve déjà dans le collimateur du pouvoir.

Initiation

« Je lui faisais la cour et je la politisais en même temps », écrit Nelson Mandela dans ses mémoires. Ses premiers mois de mariage prennent la forme d’une véritable initiation. Les fouilles nocturnes à domicile, affectionnées par la police, la font bouillir. Elle finance le ménage et la famille qui vit sous son toit :  elle-même, Fanny et Leabie, la mère et la sœur de Nelson, et par intermittence les trois enfants de son mari. Elle les traite comme ses propres enfants, lesquels ne tardent d’ailleurs pas à naître. Son caractère rebelle commence à s’affirmer. Malgré l’avis contraire de Nelson, elle fait partie des 600 femmes noires qui protestent contre les « pass », les laissez-passer qui leur sont imposés. Elles seront arrêtées puis bouclées deux semaines en prison en 1958.

Au Fort de Johannesburg, elle évite la fausse couche de justesse, grâce aux soins d’Albertina Sisulu, l’épouse du meilleur ami de Mandela. Elle apprend à conduire, alors que très peu de femmes noires le font et qu’un nombre très limité de Noirs disposent d’une voiture. Nelson veille à ce qu’elle en ait une. Elle résumera plus tard en ces termes son état d’esprit : « Pendant la courte période que j’ai passée avec lui, je n’ai pas tardé à comprendre avec quelle rapidité j’allais perdre mon identité à cause de sa forte personnalité.

Vous vous fondiez tout simplement en un appendice de Mandela, sans nom et sans individualité propres : vous étiez la femme de Mandela, l’enfant de Mandela, la nièce de Mandela… Se développer à l’ombre de sa gloire était le plus simple des cocons pour se protéger du public menaçant ou pour renforcer votre ego éteint. Je m’étais promis que ce ne serait pas mon cas ».