UNE PÉRIODE de croissance historiquement longue, un taux de chômage réduit de 15 %… sur le papier tout va pour le mieux en République démocratique du Congo. Dans son discours sur l’état de la Nation, le 19 juillet dernier, devant les parlementaires réunis en congrès au Palais du peuple, Joseph Kabila Kabange, le président de la République, a dit qu’il y a lieu, aujourd’hui, de se réjouir que toutes les réformes entreprises dans le pays depuis 2001 aient porté les fruits escomptés.
Quelques chiffres avancés par le chef de l’État : de 3 milliards de dollars en 1960 et 14 milliards de dollars en 1997, le produit intérieur brut (PIB) nominale est ainsi monté ce jour à 50 milliards de dollars, à la suite de la croissance économique dont le rythme est passé, pendant la même période, de 1 % en 1960, à –5 % en 1997 pour atteindre 4,2 % cette année, après avoir frôlé les deux chiffres il y a seulement 4 ans, soit un taux supérieur à la moyenne de celui de toute l’Afrique subsaharienne situé à 2,7 %.
Quoiqu’encore insuffisant, au regard des légitimes ambitions du grand Congo, a-t-il par ailleurs souligné, le budget de l’État en ressources propres, qui était de 25 millions de dollars en 1960, 581 millions de dollars en 1997, est remonté aujourd’hui à plus de 4,6 milliards de dollars… Au vu de ces données, et bien d’autres encore, il reste évident, a fait remarquer le président de la République que l’amélioration et la stabilité du cadre macroéconomique du pays a eu un « impact positif » notamment sur les masses laborieuses. Le taux de chômage de la population active a connu de 1997 à ce jour, un taux de réduction de 15 %…
Dans l’absolu, ces données statistiques indiquent que la vie des ménages en RDC a été sensiblement améliorée. Mais à y regarder de plus près, ce n’est pas parce que les indicateurs économiques sont presque au vert que la vie quotidienne des Congolais est simple. Est-ce que les Congolais d’aujourd’hui vivent mieux que ceux de 1960 ou de 1997 ? Est-ce que le pouvoir d’achat des ménages en 1960 est-il comparable à celui d’aujourd’hui ? Autant de questions qui renvoient à une même réalité : le revenu des ménages pour la consommation.
Émerger une classe moyenne
Pour bâtir sa puissance économique, expliquent des spécialistes, la RDC doit développer un modèle de croissance qui s’appuie sur la consommation de masse, elle-même possible par l’existence d’une classe moyenne importante. Problème, cette dernière ne cesse de décliner depuis quarante ans, au point de ne plus être majoritaire dans le pays.
L’émergence d’une classe moyenne congolaise est une préoccupation majeure du président de la République. On ne trouve pas le bien-être dans la pauvreté qu’il faut à tout prix combattre. Jean-Pierre KIwakana, le président du Conseil économique et social de la RDC, a déclaré récemment à la clôture de la session ordinaire d’octobre de son organisme : « Nous sommes à la croisée des chemins, au carrefour de notre destinée, par les choix des politiques à mener et des réformes courageuses à engager pour enfin concilier le rêve de l’émergence à la réalité d’une croissance inclusive au service du bien-être collectif et de l’éradication de la pauvreté. »
Et d’ajouter : « Dans le processus de développement vers une économie émergente, l’ordre des priorités dans les investissements publics et privés devra être clairement établi. Quelles sont les priorités par secteur pour atteindre tel ou tel autre objectif? Il nous faut donc une politique claire et réfléchie sur les priorités sectorielles des investissements. »
Le Conseil économique et social de la RDC recommande que le développement du pays provienne de la sommation intégrée des développements locaux au niveau des entités territoriales décentralisées (ETD) du pays.
C’est pour cette raison qu’il compte privilégier et renforcer un partenariat efficace avec toutes les provinces de la RDC. « À la veille de la mise en place de nouvelles institutions, il est important que les grandes questions telles que le renforcement de l’autorité de l’État, le partenariat public-privé, l’émergence du pays et le social du Congolais, soient pourvus d’un contenu réel afin de bannir les pratiques qui affaiblissent notre système de gouvernance », a encore déclaré Jean-Pierre Kiwakana.
Les dépenses de base
Faire partie de la classe moyenne ne protège pas forcément, font remarquer les mêmes spécialistes. En quittant la classe moyenne, les Congolais sont venus nourrir les deux autres strates, à savoir les classes populaires et les classes aisées. La catégorie des plus riches est celle qui a le plus augmenté en quarante ans. Cependant, elle reste moins importante que celle des plus pauvres, puisqu’elle pèse moins de 20 % de la population adulte.
Pire, faire partie de la classe moyenne ne permet plus d’assumer l’ensemble des dépenses de base. Selon une enquête du Centre d’études Alter, plus de 70 % des ménages ne gagnent pas assez pour financer l’ensemble de ses dépenses mensuelles, à savoir : le logement, l’alimentation, l’éducation, le transport et le téléphone portable. Cette situation, notent les mêmes spécialistes, s’expliquent par la stagnation des revenus qui ne permet pas de compenser la hausse du coût de la vie. La chute des cours des matières premières a fortement touché les porte-monnaie. Depuis 2016, le revenu médian a diminué de 50 % du fait de la dépréciation de la monnaie locale, le franc, face au dollar. Au Congo, les emplois domestiques sont rémunérés moins de 100 dollars. En termes de répartition des richesses, la société congolaise compte parmi les plus inégalitaires.
Le chômage
La face cachée de l’emploi en RDC se découvre dans les quartiers populaires de Kinshasa. Être chômeur à Kinshasa enlève toute considération sociale. Trouver un emploi, par contre, est un parcours du combattant, explique Françoise Matingu, 30 ans, diplômée (Bac + 5 ou licence) de l’Université protestante au Congo (UNPC) en 2012 et depuis, au chômage. À ses côtés, Pascal Kilandamoko, 45 ans, avoue se sentir infantilisé. « On est vraiment sous pression dans la famille », regrette-t-il. « Parfois, j’envoie mes candidatures chaque semaine et les employeurs ne me répondront pas », insiste-t-il. Comme lui, Robert Ntela se dit fatigué de « J’ai l’honneur de… », comme il ironise sur les lettres de demande d’emploi. « Partout, on vous dit qu’il n’y a pas toujours d’offres d’emploi. Mais vous apprendrez qu’on a recruté », déplore-t-il.
Tous les chômeurs ne soutiennent pas cette pression et c’est justement pour ça que Marouane Nsilu dit avoir décidé de s’engager comme « journalier » ou temporaire dans une usine des cosmétiques à Limete. Une tâche ouvrière qui ne correspond pas à son profil d’économiste, licencié de l’université de Kinshasa, ni à son physique d’homme frêle. Aujourd’hui, il sensibilise ses amis pour créer une association Jobsrecherche.
Marouane Nsilu estime que les règles ne sont pas strictes dans notre pays en matière d’emploi. « Si les jeunes diplômés ne retrouvent pas un emploi au bout de deux ans, ils risquent notamment d’être exclus du système », souligne-t-il. Quand un jeune est au chômage, c’est aussi mauvais pour la famille, la collectivité et le pays. Pour Marouane Nsilu, le chômage a pris de l’ampleur et il y a de quoi s’en inquiéter.
Les premiers et les plus durement touchés sont justement les universitaires. D’après lui, il y a un décalage entre les qualifications et les besoins, il y a une rigidité du marché du travail. « Conséquence : la vie d’adulte est remise à plus tard face à des possibilités d’emploi maigres ou inexistantes. On ne sait pas se marier quand on n’a pas de travail.
Quel est ce parent qui donnerait sa fille en mariage à un homme qui ne travaille pas ? », se demande-t-il. C’est pourquoi, il estime que les chômeurs devraient être « davantage responsabilisés », au moins pendant leur première année sans emploi, car « ils pourraient chercher du travail plus sereinement, sans toutes ces contraintes ».