CENI : le coup de trop ?
Jeudi le 20 décembre, dans l’après-midi, Corneille Nanga, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), a confirmé ce que tout le monde savait déjà la veille : le report des élections présidentielle, législatives nationales et provinciales, prévues initialement le 23 décembre.
Avant même son point de presse à l’issue de la réunion de la CENI avec les candidats à l’élection présidentielle et au cours duquel il a annoncé un report de 7 jours en raison de « l’incapacité technique » de la centrale électorale d’organiser les élections à la date prévue, la tension est remontée dans la ville de Kinshasa.
Le jeudi 20 décembre donc, après que le meeting de Martin Fayulu Madidi, le principal candidat de l’opposition à l’élection présidentielle, a été empêché par la police, la veille, sur la place Sainte Thérèse à Ndjili, l’une des communes populeuses de Kinshasa, à la suite de la mesure de suspension de la campagne électorale par l’autorité urbaine, des échauffourées ont été signalées, notamment à l’université de Kinshasa et ses environs. Des automobilistes et motards ont essuyé des jets de pierres lancées par des manifestants.
Au centre-ville, services, commerces et autres ont vite baissé le rideau de fer en guise de prévention contre les pillages éventuels. Les gens se sont précipités à regagner leurs domiciles, craignant des incidents. Mais le calme a régné tout l’après-midi. Le Boulevard du 30 Juin, d’habitude bondé et truffé de bouchons, a été fluide, aucun barrage ni présence policière constatés.
Le moment est pourtant particulièrement crucial depuis le début de la semaine. Et il promet de l’être davantage au courant de la semaine prochaine. Ce qui en rajoute à l’incertitude. Dans les milieux diplomatiques de Kinshasa, on doute de la tenue des élections. Les chancelleries occidentales, comme en pareille situation, demandent avec insistance aux ressortissants de leurs pays de quitter la RDC. Dans les milieux d’affaires, la peur du lendemain est perceptible. On estime que l’erreur n’est pas permise, car le moment est venu pour relancer l’activité économique.
Des efforts non récompensés
Le président de la CENI a appelé à l’apaisement au cours de son point de presse, estimant qu’un report de quelques jours ne fera du mal à personne. Le but n’est pas de mettre le pays à feu et à sang, mais de garantir les bonnes élections. Dans certains milieux, on soutient que « l’édifice s’est fissuré profondément, à défaut de s’écrouler comme un château des cartes ». Par conséquent, l’étau se resserre autour des durs du camp présidentiel (FCC).
En tout cas, Joseph Kabila Kabange, le président de la République, qui est près de passer le témoin, a crânement misé sur ces élections au 23 décembre. Et le gouvernement a semblé tout mettre en œuvre pour qu’elles aient lieu à cette date. On est obligé de constater que ces efforts ne sont pas récompensés. D’où, des questions : qu’est-ce qui se cache derrière cette formule d’incapacité technique ? Quel contenu la CENI donne-t-elle au mot technique ?
Nanga censuré
Le 20 décembre, dans l’après-midi, s’est joué le premier acte d’une tragédie supposée ou réelle (selon la communauté internationale) qui en comptera deux ou trois, et dont Corneille Nanga n’est déjà plus le personnage principal. Tout au plus la victime expiatoire. Martin Fayulu, le ticket de la coalition Lamuka (Réveille-toi), lui a définitivement volé la vedette. Depuis le lancement de la campagne électorale, ça marche fort Martin Fayulu. Porté par Jean Pierre Bemba Gombo, Moïse Katumbi Chapwe, Pierre Lumbi Okongo, Adolphe Muzito Fumunsi, etc., il a le vent en poupe en raison de l’effet conjuguée des incidents qui ont émaillé sa campagne.
Les refus répétés du président de la CENI de dialoguer avec les opposants ont conduit à tous les excès. En son for intérieur, Corneille Nanga n’ignore pas que les causes de sa rupture avec les Congolais sont plus anciennes à cette décision du report des élections.
Arrogant avec les opposants jusqu’à les mépriser, le successeur de l’abbé Apollinaire Malumalu Muhongo, n’a jamais véritablement permis à l’opposition d’exister, d’exprimer son point de vue en ce qui concerne les conditions d’organisation des élections. Dirigeant la CENI avec une ostentation qui frise souvent la dictature, il a multiplié les décisions impopulaires. Ignorant totalement la sensibilité populaire. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’opposition et la société civile, avec en tête le Comité des laïcs catholiques (CLC), réclament la démission du praesidium de la CENI.
Est-ce que Nanga sent-il le vent tourner ? Et si le 30 décembre, les élections majeures n’ont pas lieu, que va-t-il arriver ? C’est l’acte II de la tragédie. Si les vraies raisons du report n’ont pas été dévoilées, on devine que Nanga a su se montrer persuasif.