LE G20 évoque pour certains un rendez-vous ennuyeux à mourir. Détrompez-vous ! Le sommet qui vient de se tenir à Buenos Aires, en Argentine, est le lieu où il fallait être. Il faut dire que le week-end s’annonçait riche en confrontations. Attention, le face-à-face entre le président américain et son homologue russe n’aura finalement pas lieu, le locataire de la Maison-Blanche l’ayant annulé jeudi en raison des tensions croissantes entre la Russie et l’Ukraine, a-t-il détaillé dans un tweet.
« Contexte de tensions croissantes »
Tous les yeux étaient tournés vers Buenos Aires jeudi et vendredi, alors que les dirigeants des 19 plus importantes économies et les représentants de l’UE se rassemblaient pour le 13è sommet du G20. La rencontre de cette année survient dans un contexte de tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis pour des différends commerciaux, en pleine escalade du conflit entre la Russie et l’Ukraine et alors que la pression monte pour que le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, rende des comptes après le meurtre de Jamal Khashoggi.
Les observateurs ont listé six sujets auxquels il fallait prêter attention : la première rencontre, depuis la mort du journaliste saoudien, entre MBS et les dirigeants occidentaux; le dîner que Donald Trump a organisé pour Xi Jinping durant lequel le président chinois devait essayer de convaincre l’occupant du Bureau ovale de ne pas augmenter les taxes douanières de 10 à 25 % au 1er janvier ; la rencontre annulée entre Trump et Poutine ; les manifestations, notamment anticapitalistes, en marge du sommet ; la possible signature par Washington, Mexico et Ottawa de l’Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), le traité de libre-échange qui doit remplacer l’Alena ; et les efforts de Theresa May pour se rapprocher de certains des leaders présents, dessinant l’avenir du Royaume-Uni post-Brexit.
« Une série de duels bilatéraux »
Pouvait-on, avant même le coup d’envoi, envisager un sommet réussi ? Difficile à dire. Au cours des deux jours du sommet, il était prévu des séances de groupe sur l’architecture financière, l’agriculture durable et l’avenir du travail, mais cette année, les gros titres seront probablement dominés par une série de duels bilatéraux aux résultats imprévisibles.
Il y avait de grandes chances que la déclaration finale des dirigeants soit vidée de toute substance, par la faute du président américain. Les diverses réunions de Trump porteront sans aucun doute sur sa politique de l’Amérique d’abord, en particulier sur le commerce. Cela est susceptible de tuer toute chance d’un communiqué substantiel, (ce qui constitue) généralement le grand spectacle de ces sommets.
C’est sans doute le G20 le plus tendu de l’histoire. Le sommet, qui s’est ouvert vendredi 30 novembre à Buenos Aires, s’est joué en grande partie autour d’un quatuor : Donald Trump, Vladimir Poutine, Mohammed Ben Salmane (MBS) et Xi Jinping. Il est 15 heures quand les chefs d’Etat et de gouvernement posent pour une photo de famille avant de s’asseoir à la table de réunion. Comme rapprochés par les critiques internationales qu’ils subissent, Vladimir Poutine et « MBS » affichent leur bonne entente. Le président russe et le prince héritier saoudien, commandant chacun d’immenses ressources d’hydrocarbures, se saluent avec une cordialité très remarquée, d’un geste à mi-chemin entre une poignée de main et le « tope là ! » de deux adolescents. Le premier est critiqué pour les tensions avec l’Ukraine, après l’arraisonnement de trois navires de la marine ukrainienne en mer Noire par les garde-côtes russes. Le second a vu sa réputation de réformateur entachée par l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Tous deux ont en commun de contrôler une ressource stratégique majeure : le pétrole.
Macron « ferme » sur l’affaire Khashoggi
Le président Emmanuel Macron a eu également un aparté vendredi avec Mohammed Ben Salmane, mais sur un tout autre ton : il lui a « fermement » demandé « d’associer des experts internationaux à l’enquête » sur le meurtre de Jamal Khashoggi et il a défendu « la nécessité d’une solution politique au Yémen », selon l’Elysée.
Le président français a posé pour la photo de famille à côté de Donald Trump. Leur relation s’est singulièrement dégradée après une série de Tweet moqueurs du président américain. Celui-ci affichait vendredi une mine renfrognée lors de l’ouverture officielle des débats, loin de l’enthousiasme avec lequel il a vanté dans la matinée la signature d’un nouvel accord de libre-échange nord-américain, négocié à son initiative.
Le président chinois Xi Jinping était impassible, lui qui a eu samedi un dîner de tous les dangers avec Donald Trump, pour tenter d’enrayer un conflit commercial potentiellement catastrophique pour l’économie mondiale. On craignait que le président américain, habitué à dynamiter des grands rendez-vous multilatéraux qu’il ne goûte guère, ne reporte sur ses homologues du G20 la fébrilité que lui cause l’enquête toujours plus menaçante, aux États-Unis, sur l’ingérence russe lors de sa campagne présidentielle ?
Il avait déjà pris tout le monde de court jeudi en annulant une réunion bilatérale avec Vladimir Poutine. Côté américain, on a déploré que l’enquête en cours aux États-Unis « pénalise » la relation avec la Russie, tout en assurant que cette annulation était seulement liée à la crise en Ukraine.
L’Ukraine, test pour l’UE
Alors que Kiev annonce des mesures pour limiter l’accès des hommes russes âgés de 16 à 60 ans sur son territoire, le président du Conseil européen, Donald Tusk, s’est dit « sûr » que les sanctions de l’Union européenne contre la Russie seraient reconduites en décembre. « Une pratique vicieuse du recours aux sanctions unilatérales illégales et aux mesures protectionnistes se répand », a déploré de son côté le président russe. La crise en Ukraine sera un test de la solidarité des Européens, qui risquent d’être relégués aux seconds rôles lors de ce sommet.
L’arrivée retardée de la chancelière allemande, Angela Merkel, attendue seulement vendredi en soirée après une panne de son avion gouvernemental, a presque fait figure de symbole des difficultés du Vieux Continent, déjà aux prises avec le Brexit. Il a été bien difficile à ce G20 de tenir la promesse faite lors du tout premier sommet de ce genre, en novembre 2008 : celle de passer par le multilatéralisme pour apporter la « prospérité » au monde. De source française, on a fait savoir qu’Emmanuel Macron cherche déjà à « rallier les pays progressistes » autour d’un texte alternatif sur le climat et le libre-échange. Comme s’il avait déjà abandonné l’espoir d’un communiqué final commun à tous les leaders, tant ces derniers divergent sur ces deux sujets.
Au-delà des joutes diplomatiques, les autorités argentines ont redouté les violences lors d’une grande manifestation de protestation prévue vendredi, à l’image de celles qui avaient rythmé le G20 de Hambourg l’an dernier. Le gouvernement a décrété un jour férié, fermé écoles et moyens de transport, et déployé plus de 20 000 membres des forces de l’ordre pour quadriller des avenues désertées. Le G20 attise le ressentiment d’un pays miné par une longue crise économique, et promis à une cure d’austérité.
L’espoir d’un accord sur le commerce a porté Wall Street. La Bourse de New York a terminé vendredi dans le vert pour permettre au S&P-500 de boucler sa meilleure semaine depuis sept ans, les investisseurs saluant l’espoir d’un accord dans le conflit commercial qui oppose les deux premières économies du monde. Les discussions entre la Chine et les États-Unis avancent dans la bonne direction, a affirmé un responsable chinois en marge du sommet du G20 à Buenos Aires. « Les chances de parvenir à un consensus augmentent », a déclaré Wang Xiaolong, le directeur général aux affaires économiques internationales du ministère des Affaires étrangères tout en notant que des divergences subsistaient.