Comment permettre aux pays producteurs africains de coton de gagner la part équitable qui leur revient dans les échanges mondiaux de coton ? La réflexion a cours présentement sur le continent. L’amélioration de la production et la diversification permettront le renforcement des capacités productives, estiment les spécialistes. Depuis plusieurs années, le coton africain, quoique considéré comme « l’or blanc », souffre sur le marché international, à cause notamment des soutiens internes aux producteurs et des subventions à l’exportation dans certains pays comme les États-Unis. Ces dérogations aux règles du commerce mondial distordent le marché du coton.
Toutefois, soulignent les mêmes spécialistes, le coton peut jouer un rôle important dans les diversifications agricoles et le développement, même si l’offre toujours croissante de coton peut à tout moment occasionner une chute des prix sur le marché. Sur les places commerciales les plus importantes pour le négoce du coton, que sont la New York Board of Trade (New York Cotton Exchange), la Central Japan Commodity Exchange, l’Osaka Mercantile Exchange et la Bolsa der Mercadorias & Futuros, on affiche un certain optimisme quant à l’avenir.
Le coton est, comme toutes les autres matières premières, échangé sous la forme de contrats à terme ou futures, et d’options. Il est principalement coté sur le marché du NYBOT (New-York Board of Trade) aux États-Unis. Cependant, la manière dont sont fixés les prix du coton ne dépend pas uniquement de l’offre et de la demande, puisque le marché américain inclut les soutiens du gouvernement sur ce secteur de production. C’est pour cette raison d’ailleurs que les prix payés aux producteurs de coton américains sont souvent plus élevés que ceux payés aux autres producteurs internationaux. Autre particularité du coton : c’est l’une des rares matières premières agricoles qui exigent pour le trading de réunir plusieurs indicateurs pertinents. Cela va de la demande de l’industrie textile à travers le monde à la qualité des récoltes en passant par l’apparition et la popularité de nouvelles matières textiles, les conditions climatiques qui touchent les pays producteurs…
État des lieux en RDC
La reprise de la production cotonnière en République démocratique du Congo requiert avant tout un état des lieux sans complaisance de la situation. Les spécialistes sont à peu près d’accord que les principales causes de la faillite de la filière coton sont la concurrence déloyale des tissus imprimés étrangers et des friperies importées et l’absence de protectionnisme des industries textiles nationales qui assuraient exclusivement le financement des sociétés cotonnières dans un contexte où l’exportation du coton n’était plus envisagée. À cela s’ajoutent les turbulences politiques, les rébellions récurrentes et les réformes institutionnelles depuis 1960.
La demande intérieure reste toujours ferme en dépit des importations. Il y a donc des atouts pour la reprise, estime l’agro-économiste Tshomba Elongo ; à condition, dit-il, de « réduire les importations des tissus étrangers à travers une taxe d’équilibre susceptible de ramener le prix de revient des importés au niveau de celui de la production nationale ; de mettre en route un contrat programme visant à assouplir les taxes et les redevances dues à l’État ; d’impliquer les autorités politico-administratives dans l’encadrement des paysans aux côtés des sociétés cotonnières ; d’exonérer les intrants agricoles (pesticides et fertilisants), le matériel agricole et les pièces détachées pour les usines importées dans le cadre de la relance de la filière coton ».
Avant 1960, la culture du coton était considéré comme le « socle de l’économie monétaire paysanne » et, de ce fait, du développement des milieux ruraux. De 1920 à 1959, rappelle Tshomba Elongo, la culture cotonnière avait connu un développement rapide et substantiel. La production nationale était passée de 1000 t à 180 000 t. Cette expansion a entraîné l’installation d’une industrie textile locale. Ainsi, la première usine de filature, Usine textile du Congo (UTEXCO), fut créée à Léopoldville (Kinshasa) en 1925 (la première en Afrique centrale) et devint plus tard UTEXAFRICA. En 1946, l’Union cotonnière (UCO) avec des apports privés américains fonde l’importante usine de filature de la société Filatures et tissages africains (FILTISAF) à Kalemie dans le Tanganyika, au Katanga. Peu après, deux autres filatures, SOLBENA et Amato (devenue SINTEXKIN) furent montées à Elisabethville (Lubumbashi). Et plus tard, en 1973, la SOTEXKI fut créée.
Grâce à la production du coton, le raffinage de l’huile de coton devint une activité économique importante. Trois huileries furent installées entre 1936 et 1938 : HUILCO (Elisabethville), Huilerie de Tinda et Huilerie de Katanda (Kasaï-Oriental). L’industrie de raffinage de l’huile de coton a pris un essor considérable à partir de 1945 grâce à la demande sans cesse en hausse en huile et tourteaux après la 2è Guerre mondiale, explique Tshomba Elongo. Le nombre des huileries est passé ainsi de 3 à 10, traitant la totalité des graines disponibles, soit environ 90 000 t par an. À côté de ces huileries, il y avait des savonneries qui s’approvisionnaient en huiles impropres à la consommation.
Dans la foulée, une centaine d’usines d’égrenage ont vu le jour pour la séparation de la fibre des graines. Les usines d’égrenage employaient environ 12 000 travailleurs et faisaient vivre plus de 15 000 travailleurs des sociétés de transport de coton et entreprises connexes. Les usines textiles, quant à elles, employaient 18 000 agents et faisaient vivre 10 000 autres personnes dans les industries connexes (distribution, confection, ventes et services). Sur le plan social, l’essor de la production du coton a permis de sédentariser les populations rurales en leur procurant à la fois un revenu décent et garanti ; ainsi que de construire des écoles, dispensaires, logements pour missionnaires… Considérée à l’époque comme une « culture miracle », le coton était cultivé partout, sauf dans le Kongo-Central, le Bandundu et Léopoldville.
À partir de 1960, la production cotonnière a commencé à décliner. Cela a eu une incidence sur le plan socio-économique. Par exemple, plus de 800 000 ménages agricoles (en moyenne 7 personnes) ont perdu leur principale culture de rente sans une culture de substitution. Le coton étant une culture de rotation, les terres sur lesquelles il était cultivé, ont été converties en surfaces de production de l’arachide, du maïs et du manioc. Par conséquent, il y a eu un manque à gagner énorme sur l’économie monétaire des paysans cultivateurs de coton. Quant aux exportations du coton-fibre, elles représentaient, en 1959, 14 % des exportations agricoles et 5,5 % des exportations totales du Congo-Belge, sans compter les exportations des sous-produits du coton (linter, huile et tourteaux), ce qui procurait des devises au pays. L’industrie textile produisait 25 % de la valeur ajoutée congolaise.