LE PRIX NOBEL de physique 2018 a été attribué à un scientifique français. Depuis trente ans, Gérard Mourou n’a cessé de décupler la puissance et la précision des rayons laser. Des avancées pas-à-pas que l’académie Nobel considère au final comme une révolution scientifique. Le chercheur français partage ce prix Nobel de physique avec Donna Strickland, une de ses étudiantes canadiennes.
Ce Grenoblois âgé de 74 ans s’est immédiatement passionné par la technologie laser qui venait de naître dans les années 1960. Quand il commence ses recherches, personne ne pensait que ce serait même un sujet de thèse, car en théorie cela paraissait simple.
Aujourd’hui, grâce aux travaux de Gérard Mourou, les lasers sont si puissants et si précis qu’ils ont permis par exemple de traiter deux millions de cataractes. « J’ai encore plein de projets, de grands projets. [Ils] seront certainement facilité par le fait que j’ai eu le prix Nobel », a-t-il déclaré. Il a notamment comme projet d’utiliser ses recherches dans la lutte contre le cancer.
Une femme après 55 ans !
Quand la Canadienne Donna Strickland reçoit un appel depuis la Suède lui apprenant qu’elle remporte le prix Nobel de physique, elle est sous le choc : elle rejoint les deux seules femmes au palmarès en plus d’un siècle. Cette professeure à l’Université de Waterloo au Canada a décroché mardi 2 octobre l’une des plus prestigieuses récompenses scientifiques, grâce à ses recherches sur le laser.
Ayant décerné 112 prix depuis 1901, le jury suédois n’a promu qu’une femme par demi-siècle dans cette discipline, après la Française Marie Curie en 1903 et la Germano-Américaine Maria Goeppert-Mayer en 1963. Marie Curie a reçu aussi le Nobel de chimie en 1911. Trois, « c’est tout vraiment ? », a demandé Strickland, s’adressant à distance à l’Académie royale des sciences. « Je pensais qu’il pouvait y en avoir eu plus ». Première physicienne lauréate depuis 55 ans, Donna Strickland a non seulement repoussé les limites de la connaissance, mais également le plafond de verre qui empêche les femmes de réaliser leurs ambitions. Si dans le passé peu de femmes travaillaient dans la recherche en sciences dures, la communauté scientifique doit tenir compte d’une démographie qui a évolué, a expliqué à l’AFP Roisin Owens, une biochimiste de l’université de Cambridge. « Il y a des femmes qui font de l’excellente recherche dans toutes sortes de disciplines », a-t-elle ajouté. « L’excuse ‘oh, on n’a pas trouvé de femmes’ ne tient plus ».
Progrès vers l’égalité
Jessica Wade, chercheuse en physique à l’Imperial College de Londres, en avait tellement assez de voir les femmes ignorées qu’elle a ajouté l’an dernier les biographies de 270 chercheuses à l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Elle constate quelques progrès des professions scientifiques vers l’égalité hommes-femmes, comme « des mesures pour soutenir les femmes à leur retour de congé maternité, le partage du congé parental, des politiques contre le harcèlement sexuel ». Mais le compte n’y est pas.
À l’inverse, elle constate aussi « une frange croissante de la société, où, de façon inquiétante, les hommes politiques et les réseaux sociaux laissent se propager des visions surannées et sexistes » des femmes. La semaine dernière, le laboratoire européen de physique des particules CERN a suspendu un chercheur ayant affirmé que la physique était une science « inventée et construite par les hommes ». Alessandro Strumia, de l’université de Pise (Italie), avait choqué l’assistance lors d’une conférence en accusant les femmes de demander des postes sans les qualifications nécessaires grâce à la parité.
La suspension de Strumia montre que « le changement est en cours » pour combattre le sexisme dans les sciences dures, relève Patricia Rankin, professeure de sciences physiques à l’University of Colorado, Boulder. Mais « il reste une longue liste d’obstacles à franchir pour les femmes comme des préjugés inconscients, des attentes différentes et les contraintes de temps », estime-t-elle.
L’un des obstacles est peut-être que peu de femmes sont proposées pour le Nobel. L’Académie suédoise qui décerne le Nobel a dit encourager les gens à nominer des femmes « parce que nous ne voulons passer à côté de personne ». « Les récompenses engendrent les récompenses… un moyen important de promouvoir les physiciennes est de s’assurer de les nommer », relève Jennifer Curtis, professeure associée de physique au Georgia Institute of Technology. Parmi ces potentielles candidates, Dawn Shaughnessy, une radiochimiste américaine qui a découvert cinq éléments du tableau périodique, qui n’a pas encore été officiellement honorée d’un Nobel.
En outre, selon Andrea Welsh, étudiante en doctorat en physique à Georgia Tech, les femmes scientifiques sont beaucoup moins susceptibles de se porter candidates que leurs homologues masculins. Le fait que les Nobel soient récompensés pour des efforts individuels plutôt que collectifs pourrait être une autre raison pour laquelle il y a si peu de femmes gagnantes. « Mon sentiment est que les femmes travaillent souvent pour le bien commun et peuvent souvent sacrifier leur carrière individuelle pour faire avancer la communauté », estime Roisin Owens, de Cambridge.
Jocelyn Bell Burnell, l’une des plus grandes astrophysiciennes du monde qui a aidé à découvrir les pulsars, a annoncé le mois dernier qu’elle faisait don des 3 millions de dollars remportés avec un prix scientifique prestigieux pour aider les groupes sous-représentés à se lancer dans la physique.