Le PNUE est opposé à l’accord entre les deux Congo et l’Indonésie

La RDC, la République du Congo et l’Indonésie ont signé, fin mars, à Brazzaville, une déclaration qui porte sur la meilleure façon de gérer les tourbières du bassin du Congo, les plus grandes du monde. Mais cette entente n’est pas du goût de l’ONU-Environnement. 

 

Pour le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) ou ONU-Environnement, la Déclaration de Brazzaville porte des « germes d’une gestion hasardeuse » des tourbières par une exploitation non durable qui pourrait autrement conduire à la libération de l’équivalent de trois ans d’émissions mondiales de gaz à effet de serre. L’ONU-Environnement parle de risque qui pourrait s’étendre sur une région aussi grande que l’Angleterre. Les tourbières sont, en effet, composées des couches des matières organiques décomposées accumulées pendant des milliers d’années. Ils abritent des plantes et une faune unique. Le drainage de l’écosystème fragile des zones humides peut mener à la dévastation en raison de la vulnérabilité accrue aux incendies et autres menaces. La Déclaration de Brazzaville reconnaît l’importance d’une bonne utilisation des terres et d’une planification des infrastructures qui tiennent compte de la nature des tourbières, reprend-on dans une récente déclaration du PNUE.

Une affaire des gros sous

Cependant, « les tourbières ont poussé pendant 10 000 ans et elles peuvent être détruites en quelques jours si l’utilisation des terres n’est pas sensible à la nature des tourbières », a déclaré Tim Christophersen, chef de la direction des eaux douces, des terres et du climat au PNUE. Un nouvel accord international visant à protéger un vaste ensemble des tourbières écologiquement sensibles dans le bassin du Congo a donc été élaboré et opposé, début avril, par Erik Solheim, chef du PNUE, en marge de la troisième réunion des partenaires de l’Initiative mondiale des tourbières, aux signataires de la Déclaration de Brazzaville. 

Le 1ER Ministre de la République du Congo, Clément Mouamba, l’a déjà signé, rendant de ce fait caduque la Déclaration de Brazzaville. Laquelle établissait, en effet, une base pour la coopération dans l’exploitation agricole, pétrolière et gazière et les projets d’exploitation forestière dans la Cuvette centrale, plus vaste étendue des tourbières au monde. La République démocratique du Congo et la République du Congo y ont établi un accord de collaboration transfrontalière. Les tourbières sont en effet une affaire des gros sous. Les deux États ont également convenu de mettre terme à l’utilisation non réglementée des terres et empêcher leur drainage et leur dégradation. 

La grande menace qui pèse sur les tourbières, selon les experts, est l’industrie du bois. Sur un total de 57 concessions forestières en RDC, au moins 29, couvrant environ 5 millions d’ha, sont illégales. Ces concessions illégales chevauchent approximativement 650 000 ha de forêts marécageuses de tourbe qui renferment du bois dur. La tourbe est, en effet, un sol organique humide faite partiellement de matières végétales décomposées. Les tourbières en bon état agissent comme des puits de carbone. Quand les arbres croissent, elles rejettent du carbone dans l’atmosphère, mais lorsqu’elles meurent, elles se décomposent normalement en renfermant le carbone en dehors de l’atmosphère. La décomposition est seulement partielle après un an dans une forêt tropicale marécageuse, conduisant en une accumulation de carbone en forme de tourbe. Voilà sans doute pourquoi Greenpeace Afrique appelle le gouvernement congolais à prendre des mesures nécessaires pour s’assurer que la totalité de la forêt de notre région est protégée, souligne le coordonnateur de Greenpeace Afrique en RDC, Raoul Monsembula. « C’est vital que le gouvernement respecte et maintienne le moratoire et mette en place des mesures permanentes pour sauvegarder nos forêts et ces tourbières récemment cartographiées », poursuit-il. Autres ressources en quantité incommensurable, selon le professeur Corneille Ewango de l’Université de Kisangani : les tourbières abritent une grande diversité de poissons et de microorganismes, aussi bien qu’un grand nombre de plantes. « La biodiversité des tourbières demeure largement connue, une raison pour les scientifiques de continuer des recherches pour bien comprendre le lien entre les tourbières et la richesse en biodiversité », fait-il remarquer.  

L’expédition de Lokolama 

La première carte des tourbières du bassin du Congo a été publiée en janvier 2017 dans le journal Nature, à partir des données recueillies en RDC. La recherche des tourbes en RDC a commencé en octobre, avec l’expédition de Lokolama. Cette dernière a confirmé la présence des tourbes et de celle ayant une profondeur de 3,5m. Les chercheurs en forêt tropicale venue de l’Angleterre et de la RDC, dont le professeur Simon Lewis et le docteur Greta Dargie, tous deux de l’Université de Leeds au Royaume-Uni, ont confirmé la présence des tourbières en RDC après une expédition que leur équipe a effectuée, du 27 au 29 octobre 2017 à Lokolama, village situé  à 55 km de Mbandaka, chef-lieu de la province de l’Équateur. 

Ils ont estimé que les tourbières présentes au centre du bassin du Congo s’étendent sur 145 500 km2, et stockent quelque 30 milliards de tonnes de carbone. Cette étendue de carbone est l’équivalent de 3 ans d’émissions des combustibles fossiles dans le monde. Ce qui fait des tourbières du centre du bassin du Congo le complexe des tourbières tropicales le plus étendu dans le monde. « Nous étions soulagés d’arriver à Lokolama, d’explorer la forêt marécageuse avec notre partenaire, Dr Corneille Ewango de l’Université de Kisangani, accompagnés des communautés locales pour découvrir que notre cartographie de cette partie de la RDC était correcte. La surprise était surtout que la tourbe de 3,5 m de profondeur se situe proche de la lisière de la tourbière de Lokolama », a déclaré Dr Greta Dargie. Et d’ajouter : « Ces premiers résultats montrent à quel point il est important d’investir dans la science en RDC pour permettre l’exploration de plusieurs autres sites, afin de découvrir une plus grande profondeur en tourbe et un plus grand stock de carbone. Cette initiative permettra une meilleure cartographie des tourbières dans le futur ». 

Quant à Simon Lewis, « c’est la première étape pour mieux comprendre cette vaste superficie des tourbières. Elles représentent certains écosystèmes les plus riches en carbone. Ainsi, si elles sont laissées intactes, elles représenteront une ressource de grande valeur dans la lutte contre le changement climatique ». Mais, insiste ce scientifique, « si elles sont asséchées ou brulées à grande échelle, cela va relâcher des millions de tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ».

Communautés locales

Greenpeace Afrique travaille avec les communautés en RDC pour développer des alternatives à l’exploitation du bois destructive et plaider pour que les forêts du bassin du Congo soient protégées en maintenant le moratoire sur les allocations aux nouvelles concessions forestières en place et adopté il y a 15 ans. La récente découverte des tourbières, lit-on dans un communiqué de Greenpeace, augmente l’urgence de mettre en place des modèles de développement qui vont radicalement améliorer les moyens de subsistance et le bien-être des populations locales sans compromettre l’intégrité de l’écosystème. « En tant que peuples autochtones, les tourbières font partie de notre héritage culturel et leur découverte représente un immense espoir pour les générations futures. Nous espérons que notre gouvernement va nous accompagner dans notre rôle de gardiens de ces anciennes forêts et, nous fournir l’aide dont nous avons besoin pour protéger les tourbières au bénéfice de nos enfants et du monde », a déclaré Valentin Egobo, porte-parole de la communauté de Lokolama.