Jusqu’où ira la surchauffe à la pompe ?

Les prix du litre d’essence et de gasoil ont connu une augmentation de 130 francs à Kinshasa. Le ministre d’État et ministre de l’Économie a prétexté des contraintes majeures qui obligent à s’aligner sur une tendance désormais internationale. Mais laquelle ?

LES PRIX du carburant sont depuis le dimanche 30 septembre revus à la hausse en République démocratique du Congo. Selon la nouvelle structure des prix communiquée par le ministère de l’Économie nationale, dans la capitale, le litre d’essence coûte 2 110 francs, contre 1 980 précédemment, tandis que le litre de gasoil revient à 2 100 francs, contre 1 970 francs auparavant.

Joseph Kapika Dikanku, le ministre d’État et ministre de l’Économie nationale, a justifié, sans vraiment convaincre, cette surchauffe à la pompe par « trois paramètres » dont il n’en a cité que deux. D’abord, par le prix moyen frontière (CIF), c’est-à-dire le prix du baril de pétrole en hausse sur le marché international. Ensuite, par le taux de change. « La dernière fois, nous avons négocié au taux 1 450 francs le dollar, alors que le dollar était déjà à 1 620 francs. Aujourd’hui, nous venons de négocier à 1 550 francs mais le dollar, lui, est à 1 620 ou 1 640 francs. Vous comprenez que nous continuons à négocier en-dessous du taux de change pour ne pas asphyxier les consommateurs que sont l’État et la population », a indiqué Joseph Kapika. Enfin, les prix du carburant sont fonction de la fiscalité et de la parafiscalité. 

La gaffe

Décidément, le ministre de l’Économie nationale est allé trop vite en besogne. Appréciez plutôt : « La RDC a le tarif le plus avantageux par rapport à d’autres pays de l’Afrique centrale ». Selon Joseph Kapika, l’Angola qui est producteur et raffineur de pétrole, vend le litre d’essence à 2 dollars et la République du Congo à 1,7 dollar, alors que la RDC est encore à environ 1,3 dollar.

Une déclaration jugée « tapageuse » immédiatement contredite à travers les réseaux sociaux dont la force de réaction rapide n’est plus à démontrer : « La RDC a le carburant le plus coûteux comparé à celui de la République du Congo ou à celui de l’Angola ». En Angola, dit-on, le litre d’essence à la pompe coûte moins d’un dollar, soit 160 kwanza (la monnaie locale). La parité kwanza dollar est de l’ordre de 360 Kza=1USD au marché parallèle et 260 Kza=1USD à l’officiel. D’après plusieurs sources recoupées, le prix moyen de l’essence dans le monde est actuellement de 1.17 dollar le litre.

À entendre le ministre de l’Économie nationale, le gouvernement est sans défense face à la situation. On devra logiquement s’aligner à ce prix à l’international. Quand ? On ne le sait pas encore mais cela semble dépendre de la force des choses. Jusque-là, les sources proches du dossier parlent d’« un léger ajustement » qui n’est pas le dernier. 

Rappel des faits 

En septembre 2017, le Comité de suivi des prix des produits pétroliers (CSPP), un organe technique consultatif du gouvernement, placé sous l’autorité du ministre de l’Économie nationale et composé d’experts du gouvernement, ainsi que de la profession pétrolière, avait remis un rapport à Joseph Kapika Dikanku, le ministre d’État et ministre de l’Économie nationale. Le rapport concluait à « la nécessité d’actualiser les prix du carburant ». 

Après avoir épluché ce rapport du CSPP, Joseph Kapika n’approuva pas ses propositions, sous prétexte que « l’État a beaucoup fait en consentant des allégements fiscaux aux pétroliers afin de leur permettre d’équilibrer leurs états financiers ». De leur côté, les pétroliers distributeurs ont soutenu que « l’inflation ne leur permet pas d’équilibrer les comptes ». D’où, il faut revoir à la hausse les prix du carburant à la pompe. 

À l’époque, le CSPP aurait proposé le litre d’essence à 1 815 francs et celui de gasoil à 1 805 francs. Mais le gouvernement les a fixés à 1 740 francs pour l’essence et 1 730 francs pour le gasoil. Depuis, les pétroliers distributeurs n’ont cessé de mettre la pression sur le gouvernement pour réclamer que soit appliquée « la vérité des prix » à la pompe à la suite de « la dévaluation continue de la monnaie nationale ». 

Pour le moment, c’est l’accalmie sur le marché de change, le franc s’est stabilisé à 1 640 CDF=1 USD après avoir atteint le pic de 1 750 francs le dollar. Alors que la tendance est désormais à la hausse du prix du baril de pétrole à l’international. Or, la RDC n’est pas un pays producteur de pétrole, rappelle Kapika Dikanku. Le pays qui produit moins de 30 000 barils par jour qu’il ne raffine pas, subit l’évolution des cours mondiaux du pétrole. Bref, tous ces facteurs et bien d’autres n’offrent aucune alternative à la RDC. 

La raison à la vérité

Les pétroliers distributeurs rappellent au gouvernement que les faits économiques sont têtus. Ils n’obéissent qu’aux règles du marché, c’est-à-dire à la loi de l’offre et de la demande. « Certes, la force est à l’État, mais la raison n’est pas toujours dans son camp. La raison est à la vérité ou à la réalité. C’est bien cela la logique économique », nous confie l’un d’eux.  

Réponse du berger à la bergère : « En tant que produits stratégiques, les produits pétroliers (tout comme l’eau, l’électricité et le transport en commun) ne se vendent pas comme tous les autres produits ». Pour le ministre de l’Économie nationale, le gouvernement a mis une soupape de sécurité en vue de trouver avec la profession pétrolière le juste milieu dans la tarification. 

Comme on le voit, le désaccord persiste, et il porte essentiellement sur le taux de change, selon le regroupement des sociétés pétrolières en RDC. Qui reconnaît que le gouvernement fait « beaucoup d’efforts pour stabiliser le taux de change » mais cela n’est pas encore assez. Ce que demandent les sociétés pétrolières, c’est le rapprochement du taux de change de la réalité, si l’on ne peut pas l’atteindre. 

En d’autres termes, les sociétés pétrolières demandent un taux de change qui leur permette d’accéder aux devises afin de refaire leurs stocks de carburant. La dépréciation du franc en 2017 aurait laissé des séquelles dans la trésorerie de ces sociétés qui ne savent plus se réapprovisionner auprès des fournisseurs, car, soutiennent-elles, elles vendent à perte. 

Selon Emery Bope, vice-président du regroupement des sociétés pétrolières en RDC, si on parvient à « corriger » le taux de change de manière à permettre aux sociétés pétrolières de rétablir l’équilibre financier dans la trésorerie et d’avoir directement accès aux devises auprès de la Banque centrale du Congo (BCC), alors, la situation va rapidement se décanter. « C’est un problème technique », avait-il souligné en septembre 2017. 

Et c’est sur les éléments techniques justement que portent les discussions en cours entre le gouvernement et la profession pétrolière. Entre-temps, la BCC a renfloué la trésorerie à la faveur de l’embellie des cours des matières premières, notamment le cuivre et le cobalt, sur le marché international. La pénurie des devises appartient désormais au passé.

Le litre à 2 dollars

Latentes au début de la crise du franc en 2017, des tensions autour des prix du carburant sont devenues de plus en plus manifestes. Le gouvernement avait parié que les prix du litre de carburant ne franchiront pas la barre de 2 000 francs d’un seul trait. Pourtant, on y est. La RDC est l’un des pays au monde où les prix du carburant sont les plus élevés, dit-on. Il y a peu, ils avoisinaient les 2 dollars, le coût que revendiquent les sociétés distributrices de carburant. 

Quand le prix du carburant est revu à la hausse, l’effet domino est immédiat sur les autres prix, notamment ceux des denrées alimentaires et sur les tarifs dans le transport en commun (taxi, taxi-bus, bus). Ce sont ces effets que le gouvernement tient coûte que coûte à éviter. Selon Jean Mutombo, président de l’Association des chauffeurs du Congo (ACCO), section de Kinshasa, il faut encore attendre que « le taux du pourcentage de l’augmentation soit calculé par les autorités compétentes avant de prendre toute décision ». 

Quant à Tshipamba Ngamba Malu, le président de l’Union pour la défense des droits des consommateurs (UDECOM), « la mesure risque d’appauvrir les consommateurs mais également de déranger le pouvoir d’achat de la population ».