Électricité : le boa éventré

Aux « Assises sur le secteur de l’électricité de la République démocratique du Congo », tout le monde a eu des mots justes pour décrire la situation de déficit criant. Des réactions, on espère bien que cela ne l’a pas été uniquement pour l’affichage politique, à quelques mois des élections annoncées.

 

Les « Assises sur le secteur de l’électricité de la République démocratique du Congo » organisées, du 21 au 25 mai, à Pullman Hôtel de Kinshasa, ont été suivies avec un grand intérêt par les entreprises et les ménages, tant la fourniture d’électricité dans notre pays est un casse-tête. Ils attendaient des participants du concret. Rien que du concret pour sortir de la bulle. Mieux, ils attendaient d’eux « une analyse sans complaisance de la situation », car il est démontré aujourd’hui que le déficit de l’électricité plombe l’activité économique, particulièrement l’entrepreneuriat.

Le tempo de la réflexion a été imprimé par le chef du gouvernement, lui-même. Bruno Tshibala Nzenzhe qui a tenu à présider personnellement la cérémonie d’ouverture, lundi 21 mai, n’y est pas allé par le dos de la cuiller. Pour lui, la justification de ces assises a son fondement dans la définition des grandes orientations du secteur de l’électricité du pays et ses perspectives de développement. Appréciez plutôt sa déclaration : « Le gouvernement attend de vous (participants, ndlr) un contenu concret à la promotion du partenariat public-privé dans le secteur de l’électricité en proposant des mesures incitatives susceptibles d’attirer les investisseurs privés dans ce secteur stratégique sur l’ensemble du territoire national… ».

Concrètement, le gouvernement attendait des experts « la définition d’un mécanisme simple pouvant permettre l’allocation des fonds publics à la couverture des risques liés aux projets initiés par le secteur privé, la réduction des apports en fonds propres dans le partenariat public-privé pour réduire le coût de revient… ». Le 1ER Ministre a souhaité que la feuille de route tracée par le forum puisse permettre aux secteurs public et privé d’accéder aux « financements climatiques » qu’offrent le Fonds pour l’environnement mondial et le Fonds vert. Se voulant pragmatique, Bruno Tshibala a exigé, par ailleurs, sans vraiment exiger, des participants des « propositions concrètes et réalistes » pour finaliser le processus de transformation et de restructuration de la Société nationale de l’électricité (SNEL).

Là, il a vraiment touché du bois, car c’est sur ce point que les entreprises et les ménages, d’une part, et la SNEL, l’opérateur public chargé de la production et de la distribution de l’énergie électrique, d’autre part, s’empoignent. D’où le vœu du gouvernement de voir ces assises de Pullman Hôtel « définir, d’une manière générale, la politique sectorielle dans la perspective du Plan national stratégique de développement. Il a été surtout question d’apporter des solutions concrètes au déficit énergétique, a expliqué le ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, Jean-Marie Ingele Ifoto. D’après lui, la question centrale est de se demander pourquoi, malgré les lois et les fora sur l’électricité, rien n’a véritablement changé. Voilà pourquoi, l’appel a été lancé à tout le monde pour réfléchir ensemble aux moyens de fournir le mieux possible l’électricité meilleure aux ménages et entreprises.

Le forum et ses thématiques

En clair, les participants ont eu pour tâche de dégager les « grandes orientations stratégiques » en tenant compte des réalités dans le pays et des expériences des autres, ainsi que de « jeter les bases d’une politique volontariste » qui tiennent compte de la décentralisation à travers un plan directeur cohérent. En d’autres termes, il a été surtout question de « proposer des solutions concrètes » sur la manière d’accélérer et intensifier l’accès à une électricité « fiable » et à un « coût abordable », et réduire progressivement le déficit énergétique qui plombe le décollage économique de la RDC dans la perspective de 2019-2030. Mais aussi de mener les réformes nécessaires pour améliorer la gouvernance, la compétitivité et la capacité financière du secteur ; impliquer le secteur privé, réformer la SNEL ; adopter des feuilles de route pour les actions prioritaires du gouvernement ; et préparer le cadre pour la tenue d’un forum énergétique élargi aux potentiels investisseurs dans les secteurs de l’électricité et de l’eau.

Les Assises du secteur de l’électricité de la République démocratique du Congo ont été organisées par le ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques en partenariat avec la Banque mondiale. Les deux premières journées (21-22 mai) ont été consacrées à la politique nationale en faveur du développement du secteur de l’électricité, tandis que lors des deux journées suivantes (23-24 mai), les participants se sont penchés sur les leviers de redressement de la SNEL. Et lors de la dernière journée (25 mai), avant la cérémonie de clôture par le 1ER Ministre, les participants ont abordé la problématique du financement du secteur, et en épingle, il s’est tenu une réunion de discussion inter-bailleurs. 

Ces assises ont réuni les principaux acteurs du secteur : le gouvernement, les provinces, les entreprises opérant dans le secteur, les minings, les pétroliers, les opérateurs de télécoms, la société civile (associations des consommateurs, ONG), les bailleurs de fonds internationaux, les institutions de formation. Dans un point de presse en marge du forum, le ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques a justifié l’organisation de ces assises par le contexte énergétique du moment dans le pays. En effet, le secteur de l’électricité en RDC est à un tournant. « Doté de ressources primaires abondantes, le pays connaît toutefois un déficit d’accès à l’électricité important », a dit Ingele Ifoto. Et d’ajouter : « Afin de dynamiser le développement du secteur électrique, le gouvernement a encouragé, d’une part, sa libéralisation au travers de la loi 14/011 du 17 juin 2014 relative au secteur de l’électricité, et, d’autre part, la revitalisation de l’opérateur électrique historique, SNEL. »

À ses yeux, « la construction d’une vision partagée par l’ensemble des acteurs est par conséquent une étape essentielle pour accélérer l’électrification du pays ». La RDC vit une crise énergétique du fait du « contraste entre l’énormité des potentialités offertes par les diverses ressources énergétiques existant sur son territoire et la faiblesse du taux de desserte nationale en électricité qui atteint à peine 17,1 %, contre une moyenne africaine de 42 % ». Les causes majeures de ce déficit sont connues : insuffisance des infrastructures de production, de transport et de distribution pour la mise en valeur de ces ressources et l’alimentation des agglomérations ainsi que de l’appui substantiel aux secteurs productifs.

En chiffres, la situation se présente comme suit : seulement 2,5 % des 100 000 MW estimés du potentiel hydroélectrique sont exploités pour la production de l’électricité. Près de la moitié des équipements des centrales qui devaient fournir les 2 500 MW sont en panne ou en cours de réhabilitation. Les premières centrales publiques (Katende, Kakobola, Zongo II et Manono/Ankoro pour l’État ; Matebe, Ivugha et Kananga pour les privés) et environ 4 lignes électriques à haute tension (HT) pour le renforcement du réseau existant sont en cours d’aménagement. Vingt-quatre ans après la mise en service de la centrale hydroélectrique de Mobayi (Équateur), il n’y a pas eu de nouvelles infrastructures dans le secteur. Autres problèmes : le manque d’études bancables et la faible capacité du pays à mobiliser des fonds importants dont le secteur a besoin, estimés en dizaines de milliards de dollars. Le retard dans l’application effective de la loi 14/011 du 17 juin 2014 à travers les mesures et les textes pourtant déjà élaborés, qui ne facilite pas la venue des privés dans le secteur. Ce retard a d’ailleurs fait l’objet d’une question à la commission de l’aménagement du territoire et des infrastructures de l’Assemblée nationale, le 30 avril. La faiblesse des investissements et le retard dans la planification. 

La faiblesse des allocations du budget ne permet pas la préparation des études et des dossiers bancables pour des projets identifiés. La SNEL, opérateur majeur, se trouve plombée par la réforme structurelle et d’énormes problèmes de gestion l’empêchent de jouer effectivement et pleinement son rôle de « bras armé » du gouvernement dans un marché libéralisé depuis bientôt 4 ans. La décentralisation, la croissance démographique et l’augmentation de la demande des miniers ont accentué les déficits et les délestages avec une mauvaise qualité des services à la clientèle, obligeant le gouvernement à importer de l’électricité de la Zambie et bientôt de la République du Congo voisine. Lesquelles furent pendant de nombreuses années importatrices de l’électricité de la RDC.

Tous ces obstacles « structurels et anachroniques », mis ensemble, rendent difficile la relance du secteur afin de lui faire jouer son rôle de moteur de développement, de relance économique et dans la lutte contre l’exode rural, a laissé entendre le ministre de l’Énergie et des Ressources hydrauliques.