Jeudi prochain, la Constitution de la Ve République fêtera le soixantième anniversaire de sa promulgation. Cette vaillante sexagénaire a beaucoup évolué en six décennies, puisqu’elle a connu 24 révisions. Vingt-quatre révisions mais une pente commune : toujours plus de présidentialisation.
La Ve République a dès le départ consacré la suprématie de l’exécutif. C’était depuis toujours (notamment depuis son célèbre discours de Bayeux prononcé dès juin 1946) la volonté et l’objectif du général de Gaulle. Le président fondateur de la Ve République considérait qu’il fallait à la France une Constitution thérapeutique, afin de lutter contre l’instabilité chronique de la IVe République, contre les profondes divisions des Français et contre l’enlisement qu’entraînait l’absence de majorité stable et de capacité de décision.
Le Général agissait donc en chirurgien des institutions. Au départ, beaucoup, dont Michel Debré, coauteur de la nouvelle Constitution, premier Premier ministre de la Ve République, croyaient à un régime mixte, mi-présidentiel, mi-parlementaire. En réalité, la pente présidentielle n’a cessé de s’accentuer, par la personnalité autoritaire du Général pour commencer, puis par l’introduction de l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct (1962), par la validation de la prééminence présidentielle par François Mitterrand (1981), enfin par l’introduction du quinquennat et du rétablissement du calendrier législatif dans le sillage de la présidentielle (septembre 2000).
La Ve République ancre donc en France un régime néoprésidentiel où le chef de l’Etat est le maître de l’exécutif et où l’exécutif domine la vie politique. On peut naturellement, c’est le débat démocratique, discuter ce choix et rêver au retour d’un régime parlementaire, voire d’un régime d’assemblée. Il y a toujours des théoriciens et des prophètes de la VIe République, constitutionnalistes ou hommes politiques, à commencer par Jean-Luc Mélenchon, le Jupiter des ruptures. Encore faut-il reconnaître à quel point la Ve République, toute favorable qu’elle soit à la primauté présidentielle, a su faire la démonstration de sa plasticité et de sa capacité d’adaptation.
Elle a, en effet, successivement démontré que contrairement aux sombres prédictions de nombre de spécialistes, elle s’adaptait sans difficulté au choc de la «grande alternance» (1981), puis que sa souplesse lui permettait de fonctionner sans heurts majeurs sous les cohabitations successives (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002) et même en situation de majorité relative (gouvernement Rocard).
La puissance présidentielle s’accorde donc avec la souplesse des institutions. La Ve République concilie l’autorité du chef de l’Etat, muni de pouvoirs considérables, plus qu’aucun de ses homologues démocratiques, et une parfaite adaptabilité face aux différents cas de figures politiques.
En cela, elle démontre qu’elle est sans doute, des quinze Constitutions que nous avons connues en deux siècles, la mieux adaptée au tempérament national, désir d’autorité et fièvre de la contestation, inconstance et exigence, querelles perpétuelles et nostalgie de l’unité, idéalisme et corporatisme, orgueil national et fronde perpétuelle, bref, tout ce qui fait l’originalité de l’éternel laboratoire politique français.
La Ve République est la seule à concilier amples pouvoirs de l’exécutif et libre contestation du citoyen mécontent.
La principale critique traditionnelle porte donc, cela va de soi, sur le déséquilibre entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, au bénéfice du premier, au détriment du second, et de ce fait à l’insuffisant contrôle de l’exécutif.
En fait, l’été l’a suffisamment démontré avec l’affaire Benalla, l’Assemblée nationale, même dominée par un groupe parlementaire largement majoritaire, peut parfaitement résister à l’exécutif, le faire reculer (sur la nouvelle révision constitutionnelle).
Le Sénat peut lui aussi lui mener la vie dure. La révision constitutionnelle de 2008 a d’ailleurs renforcé les pouvoirs du Parlement. Mais surtout, l’exécutif, tout prééminent qu’il soit, doit affronter aujourd’hui un éventail d’organes de contrôle de plus en plus influents et de contre-pouvoirs de plus en plus actifs. Le Conseil constitutionnel a, au fil des décennies, acquis un poids et une autorité considérables.
La Cour des comptes ressemble de plus en plus au censeur financier de tout gouvernement et le démontre implacablement.
Le Conseil supérieur de la magistrature élargit (trop lentement) son influence. Le pouvoir judiciaire, justement, s’émancipe heureusement.
Quant aux médias et aux réseaux sociaux, ils infligent désormais à tout pouvoir exécutif une mise en cause quotidienne, une capacité d’investigation et de dénonciation inimaginables il y a seulement dix ans. Le pouvoir présidentiel se trouve ainsi soumis à une surveillance perpétuelle, inconfortable, exigeante.
La Ve République, notre République présidentielle, est sous contrôle démocratique.