EN RECEVANT leur Nobel de la paix, le Congolais Denis Mukwege et la Yazidie Nadia Murad ont appelé à renoncer à l’indifférence et à protéger les victimes de violences sexuelles, selon eux souvent reléguées derrière des considérations mercantiles. Le médecin gynécologue de 63 ans et l’Irakienne de 25 ans, ex-esclave des jihadistes devenue porte-drapeau de sa minorité, ont reçu le prix des mains de la présidente du comité Nobel, Berit Reiss-Andersen, qui a salué « deux des voix les plus puissantes au monde aujourd’hui » contre l’oppression des femmes.
Guerre contre l’indifférence
L’instant était solennel lors de la cérémonie de remise, fleurie et musicale, ponctuée de standing ovations, de larmes et de youyous, dans l’Hôtel de ville d’Oslo. Les deux lauréats ont interpellé la communauté internationale et réclamé la fin de l’impunité pour les auteurs de violences sexuelles en temps de guerre. « Ce ne sont pas seulement les auteurs de violences qui sont responsables de leurs crimes, mais aussi ceux qui choisissent de détourner le regard », a affirmé le Congolese Doctor, Denis Mukwege, dans son discours de remerciement.
« S’il faut faire la guerre, c’est la guerre contre l’indifférence qui ronge nos sociétés ». Surnommé « l’homme qui répare les femmes », ce gynécologue soigne depuis deux décennies les victimes de violences sexuelles dans son hôpital de Panzi dans l’Est de la République démocratique du Congo, région en proie à des violences chroniques. Dans des propos aux accents politiques à l’approche d’élections prévues le 23 décembre en RDC, Dr Mukwege a dit voir « les conséquences déchirantes de la mauvaise gouvernance ». « Bébés, filles, jeunes femmes, mères, grands-mères, et aussi les hommes et les garçons, violés de façon cruelle, souvent en public et en collectif, en insérant du plastique brûlant ou en introduisant des objets contondants dans leurs parties génitales », a-t-il énoncé.
Dr Mukwege a aussi déploré que le sort de la population congolaise passe au second plan derrière l’exploitation sauvage des matières premières.
Crimes de génocide
« Mon pays est systématiquement pillé avec la complicité des gens qui prétendent être nos dirigeants », a-t-il affirmé. « Pillé aux dépens de millions d’hommes, de femmes et d’enfants innocents abandonnés dans une misère extrême tandis que les bénéfices de nos minerais finissent sur les comptes opaques d’une oligarchie prédatrice ».
Comme des milliers de femmes yazidies, sa colauréate Nadia Murad a été enlevée, violée, torturée et échangée par les jihadistes après l’offensive de l’EI contre cette communauté kurdophone du nord de l’Irak en 2014. Ayant réussi à s’évader, elle se bat aujourd’hui pour que les persécutions de son peuple soient reconnues comme génocide. Les yeux humides lundi, elle a plaidé pour les femmes et enfants – plus de 3000 selon elle – toujours aux mains de l’EI. « Il est inconcevable que la conscience des dirigeants de 195 pays ne se soit pas mobilisée pour libérer ces filles », a-t-elle estimé dans un discours en kurde. « S’il s’était agi d’un accord commercial, d’un gisement de pétrole ou d’une cargaison d’armes, gageons qu’aucun effort n’aurait été économisé pour les libérer ».
En finir avec l’impunité
Lui en costume sombre, elle en robe bleue et noire, tous deux ont appelé de leurs vœux une réaction de la communauté internationale. Pour Dr Mukwege, les États doivent mettre fin à l’impunité « des dirigeants qui ont toléré, ou pire, utilisé la violence sexuelle pour accéder au pouvoir », soutenir la création d’un Fonds global de réparation pour les victimes de violences sexuelles, et sortir des tiroirs un rapport de l’ONU cartographiant les crimes de guerre et violations de droits en RDC.
Sous le regard de l’avocate et militante des droits de l’Homme libano-britannique Amal Clooney qui a rejoint sa cause, Nadia Murad a imploré la planète de protéger son peuple. « La protection des Yazidis (…) est la responsabilité de la communauté mondiale et des institutions internationales », a-t-elle affirmé. « Sans cette protection internationale, rien ne nous garantit de n’être pas une fois de plus exposés à de nouveaux massacres menés par d’autres groupes terroristes ».